Estrien René Lapierre n’oubliera jamais son Noël 2022. Dans le petit bungalow de sa mère, toute la famille a froid. « Il faisait le plus chaud possible pour survivre », se souvient son fils. Surendettée et à bout de souffle, Thérèse Roy n’est plus en mesure de rembourser ses créanciers.
Sa mère étant aujourd’hui décédée, son fils prend la parole pour déplorer la facilité avec laquelle elle a eu accès au crédit.
À ses yeux, il manque au Québec un filet important en matière de dette. J’en appelle aux institutions financières et j’en appelle également au gouvernement pour qu’il encadre les marges de crédit et les hypothèques pour les personnes âgées.
L’histoire de Thérèse Roy montre qu’il peut être facile – et surtout rapide – de s’endetter. Tout a commencé en 2019. A l’époque, la couturière vivait dans un appartement, avec un salaire modeste. Après avoir rencontré son partenaire, elle a acheté une maison avec lui. L’homme verse une mise de fonds importante, ce qui leur permet d’obtenir un prêt hypothécaire mensuel raisonnable.
Pour René Lapierre, c’est l’achat de la maison qui ouvre grand, pour Thérèse Roy, le piège de l’endettement.
Elle avait des cartes de crédit, mais sans la maison, [les institutions financières] lui accordait du crédit selon ses moyens. Là, après, comme il y avait la maison, ils ont ouvert le portefeuille
se lamente-t-il.
Ma mère n’était qu’une couturière, elle n’était pas une spécialiste, une professionnelle [du monde] financier. C’était basé sur un professionnel de la finance et il n’a pas fait son travail.
Au moment de son décès, quatre ans après l’achat de sa maison, Thérèse Roy et son conjoint avaient accumulé 154 000 $ de dettes, dont la majorité provenait de sa marge de crédit hypothécaire. Selon les chiffres fournis par M. Lapierre, elle aurait également 20 000 $ de dettes personnelles. Leur revenu familial global était d’environ 3 100 dollars par mois, mais après tous les paiements dus, il restait 100 dollars par mois pour acheter de la nourriture, puis payer l’essence pour le voyage.
il illustre. Ma mère était au bord de la faillite
.
Thérèse Roy, la mère de René Lapierre.
Photo: René Lapierre
Un problème répandu
L’histoire de Thérèse Roy n’est pas celle de tous les aînés. Il existe cependant une tendance qui se généralise : le niveau d’endettement des personnes âgées est en augmentation.
Selon les données recueillies dans le cadre de son Enquête sur la sécurité financière publiée en 2019, Statistique Canada attribue les deux tiers de la croissance de l’endettement des personnes âgées à une augmentation de l’endettement hypothécaire. Car oui, même les seniors ont des dettes hypothécaires.
Les parcours de vie sont plus variés qu’avant. Nous ne sommes plus dans le mode « Je travaille, je paie mon hypothèque et je prends ma retraite sans dettes ». Mais cette mentalité est encore très répandue. Souvent, les seniors endettés ont donc l’impression d’être seuls.
souligne la coordonnatrice de l’ACEF-Estrie, Sylvie Bonin.
Et pourtant, elle ajoute que le pourcentage de personnes âgées endettées – qu’il s’agisse de dettes de carte de crédit, de dettes automobiles ou d’hypothèques non payées – augmente depuis 20 ans
.
Cette réalité s’en confronte à une autre : si parler d’argent est généralement tabou, il l’est encore plus chez les seniors.
Au fond, la dette est un peu taboue. Et chez les personnes âgées, c’est encore plus tabou.
Elle suggère aux aînés qui ont des problèmes d’argent d’ouvrir le dialogue avec leurs enfants. Pour ceux qui seraient trop gênés pour le faire, il est possible de se tourner vers des organismes comme Solutions Budget Plus. La dette n’est pas nécessairement un problème, mais elle peut le devenir
résume-t-elle en soulignant l’importance de ne pas trop attendre avant de consulter.
Réhypothéquer sa maison peut parfois même être une solution efficace, selon le contexte. Une marge de crédit hypothécaire est la méthode de crédit la moins coûteuse. […] Ce pourrait être une bonne idée d’utiliser ce mode. C’est à nous de réfléchir aux raisons pour lesquelles nous voulons nous endetter.
prévient-elle.
Une plainte restée sans appel
René Lapierre soupçonnait sa mère d’avoir des problèmes d’argent. Ce n’est qu’à sa mort en janvier dernier qu’il a pris conscience de l’ampleur du problème.
Ma mère était secrète. Elle a caché toute la situation. Je n’avais pas de chiffres. Elle ne m’a donné aucun chiffre
dit-il.
Le règlement de la succession fut un processus laborieux. Il dut rapidement vendre la maison et le véhicule automobile. Son partenaire a dû trouver un nouveau logement. Aujourd’hui encore, il est difficile d’expliquer comment une institution financière a pu lui prêter autant d’argent, compte tenu de son niveau d’endettement et de son salaire. Il a également déposé une plainte officielle auprès de l’institution financière, qui a été rejetée.
Contacté par Radio-Canada, un porte-parole a répondu par écrit : [Notre institution financière] peut donner des conseils et des outils à ses membres pour limiter leur endettement, mais si les ratios d’endettement sont acceptables compte tenu de plusieurs facteurs, comme dans le cas de M. et Mme Roy, alors la décision de contracter des emprunts ou de consolider diverses dettes contractés avec des commerçants ou d’autres institutions financières appartiennent aux membres.
M. Lapierre demeure amer face à la situation. Il demande au gouvernement de resserrer les règles pour mieux encadrer le taux d’endettement acceptable pour les aînés. Je ne le fais pas pour l’argent. C’est symbolique
dit-il. Son souhait est d’éviter que trop de personnes âgées et leurs familles ne se retrouvent dans la même situation. Au lieu de nous pencher et de vivre la perte, nous avons été obligés de penser à la perte de ma mère du point de vue financier.