Des conclusions en partie partagées avec L’Usine Nouvelle par le Groupement des Industries Aéronautiques et Spatiales Françaises (Gifas). En 2022, la Banque de France dénombrait « seulement » 26 fournisseurs majeurs dans cette situation. Par ailleurs, 30 % d’entre eux ont subi des pertes en 2023. Près de 20 % des principaux sous-traitants de l’avionneur Airbus et du motoriste Safran sont en sérieuses difficultés financières. Et aucun signe d’amélioration nette ne se profile à l’horizon.
Perte de productivité
Ces acteurs sont pris dans une spirale de croissance insuffisamment rentable à laquelle ils peinent à sortir depuis la pandémie. « La situation est préoccupante, mais pas alarmante »tempère Didier Kayat, président du Groupe des équipementiers aéronautiques, de défense et spatial (GEADS), également directeur général de Daher. Les industriels en difficulté financière ne sont pas toujours sur le point de mettre la clé sous la porte. “Quand on est classé rouge dans l’analyse de la Banque de France, cela veut dire qu’on emprunte à des taux prohibitifs qui ne sont plus compétitifs ou qu’on ne trouve plus de moyens de financement, dans le pire des cas”explique Frédéric Parisot, le délégué général du GIFas. Deux segments d’activité, sur les douze existants, concentrent l’essentiel des points chauds du secteur : l’usinage et l’aérostructure. Quant aux PME – environ 220 entreprises au GIFas – elles s’en sortent plutôt mieux. Ils étaient 24 en zone rouge en 2023, contre 37 en 2022.
Comment expliquer cette mauvaise situation ? D’abord par une forte baisse de l’efficacité opérationnelle. « La crise du Covid a conduit à envisager des réductions d’effectifs d’environ 20 % chez nombre de ces acteurs, avec principalement des départs de personnes expérimentées.explique Bernard Birchler, expert aéronautique de Bain & Company France. Depuis, ils ont réembauché environ 20 % des effectifs, mais avec des profils beaucoup moins expérimentés. Près de 30 % des postes ont été renouvelés dans le secteur depuis 2019, selon le GIFas. Résultat : aujourd’hui, le secteur produit moins qu’avant la crise, mais avec un effectif plus important (210 000 salariés, contre 202 000 en 2019). La perte de productivité est comprise entre 10 et 15% dans les segments les plus critiques sur la période 2019-2024.
Pression des dirigeants
Par ailleurs, les sous-traitants de l’aéronautique ont vu leurs coûts exploser. Hausse des prix de l’énergie, mais aussi des matières premières et des salaires, inflation jusqu’à 40 % dans certains pays à bas coûts… « Certains ont vu leurs coûts de production bondir de plus de 20 % »estime Bernard Birchler. Les situations de surendettement ne sont pas étrangères aux prêts garantis par l’État (PGE), accordés au plus fort de la pandémie. « Les entreprises doivent les rembourser, tout en faisant face à l’augmentation de leurs besoins en fonds de roulement pour accélérer leur production et investir en capacité »décrypte Didier Kayat.
Le secteur doit encore rembourser 500 millions d’euros de PGE d’ici trois ans. « Nous avons demandé à l’État de faire une pause pour donner un répit aux entreprises qui en ont besoinsays Frédéric Parisot. Mais cela n’a pas été possible car ces PGE, liés au contexte exceptionnel du Covid, sont soumis à des règles européennes strictes, selon Bercy. On assiste donc à des réticences de la part des banques, qui ont lâché des entreprises du segment des aérostructures, témoigne, sous couvert d’anonymat, un industriel du GEADS.
Des problèmes de qualité qui persistent
Les PME et les grands fournisseurs subissent également de plein fouet les changements répétés des plannings d’Airbus et de Boeing. Le premier fait face aux retards de certains fabricants clés et le second semble incapable, pour l’instant, de remédier aux problèmes de qualité qui limitent sa production. Ces faibles niveaux de livraison remettent en question le chiffre d’affaires prévu des fournisseurs et tendent à assécher la trésorerie. « Les meilleurs élèves souffrent et les moins bons explosent »résume le patron d’un sous-traitant. Chez certains managers, le doute s’installe quant à la nécessité de suivre à la lettre les objectifs de ceux qui donnent les ordres.
« De nombreux fournisseurs ont finalement accepté des contrats qui ne leur étaient pas rentables »dit Bernard Birchler. En d’autres termes, ils auraient absorbé la majeure partie des augmentations de coûts. « Au moment de la crise, les entrepreneurs ont renégocié certains contrats en proposant des facilités de trésorerie », raconte un bon connaisseur du secteur. Mais avec en contrepartie des baisses de prix annuelles comprises entre 2 et 3% selon les cas.» Le partage de valeur au sein du secteur promet d’alimenter les débats entre les différents acteurs dans les mois à venir.
L’industrie resserre les rangs
Face à la situation financière préoccupante de certains sous-traitants, les dirigeants du secteur aéronautique œuvrent en coulisses. Une « tour de contrôle » se réunit chaque mois pour évaluer les entreprises les plus à risque et définir des plans d’action. Le GIFas a également dévoilé le 1er octobre Aero Excellence : un benchmark basé sur l’auto-évaluation qui indique le niveau de maturité industrielle des fournisseurs.
Le secteur y voit un outil incitatif pour que les PME et ETI se mettent à niveau. Plus de 80 sites sont actuellement en cours de validation et 100 devraient l’être d’ici la fin de l’année. Par ailleurs, un nouveau fonds d’investissement, Tikehau Ace Aéro Partenaires 2, est promis dans les prochaines semaines, succédant à celui créé pendant le Covid. Il pourrait disposer à terme d’un budget de 800 millions d’euros, complété notamment par Bpifrance et les quatre grands clients (Airbus, Safran, Dassault Aviation et Thales). De quoi remettre de l’huile dans les roues.
Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3736 – novembre 2024
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