Au début des années 1970, le gouvernement québécois cherche à identifier les principaux réseaux criminels liés au commerce illicite de la drogue, au jeu et à la prostitution. Il faut dire que le Parti libéral du Québec a longtemps bénéficié de la générosité de la pègre montréalaise et que le gouvernement Bourassa craint, depuis son retour au pouvoir, de se retrouver englué dans un scandale impliquant la mafia.
Dans les médias, le ministre de la Justice de l’époque, Jérôme Choquette, a déclaré vouloir mettre fin au chantage, à la violence et à l’extorsion liés à ces activités qui gangrènent la société, particulièrement Montréal.
COMMISSION
En 1972, le gouvernement crée la Commission d’enquête sur le crime organisé, mieux connue sous l’acronyme CECO. Les premières auditions de la commission débutèrent en février 1973. Pour la première fois, chacun put suivre ses débats à la télévision. Le grand public voit en direct les visages des hommes qui tirent les ficelles du crime au Québec. On les voit se faire cuisiner par les commissaires, un peu comme lors de la commission Charbonneau.
Les Québécois sont frappés par l’arrogance de ces bandits. Il faut dire que jusqu’alors, les activités illicites de ces groupes criminels, comme la mafia italienne, étaient restées dans l’ombre. Jour après jour, on découvre les magouilles de la pègre au mépris de la communauté.
Enquête sur le crime organisé. Dossier relatif à l’introduction frauduleuse de viandes impropres à la consommation humaine et à la fraude relative à la viande chevaline : rapport intermédiaire de l’enquête sur la criminalité organisée.
Photo fournie par BIBLIOTHÈQUE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
METTRE EN LUMIÈRE LES ACTIVITÉS CRIMINELLES DE LA MAFIA
Lors des nombreuses audiences du CECO, les commissaires font venir à la barre des mafieux notoires tels que Paolo Violi, Armand Courville ou Angelo Lanzo, mais aussi le parrain de la mafia montréalaise lui-même, Vic Cotroni. Il se présente comme une personne pieuse, discrète et honnête. Un homme d’affaires qui a bâti sa réputation grâce à l’industrie du divertissement et à sa fortune dans le commerce des saucisses et du pepperoni.
Les commissaires établissent des liens flagrants entre la mafia et le monde de la drogue, des jeux d’argent, du commerce humain, de la vente de viande pourrie et du financement des partis politiques. Rien n’est laissé au hasard, tout arrive. Ces révélations publiques ébranlent la loi du silence de ces mafieux. Tout au long des travaux de la commission, ceux qui parlent trop s’exposeront à des représailles. Certains seront même assassinés.
Ces révélations, notamment le scandale de la viande avariée, ébranlent la confiance des Québécois envers leurs institutions.
Lanceur d’alerte. Les travailleurs du secteur alimentaire affirment que des viandes périmées ou de qualité inférieure sont distribuées au Québec et que les inspecteurs des aliments reçoivent des pots-de-vin pour fermer les yeux sur cette pratique.
Photo fournie par ENCYCLOPÉDIE DU CRIME ORGANISÉ CANADIEN
SCANDALE DE LA PAUVRE VIANDE
Les enquêteurs démontrent que depuis plusieurs années, la mafia montréalaise se livre au recyclage de morceaux de viande impropres à la consommation humaine par l’intermédiaire d’entreprises comme Alouette Meat Market et O’bies Meat Market. Ce réseau dégoûtant opère à grande échelle et implique des inspecteurs, des fonctionnaires et même des hommes politiques. Le public a découvert avec étonnement que, sans aucun contrôle de qualité, au moins un demi-million de livres de charognes avaient été introduites dans les boucheries, les écoles, les hôpitaux et même dans les hot-dogs ou hamburgers mangés par les visiteurs d’Expo 67.
O’bies Meat Market : l’entreprise contrôlée par le clan Cotroni est l’un des principaux fournisseurs de hot-dogs et de hamburgers à l’Exposition universelle de Montréal.
Photo fournie par BAC
Ces quatre années de commission et surtout ce scandale ont mis en lumière la corruption ainsi que l’étendue du pouvoir des grandes organisations criminelles montréalaises. Après avoir entendu cette troublante vérité révélée, les Québécois sont convaincus que les barons du crime seront arrêtés et emprisonnés une fois le rapport du CECO déposé. Même si la mafia et le clan Cotroni sont sérieusement ébranlés, on ne peut pas vraiment dire que de nombreux criminels ont fini en prison et que l’État a mis en place des mesures pare-feu efficaces pour protéger nos institutions.
Tentative de meurtre du journaliste Jean-Pierre Charbonneau. Le soir du 1er mai 1973, le jeune journaliste spécialisé dans les affaires criminelles est abattu à bout portant dans les locaux du « Devoir ». C’est en couvrant les auditions de la Commission d’enquête sur le crime organisé que, peu après l’attentat, notre journaliste a reconnu son agresseur, Tony Mucci. Il sera formellement inculpé de tentative de meurtre.
Photo fournie par JEAN-PIERRE CHARBONNEAU