L’école française de fleuret, fierté mondiale, mais véritable paradoxe national

L’école française de fleuret, fierté mondiale, mais véritable paradoxe national
L’école française de fleuret, fierté mondiale, mais véritable paradoxe national

Emeric Clos, Erwan Le Pechoux et Grégory Koenig réunis dans une même salle, c’est non seulement le signe de l’imminence d’un tournoi majeur de fleuret, mais aussi l’assurance de titres, ou presque. A eux deux, ils ont remporté les titres individuels et par équipe des deux derniers JO en tête de leur sélection. Chez les Bleus, Emeric Clos a remporté l’or olympique en 2021 à Tokyo, avec Erwan Le Pechoux comme athlète. A peine titré, le Provençal a pris les rênes de l’équipe masculine japonaise avec laquelle il était venu s’imposer au Grand Palais l’été dernier. Pendant ce temps, au Japon en 2021 et à Paris en 2024, Gregory Koenig a mené son protégé Ka Long Cheung vers un doublé olympique individuel.

Il est logique de dire que les fleurettistes français savent particulièrement bien entraîner leurs athlètes. Mais difficile de dire ce qui fait exactement le succès des Tricolores, d’expliquer cette « French Touch » si improvisée. Où les Italiens sont connus pour leur agressivité et leur tendance à réduire la distance jusqu’à se retrouver presque au corps à corps à chaque contact, où les Américains sont connus pour n’avoir peur de rien ni des gens, attaquant leurs rivaux sans tenir compte de leur réputation ou de leur piste record, la description devient plus délicate et brumeuse concernant les Tricolores. Comment expliquer l’école française ? Peut-être en le décomposant en deux parties : technique et mentale.

Quelques spécificités françaises

Double champion olympique, par équipe en 2000 puis individuel en 2004, Brice Guyart est aujourd’hui vice-président de la fédération française. Face à cette question, il insiste d’abord sur le profil très complet des fleurettistes français. “Ce sont des athlètes qui savent attaquer et défendre. Quand tu rencontres un Français, tu sais que ce ne sera pas un match facile», décrit-il. Grégory Koenig est plus précis : «Rien qu’au poste de garde, on peut voir s’il est français ou pas. Si la pointe est devant, il y a de fortes chances que ce soit un Français. Si le pourboire est au top, il s’agit très certainement d’un italien« .

Une fois engagée à l’assaut, la French touch est également identifiable. Brice Guyart : «Nous avons tendance à être loin pour mettre en valeur notre puissance, notre agilité. Mais étant loin aujourd’hui, vous pouvez aller trop vite et rater votre cible. Alors il faut aussi accepter, parfois, de se rapprocher« . Cette tendance à beaucoup bouger en piste différencie les Tricolores des autres nations.

On est plutôt sur du « lent-rapide »

On prend beaucoup de risques, on fait beaucoup de travail en piste pendant que les Asiatiques vont « vite-vite », ils restent beaucoup au milieu, ça commence très vite et ça finit très viteexplique Emeric Clos. On est plutôt sur du « lent-rapide »‘». Au contact d’entraîneurs étrangers, les fleurettistes asiatiques ont beaucoup évolué dans leur approche : «Leurs athlètes étaient un peu fous, ils allaient dans tous les sens et ils étaient faciles à contrercontinue-t-il. Les entraîneurs français partis en Asie leur ont donc apporté une approche tactique différente et une palette de mouvements énorme et devenue plus difficile à lire aujourd’hui.« .

Des différences techniques et tactiques qui tendent cependant à disparaître selon Erwan Le Pechoux. Pour appuyer son propos, il prend l’exemple de l’Américain Nick Itkin, alors en plein échauffement avec la délégation américaine à quelques mètres de son équipe japonaise. “Il est américain mais son père a émigré d’Ukraine aux États-Unis et il a appris l’escrime auprès de son père. Il y a aussi de nombreux Égyptiens aux États-Unis. En Asie, c’est pareil. En ce moment, il y a des Français, mais avant, il y avait des coachs d’autres pays.« .

C’est plutôt sur le mental que les différences se font à l’écoute. C’est en tout cas dans ce domaine qu’il a privilégié sa priorité en arrivant au Japon. “J’ai beaucoup insisté au départ sur la conscience de leurs qualités et de leurs possibilitésil explique. Avant, c’étaient les mêmes tireurs, mais ils n’y croyaient pas. Quand ils battaient une équipe, c’était un exploit pour eux. Et maintenant le Japon est devenu une nation forte« . Le record japonais le confirme : sous les ordres du Français, l’équipe japonaise a remporté son premier titre mondial par équipe en 2023, et son premier sacre olympique aux Jeux de Paris 2024.

Les Japonais sont très différents d’avant

L’aspect mental est aussi le premier élément mis en avant par Enzo Lefort concernant les entraîneurs français. Champion olympique par équipe en 2021, Lefort a également été champion du monde à trois reprises, par équipe et en individuel. Il se souvient : « Lorsque Franck Boidin et Emeric Clos sont arrivés en équipe de en 2013, ils ont voulu nous redonner l’envie de jouer sur piste. Ce que les entraîneurs français apportent à l’étranger, c’est du plaisir. Les Japonais sont très différents d’avant. Maintenant on les voit s’amuser, ils n’ont plus peur de perdre, ils ne s’en veulent plus lorsqu’ils prennent un coup. De son côté, Ka Long Cheung n’a plus peur de se tromper. dans la mentalité selon laquelle les entraîneurs français amènent les choses à l’étranger« .

Enzo Lefort et les Bleus du fleuret lors de l’Euro 2024.

Crédit : Getty Images

Julien Mertine, également champion olympique et mondial, est du même avis que son équipier : «Les Hongkongais et les Japonais s’entraînaient aussi dur avant l’arrivée de Grégory (Koenig) et Erwan (Le Pechoux), mais ils remplissaient les cartons. Les Français apportaient du plaisir sur la piste mais aussi en dehors, en termes d’échanges, dans leurs relations. Lorsqu’un athlète est assis, replié sur lui-même ou lorsqu’il a les épaules ouvertes et discute avec tout le monde, il n’est plus le même adversaire sur la piste.« .

L’importance de l’aspect psychologique

Le Parisien, qui pourrait annoncer sa retraite à l’issue du CIP ce week-end, ajoute : «Sur le plan psychologique, Franck Boidin est incroyable. Il vous attrape par l’épaule et cela suffit à vous remonter complètement le moral. Avant de croire en vous, il faut que quelqu’un vous fasse croire que c’est possible, et quand votre coach croit en vous, vous pouvez mettre toutes les touches du monde« .

Le regard malicieux, Erwan Le Péchoux profite de la présence des nouveaux dirigeants de la fédération française pour poser une question (très) fort : «Reste à savoir pourquoi la fédération laisse autant d’entraîneurs partir à l’étranger ? Aux Championnats d’Asie 2024, il y avait onze entraîneurs français de toutes armes… mais certains sont partis parce qu’on ne les a tout simplement pas retenus« . Un lien de cause à effet se dessine d’autant plus facilement que le fleuret français n’est plus dominant, malgré son or olympique de 2021 et son bronze à Paris. En l’état, le dernier titre mondial remonte à 2014.

Ainsi, conserver les meilleurs entraîneurs au sein du giron français sera un des axes de travail du prochain directeur technique national censé être nommé début mars, et pourquoi pas aussi faire revenir ceux partis en exil. Brice Guyart l’espère : «Erwan Le Péchoux, on n’a pas réussi à le garder, à lui proposer quelque chose de suffisamment intéressant d’un point de vue sportif et je ne parle pas seulement de l’aspect financier. À court terme, c’est une perte mais à moyen ou long terme, cela peut être très efficace. Il a acquis de l’expérience et pourrait revenir plus fort pour servir les Français« . Dans le CV du futur DTN de l’escrime française, il faudra peut-être savoir réciter par cœur le poème de Joachim Du Bellay : «Heureux celui qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage…

 
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