« Matrix » n’est pas le premier système de communication cryptée entre criminels, mais il se présente comme très sophistiqué. Il s’agit de téléphones spécialement dédiés au crime organisé, aux groupes criminels impliqués dans le trafic international de drogue, le trafic d’armes et le blanchiment d’argent. Ils coûtent entre 1 300 et 1 600 euros pièce, abonnement compris, et sont équipés d’un système de cryptage très sophistiqué.
“Ce sont des téléphones qui sont vendus discrètement, ce n’est pas quelque chose que l’on peut acheter dans un magasinprécise Johanna Brousse, vice-procureuse, chef de la section J3, chargée de la lutte contre la cybercriminalité au parquet de Paris, plus précisément à Junalco, la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée. Il est vendu confidentiellement par des gens qui savent très bien comment se procurer ce type d’outil.
« Matrix » a été découvert par la police néerlandaise il y a trois ans alors qu’elle enquêtait sur le meurtre d’un journaliste aux Pays-Bas. S’ensuit un travail très pointu, conjoint avec la cyberpolice française, sous la houlette de juges spécialisés comme la vice-procureure Johanna Brousse. “La première chose à faire est de localiser les serveurs utilisés par ces solutions de téléphonie cryptées et derrière cela, nous mettons en place des techniques d’investigation particulières appelées capture”, explique-t-elle.
“Nous allons pirater les serveurs pour pouvoir récupérer les messages.”
Johanna Brousse, procureure adjointe, chef de section J3, chez Junalcosur franceinfo
Deux millions de messages ont été interceptés en 33 langues ces derniers mois et mardi 3 décembre, une quarantaine de serveurs, principalement basés en France et en Allemagne, ont été mis hors service, lors de cette vaste opération policière qui a impliqué quatre pays, la France, Espagne, Allemagne et Lituanie. Les enquêteurs ont également mis la main sur près d’un millier de ces téléphones Matrix dédiés au crime organisé. Plusieurs plans d’assassinat possibles ont été révélés.
Trois personnes, toutes originaires de pays de l’Est, ont été interpellées mardi, l’une à Paris où elle a été placée en garde à vue, et les deux autres en Espagne. Selon une Source proche de franceinfo, l’homme arrêté en France par des policiers du bureau anti-cyber de la police judiciaire (Ofac), est de nationalité étrangère, considéré comme étant en contact direct avec le créateur de la solution. Une villa évaluée à 15 millions d’euros a également été saisie en Espagne, ainsi que quatre véhicules de luxe, 145 000 euros en espèces et 500 000 euros en cryptomonnaies.
Tout ce matériel reste à exploiter car, même décryptés, les messages s’avèrent souvent incomplets. « Le fichier ‘Matrix’ est dans la même veine que les fichiers Sky ECC ou Encrochat »ajoute Johanna Brousse, la chef de section J3. « En amont, nous avons des criminels qui maîtrisent la cybertechnologie, les moyens de chiffrement et ils utilisent ce savoir-faire au profit des organisations criminelles internationales ». Et les criminels deviennent de plus en plus prudents. “Même pour communiquer, ils ne mettent pas leurs œufs dans le même panier”explique à franceinfo une Source proche du dossier. Dans le dossier emblématique Skye ECC, des conversations entières étaient accessibles. Aujourd’hui, les messages s’avèrent souvent incomplets, les criminels les envoyant, comme un puzzle, en plusieurs morceaux et via plusieurs réseaux différents.“Nous décodons le code Morse”résume cette Source proche.
Johanne Brousse met en lumière un « une vraie expertise » développé en France et aux Pays-Bas. « Il faudra du - pour tout analyser et alimenter les procédures incidentes, les dossiers partout dans le monde »admet-elle, tout en concluant sur une note optimiste : « Quand on entend dire que peut-être la bataille contre les stupéfiants est perdue, nous ne sommes pas d’accord et nous luttons au quotidien pour entraver leur action et mettre à mal ces organisations criminelles, en France mais aussi dans le monde entier. monde”, se défend le vice-procureur.