La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, réitère son ambition de doubler la production de pétrole et de gaz naturel de la province. Cet objectif est-il réalisable et quelles en seraient les conséquences ? Éléments de réponse.
Cela représente combien de barils ?
Doubler la production pétrolière actuelle de l’Alberta permettrait de produire environ 8,5 millions de barils par jour. Pour le Canada, nous serions autour de 10 millions de barils par jour.
Un tel volume placerait le pays au coude à coude avec l’Arabie Saoudite et non loin de la Russie.
Début du widget. Ignorer le widget ?Fin du widget. Revenir au début du widget ?
Techniquement, la province dispose des réserves nécessaires à cette augmentation de production. Selon l’Agence de régulation de l’énergie (AER), 159 milliards de barils de pétrole sont encore sous terre, la grande majorité dans les sables bitumineux. C’est suffisant pour plus de 50 ans de production accrue.
Les réserves pourraient même être deux fois plus importantes grâce à de futures améliorations technologiques qui permettraient de récupérer davantage de pétrole.
L’Alberta a déjà atteint ce taux de croissance dans le passé. Sa production pétrolière a doublé entre 2010 et 2024. Danielle Smith reste toutefois vague sur le calendrier qu’elle s’est fixé pour voir son ambition se réaliser.
Quels sont les freins à cette croissance ?
Le manque de capacité d’exportation est l’obstacle le plus souvent cité par l’industrie et des experts comme Kevin Birn, analyste chez Perspectives mondiales sur les matières premières de S&P. Le pipeline Trans Mountain, mis en service il y a moins d’un an, pourrait déjà atteindre sa pleine capacité l’année prochaine, selon certaines estimations.
Le projet d’agrandissement du pipeline Trans Mountain a triplé sa capacité de transport de pétrole, pour la porter à 890 000 barils de pétrole par jour.
Photo : Fourni par Trans Mountain
La première ministre Danielle Smith a signé une entente avec Enbridge pour trouver des solutions. Avec l’élection de Donald Trump, la résurrection du projet d’oléoduc Keystone XL est également revenue à l’ordre du jour. Cependant, il n’y a pas assez de volonté dans ce domaine. Le projet d’agrandissement de Trans Mountain a duré 12 ans et son coût a été multiplié par sept.
Le Canada a-t-il les ressources? Oui. Est-il certain d’avoir une capacité de transport ? Je ne suis pas sûr.
Le rythme d’expansion souhaité déterminerait aussi les investissements nécessaires pour faire sortir ce pétrole de terre, note également Kevin Birn.
L’industrie des sables bitumineux se concentre sur l’optimisation de ces installations, dit-il. Comment puis-je tirer le meilleur parti de ce que j’ai ? C’est un [stratégie] efficacité. […] S’il s’agit de nouvelles mines, il faudra une décennie pour les construire. Il s’agit d’un engagement important qui nécessite des infrastructures et du temps.
La dernière mine de sables bitumineux, Fort Hills, de la compagnie pétrolière Suncor, a coûté 17 milliards de dollars et a nécessité 10 ans de développement et 5 ans de construction.
L’industrie souhaite-t-elle investir ?
Ces dernières années, la priorité des sociétés énergétiques a été d’augmenter les dividendes des actionnaires et de ne pas investir dans de nouveaux projets. Selon Kevin Birn, cette orientation n’a pas encore changé, même si elle s’est légèrement modifiée. Il y a un peu plus d’intérêt pour des niveaux d’investissement plus élevés, mais il ne s’agit pas d’un changement
il explique.
L’incertitude politique, en particulier sur des questions telles que le plafonnement des émissions industrielles et l’imposition de droits de douane, est un facteur dans la stratégie d’investissement des entreprises.
L’autre élément réside dans les prévisions économiques que font les entreprises, ajoute Kevin Birn. Si nous ne nous attendons pas à ce que la demande soit très forte à l’avenir, nous devrons obtenir des taux de retour sur investissement plus rapidement.
il explique.
Le prix sera le facteur déterminant de la stratégie de croissance de l’Ouest canadien.
Y aurait-il une demande pour ce pétrole ?
Les scénarios de demande en hydrocarbures diffèrent, mais le directeur scientifique de l’Institut Trottier de l’énergie de Polytechnique Montréal, Normand Mousseau, affirme que la tendance est claire.
Nous arrivons à un point où la demande de pétrole devrait stagner, quoi que fassent le Canada ou les États-Unis.
il explique. La rentabilité nécessite depuis longtemps des revenus importants et nous ne sommes plus dans une situation où nous pouvons assurer ces revenus.
Il est difficile d’imaginer un marché qui connaîtra une croissance considérable à l’échelle mondiale.
Kevin Birn souligne toutefois que la production canadienne ne répondrait pas nécessairement à la nouvelle demande, mais remplacerait la production en déclin des autres pays. Normand Mousseau répond que la géopolitique est essentielle dans le marché de l’énergie.
En doublant sa production, le Canada passerait d’environ 4 % de part du marché mondial à 8 %, une augmentation qui ne passerait pas inaperçue auprès de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.
Les pays producteurs de pétrole à bas prix, comme les membres duOPEPne seront pas prêts à voir les prix baisser significativement avec une augmentation massive du pétrole et ils réagiront
souligne Normand Mousseau.
Et les conséquences environnementales ?
Doubler la production ne signifie pas nécessairement doubler les émissions de gaz à effet de serre. Kevin Birn a montré un découplage de ces deux éléments grâce aux technologies permettant de réduire l’intensité carbone des barils de pétrole.
Cependant, le nombre total d’émissions augmenterait considérablement alors que ce secteur est déjà le plus grand contributeur aux émissions du Canada, représentant 31 % du total national.
L’Alberta et l’industrie pétrolière font pression en faveur du recours au captage et au stockage du carbone pour produire davantage sans augmenter les émissions. Cependant, cette technologie n’a pas encore fait ses preuves à grande échelle et les négociations sur les investissements publics sont toujours en cours.
Est-ce réaliste ?
Kevin Birn estime que les conditions pour doubler la production ne sont pas encore réunies et que le calendrier pour atteindre cet objectif joue un rôle important dans la réalisation de l’objectif. Il estime cependant que l’ambition de Danielle Smith ne doit pas être considérée comme un objectif concret, mais plutôt comme un une vision
pour accélérer la croissance et attirer davantage d’investissements.
Normand Mousseau estime toutefois que ce type de message est une perte de temps.
Cela signifie que nous détournons notre attention des transformations qui seraient bien plus bénéfiques pour l’Alberta et le Canada dans les années à venir.
dit-il.