C’est pourquoi les vrais espions ne ressemblent ni à James Bond ni aux héros des séries de style Homeland

C’est pourquoi les vrais espions ne ressemblent ni à James Bond ni aux héros des séries de style Homeland
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Une image de l’acteur écossais Sean Connery, qui a joué dans sept films de James Bond, est vue lors de l’avant-première de l’exposition « Bond in Motion » à l’International Spy Museum de Washington, DC, le 27 février 2024.

Atlantico : Concernant les services de renseignement, nous avons tendance à regarder ce qui ne va pas et non ce qui est bien. Comment l’expliquer ? Comment sont organisés les services de renseignement ?

Alain Rodier : Il est normal que l’on regarde ce qui ne va pas car, si les échecs sont en partie connus, les succès restent dans le domaine du secret pendant de nombreuses années. C’est ainsi que l’opération Fortitude, qui consistait à tromper les Allemands sur le site du débarquement en 1944, n’a été connue en détail que dans les années 1970, lorsque toutes les archives furent rendues accessibles aux chercheurs et universitaires.

Et les réussites sont nombreuses. Si l’on prend le cas des éliminations ciblées (opération Homo et Arma), le résultat n’est que la partie visible d’opérations très complexes qui ont permis l’identification et la localisation exacte d’objectifs sensibles et protégés : la plupart des califes du groupe État islamique, les deux émirs d’Al-Qaïda et des centrifugeuses iraniennes (virus Stuxnet) l’ont compris à leurs dépens.

Si chaque pays a sa spécificité – par exemple les États-Unis comptent 18 agences de renseignement –, la majorité dispose globalement de services internes chargés du contre-espionnage, de la lutte contre le terrorisme et de la contre-intervention, de services externes dont la mission est la collecte de renseignements à l’étranger et de services techniques qui gérer toutes les informations d’origine électromagnétique, satellites, etc.

Il existe quelques exceptions comme le MIT turc qui dispose de compétences internes et externes. Il existe enfin le renseignement militaire destiné à informer les forces armées dans leur propre domaine.

A noter que dans les pays démocratiques, seuls les services de renseignement extérieurs sont autorisés à opérer en dehors des lois (des pays ciblés, mais aussi des lois nationales). Ceci est tempéré par le fait qu’ils sont contrôlés – a posteriori – par des commissions indépendantes.

Il est toutefois préférable que les opérateurs ne se coincent pas les doigts dans le pot de confiture. Ils sont généralement libérés par les responsables et les autorités intermédiaires « sautent » comme des fusibles (affaire Greenpeace).

Si l’intelligence dans sa totalité n’est généralement pas confiée à un seul homme, c’est parce que le pouvoir politique craint que ce gestionnaire surinformé ne devienne trop puissant et ne finisse par représenter pour lui un danger. Il pourrait avoir des dossiers sur tout et sur tout le monde…

Cependant, comme encore faut-il coordonner l’action de tous les services et qu’il n’y a pas de redondance et de gaspillage de budget, il existe un « coordinateur » du renseignement qui regroupe tous les « directeurs » mais il n’a pas de véritable autorité hiérarchique dans le sens strict du terme. Le seul responsable ultime des services de renseignement est la plus haute autorité de l’État. C’est aussi ce qui donne le pouvoir aux « directeurs » de services : en fin de compte, ils ne répondent qu’au chef de l’Etat.

En France, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme nommé en Conseil des ministres conseille le président de la République dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Elle coordonne en outre l’action des services de renseignement spécialisés. […] et, en tant que de besoin et aux seules fins du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, d’autres services de renseignement […]. Il transmet les instructions du Président de la République aux ministres chargés de ces services et veille à leur exécution.

Le directeur du renseignement national (DNI) est un fonctionnaire du gouvernement fédéral des États-Unis, sous l’autorité et le contrôle directs du président des États-Unis pour :

. servir de conseiller principal auprès du président, du Conseil de sécurité nationale et du Conseil de sécurité intérieure sur les questions de renseignement liées à la sécurité nationale ;

. en tant que coordinateur de l’Intelligence Community, un ensemble des 18 principales agences de renseignement des États-Unis ;

. superviser et diriger la mise en œuvre du Programme national de renseignement.

Quelles sont les causes possibles de l’échec des services de renseignement ? Est-ce plutôt la faute d’une personne ou de l’organisation dans son ensemble ?

En dehors des cas de « trahison », la « faute » ou le « défaut » n’est jamais individuel pour la simple raison que le renseignement suit un processus appelé « chaîne du renseignement ». Cette dernière part de la collecte des informations d’origine technique ou humaine, de leur analyse par des spécialistes, de leur mise en forme après recoupement et de leur transmission aux autorités politiques ou militaires qui « doivent en avoir connaissance. »

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les informations collectées sont abondantes, voire surabondantes (trop d’informations tue l’information.)

Même si un système de tri automatique est mis en place en amont, il existe un goulet d’étranglement au niveau des analystes qui ne sont jamais assez nombreux pour gérer les flux. Le problème de la coordination entre spécialistes de la politique, de l’économie et de la technologie est également très délicat à gérer, d’autant que, dans un souci de cloisonnement pour ne pas nuire à la confidentialité des informations, il est parfois difficile de déterminer qui doit être informé d’une information jugée sensible.

De ce fouillis d’informations, de renseignements, de rumeurs… naît enfin l’émission finale qui est lue, relue et vérifiée par les « connaisseurs hiérarchiques » avant d’être envoyée aux autorités.

Les services de renseignement doivent alerter, mais c’est aux décideurs politiques d’agir. Quelle est l’importance des décideurs politiques dans l’équation ?

C’est le deuxième écueil : les décideurs (qui disposent souvent d’autres informations, parfois contradictoires, en France via les Affaires étrangères qui font un excellent travail) croiront-ils les informations transmises par les services ?

Ensuite, quelles décisions devront-ils prendre – s’ils en prennent une, ce qui n’est pas toujours le cas.

Pendant la guerre froide, il était courant de dire que le KGB et son homologue militaire, le GRU, « savaient tout » de l’Occident. Leurs agents étaient infiltrés de bas en haut de l’échelle hiérarchique, les communications étaient toutes écoutées, etc. Ils lisent comme un livre ouvert en Occident !

Mais les autorités politiques moscovites, aveuglées par le prisme de l’idéologie marxiste-léniniste, n’ont pas cru leurs services de renseignement parce qu’ils troublaient leurs certitudes. Les signalements finissaient donc au fond des tiroirs sans être pris en compte…

Il est fort possible que ce soit ce qui soit arrivé à Poutine avant l’invasion de l’Ukraine. Il semble absurde que le GRU, le SVR, le FSB aient pu croire un instant que les populations ukrainiennes allaient accueillir les troupes russes en libérateurs, tant était l’immense rejet du « russe » (en dehors des régions russophiles de l’Union soviétique). Est)…

Il est vrai que chez les dictateurs, les responsables des services de renseignement ont aussi tendance à ne présenter que ce qui « fera plaisir » au monarque, de peur d’être limogés – ou pire ; Même si la peine de mort est abrogée en Russie, de nombreuses personnes mourront dans les colonies pénitentiaires sibériennes.

Les différents services de renseignement sont également accusés d’obéir parfois à un agenda politique. Avant l’invasion russe de l’Ukraine, les services de renseignement américains avaient mis en garde contre cette hypothèse. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’y croyait pas. Comment les services de renseignement doivent-ils agir pour légitimer leurs alertes ?

Quant aux Américains, je pense qu’ils disposaient des mêmes informations que les autres services de renseignement. Globalement, tout le monde pouvait compter sur les troupes russes manœuvrant autour de l’Ukraine et sur la posture offensive de ces unités.

Les analystes américains ont été plus sagaces que leurs homologues occidentaux et ukrainiens car ils ont eu la sagesse de conserver de très bons experts du monde russe. Pour les Français, la guerre froide étant terminée, les spécialistes russophones ont cédé la place à des spécialistes arabophones jugés plus capables de répondre aux préoccupations gouvernementales.

Plus grave encore, depuis l’affaire de la présentation des « preuves » devant l’ONU de l’existence d’armes chimiques en Irak qui justifiaient l’entrée en guerre des Etats-Unis, la méfiance était restée très forte vis-à-vis de ce grand pays allié.

Mais c’est une réalité : les déductions américaines se sont donc révélées exactes…

Peut-être que si les forces de l’OTAN avaient été déployées dans l’ouest de l’Ukraine bien avant février 2022, l’invasion aurait pu être évitée.

Mais il y a aussi l’hypothèse que cela aurait provoqué l’ire de l’ours russe. L’OTAN, qui se serait alors retrouvée en contact direct avec les Russes – ce qu’aucun dirigeant occidental (sauf ceux des pays baltes et polonais) ne souhaite -.

Dans quelle mesure le cinéma – avec ses espions comme James Bond – déforme-t-il l’image que l’on se fait des services de renseignement ?

Le cinéma d’espionnage à la James Bond donne d’excellents films d’aventure très divertissants et généralement bien réalisés. Mais ces œuvres sont totalement éloignées de la réalité qui est bien plus sombre et anodine. Les seuls qui s’en rapprochent un peu sont les films tirés des romans de John le Carré dont le premier (L’Espion venu du froid) fait froid dans le dos…

Il ne faut pas se faire d’illusions, The Bureau of Legends entre dans la première catégorie même si les réalisateurs se sont inspirés d’événements réels…

En conclusion, le pouvoir politique demande beaucoup aux services de renseignement et c’est tout à fait légitime. Ces dernières répondent la plupart du temps à ces exigences – même s’il y a de gros trous dans la raquette -. Ce qui est absurde, c’est de leur demander de prédire l’avenir. La prospective est un art difficile qui relève plutôt du domaine de « Madame Irma »…

 
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