LLe 22 janvier 2025, le Service de protection de la communauté juive de France (SPCJ) publie son rapport annuel sur l’antisémitisme pour l’année 2024, devançant ainsi le ministère de l’Intérieur. Le Crif, fort de ces données, s’est empressé de relayer l’information en publiant une synthèse sur son site Internet.
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En 2024, 1.570 actes antisémites ont été recensés, contre 1.676 l’année précédente, soit une baisse de 6,3%. Toutefois, la moyenne mensuelle a atteint un niveau inédit avec 130 actes, marquant un nouveau niveau qui se maintient et se confirme mois après mois.
A LIRE AUSSI « Les propos racistes et antisémites méritent une véritable réponse pénale » Rappelons que la méthodologie utilisée s’appuie sur les synthèses chiffrées du service central de renseignement territorial, dépendant du ministère de l’Intérieur. Ces données, qui comptabilisent les « actions » et les « menaces », sont croisées avec les rapports du ministère et du SPCJ. Mais seuls les actes ayant fait l’objet d’une plainte ou d’une enquête sont comptabilisés, ce qui peut sous-estimer la réalité, certaines victimes ne portant pas plainte par crainte de représailles. Malheureusement, des informations précises sur le nombre de personnes traduites en justice, le nombre de condamnations prononcées, les peines appliquées et le nombre de licenciements pour actes antisémites ne sont pas disponibles dans les résultats de recherche fournis.
Regards sur les chiffres des actes antisémites
D’octobre 2000 à fin 2022, la France a recensé 13 091 actes antisémites. En additionnant les chiffres de 2023 (1 676) et 2024 (2 570), le total s’élève à 16 337 enregistrements, un nombre considérable sur cette période de 24 ans. Ce chiffre alarmant démontre que l’antisémitisme n’est pas un phénomène récent, mais une réalité profondément ancrée dans la société française depuis plus de deux décennies.
Une corrélation récurrente se dessine entre pics d’actes antisémites en France et périodes de tensions au Moyen-Orient, particulièrement visible dans les années 2000, 2002, 2004, 2009, 2012, 2014, 2019, 2023 et 2024.
L’année écoulée a été marquée par une dégradation significative du climat à l’égard de la communauté juive dans l’espace public français. Cette détérioration s’est manifestée dans divers domaines. Les statistiques indiquent que l’antisémitisme cible principalement les personnes (65,2%), avec un taux alarmant de violences physiques, dépassant les 10% des agressions. La majorité des actes se produisent dans la sphère privée (près de 35 %) et sur la voie publique (22 %), touchant la quasi-totalité du territoire français (88 départements sur 101, soit 87 %).
A LIRE AUSSI Conférence sur la lutte contre l’antisémitisme : un tournant tardif ? Paris concentre le plus d’incidents (379), suivi des Hauts-de-Seine (131), du Val-de-Marne (110), de la Seine-Saint-Denis (92), des Bouches-du-Rhône (78) et des Alpes- Maritimes (56). Dans ces départements, les actes antisémites surviennent principalement dans la sphère privée et dans les centres communautaires. Le milieu éducatif n’est pas épargné, avec 192 actes ayant fait l’objet d’une plainte en 2024, soit 12,2% du total des actes antisémites enregistrés cette année-là. À l’heure où les enseignants craignent d’aborder la Shoah ou le conflit israélo-palestinien dans les cours d’histoire, la question se pose du traitement de ces matières sensibles dans nos écoles. Comment ces thèmes sont-ils enseignés aujourd’hui ? Les élèves sont-ils réellement sanctionnés lorsque des commentaires ou des comportements inappropriés sont observés ?
-Décrypter les tendances antisémites
Ces chiffres révèlent que l’antisémitisme actuel présente plusieurs caractéristiques qui se développent conjointement et se succèdent. On note la persistance des stéréotypes et préjugés antisémites, ainsi que l’utilisation des réseaux sociaux comme vecteurs d’accusations multiples. Mais c’est la prévalence de l’antisémitisme lié au conflit entre Israël et le Hamas qui ressort en 2025.
Dans ce contexte, il convient de souligner la stratégie délibérée de La France insoumise, qui fait du conflit israélo-palestinien un pilier central de sa campagne. Cette démarche vise à mobiliser sa base militante, fédérer ses partisans et potentiellement séduire l’électorat musulman français.
A LIRE AUSSI L’Europe ou le continent de l’antisémitisme passifCependant, Israël est au centre de toute une imagination conspirationniste. Cet antisionisme démonologique prend diverses formes particulièrement agressives : délégitimation d’Israël, manifestations pro-palestiniennes parfois violentes, inscriptions et messages antisémites sur les réseaux sociaux, attentats ou accusations précises. Par ailleurs, dans certaines banlieues, le discours déstructuré des jeunes glisse rapidement de l’antisionisme à l’antisémitisme, d’Israël aux juifs.
Par ailleurs, l’antisémitisme se propage également parmi les musulmans vivant en France ou les Français de confession musulmane, comme le démontre une étude Ifop publiée en octobre 2024 pour l’AJC et la Fondapol. Il révèle que c’est la majorité des Français de confession musulmane qui adhère aux affirmations suivantes : « Israël se comporte avec les Palestiniens comme les nazis se sont comportés avec les Juifs » (65 % des Français de confession musulmane) ; « Les juifs sont plus riches que le Français moyen » (53 %) ; « Les Juifs ont trop de pouvoir dans les médias » (53 %) ; « La Shoah prévient d’autres tragédies historiques » (61%).
Mise en œuvre de mesures à long terme
Cette persistance nécessite une vigilance constante et la mise en œuvre de mesures à long terme ; une approche multidimensionnelle de la lutte contre l’antisémitisme est nécessaire. Premièrement, face aux risques d’importation du conflit israélo-palestinien, il est crucial de protéger la communauté juive française. Mais il faut aussi adopter une vigilance et une sévérité « exemplaires » envers les auteurs d’actes antisémites.
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Kangourou du jour
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J’insiste sur la nécessité de renforcer les systèmes d’éducation et de formation contre la cyberhaine, en particulier pour les jeunes et les groupes vulnérables. Justement, dans les réseaux, il faut obliger les plateformes à traiter rapidement les signalements de contenus haineux. Enfin, il est essentiel que les hommes politiques soient conscients de l’impact de leurs propos sur le conflit israélo-palestinien ; les discours irresponsables et violents, en particulier, peuvent exacerber les tensions et alimenter l’antisémitisme dans notre pays.
*Marc Knobel est historienne, ancienne membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBTQ (Dilcrah). Il est notamment l’auteur de Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet (Hermann, 238 p., 24 €).