Quand les belles annonces d’Ottawa se dégonflent

Il faut lui accorder ça, Guillaume Carle ne lésine pas sur son look. Et pourtant, malgré sa veste à franges, sa queue de cheval et le gros collier en os qui lui entoure le cou, le Gatinois n’est pas natif pour cinq sous. C’est de la frime, dénoncée de toutes parts depuis des années.


Publié à 1h34

Mis à jour à 5h00

Cela n’a pas empêché le gouvernement fédéral d’attribuer des dizaines de contrats à sa défunte entreprise, Night Hawk Technologies, dans le cadre de la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones (SPA). Ce même programme est aujourd’hui au coeur du scandale ArriveCan.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

William Carlé

J’ai enquêté sur les contrats fédéraux de Guillaume Carle, le faux Autochtone de Gatineau, en 2019. Ottawa a laissé faire. Cela fait des lustres qu’il abandonne ce genre d’absurdités. On en vient à croire que tout ce qui l’intéresse, au fond, c’est de faire de belles annonces, pas de vérifier si ses programmes fonctionnent. Surtout pas.

Il aurait fallu en la matière ArrivePeut » lui explose au visage, si bien que le gouvernement admet – douloureusement – ​​que la SAEA fonctionne mal, très mal. En fait, s’il ne corrige pas rapidement la situation, les scandales risquent de s’accumuler à sa porte.

En 2021, Ottawa a fait ce qu’il aime faire par-dessus tout : une belle annonce. Les cibles étaient ambitieuses : dès 2025, tous les ministères et organismes fédéraux devraient offrir au moins 5 % de leurs contrats à des entreprises autochtones.

Le gouvernement n’a pas écouté les représentants des Premières Nations qui ont souligné les failles du SAEA, un programme qui existe, sous une forme plus modeste, depuis l’époque de Jean Chrétien. Il a ignoré le rapport fédéral qui soulignait, dès 2007, l’absence d’un mécanisme adéquat pour vérifier si les travaux étaient bien effectués par des Autochtones.

Le gouvernement de Justin Trudeau a fermé les yeux, s’est bouché les oreilles et s’est précipité avec son annonce vertueuse.

En conséquence, le nombre d’inscriptions au Répertoire des entreprises autochtones a bondi de 40 %, selon le Globe et Mail. La valeur des contrats attribués dans le cadre de la SAEA a quintuplé, pour atteindre 862 millions de dollars en 2022-2023.

Cette croissance vertigineuse ne serait pas un problème, ce serait même une excellente nouvelle, si le programme était solide et servait réellement à améliorer les conditions socio-économiques des communautés autochtones du Canada.

Malheureusement, on le sait trop bien, l’enfer est pavé de bonnes intentions…

L’affaire ArrivePeut a mis en lumière un stratagème que l’on soupçonne assez répandu : de minuscules entreprises indigènes, de deux ou trois salariés, servent de façade pour mettre la main sur des contrats réservés aux entrepreneurs indigènes.

Ces microentreprises jouent un rôle intermédiaire. Ils remportent les contrats, pour ensuite les céder à des entreprises non autochtones. Ce faisant, ils s’accordent une grosse commission, remerciant le ciel (et les contribuables) pour leur bonne fortune.

David Yeo, l’entrepreneur au coeur du scandale ArrivePeut qui a servi d’intermédiaire auprès de collègues non autochtones, qualifié pour le programme en tant qu’arrière-petit-fils d’un grand chef de la Première Nation d’Alderville en Ontario.

PHOTO D’UNE VIDÉO

Le fondateur de Dalian, David Yeo, témoignant devant le Comité permanent des comptes publics en mars dernier

Même s’il n’a aucun statut et qu’il a grandi hors réserve, David Yeo répond aux critères aux yeux d’Ottawa. Le programme lui a également permis de s’associer à une entreprise non autochtone.

Bref, il a coché les bonnes cases. Très bien. Mais… en quoi l’attribution de ce contrat a-t-il aidé la communauté à laquelle il fait appel ?

La SAEA exige qu’un tiers du travail soit effectué par des salariés indigènes, mais le gouvernement ne vérifie presque jamais si ses propres règles sont respectées. Seuls quatre audits ont été réalisés depuis 2016, selon le Globe et Mail.

Autrement dit, Ottawa ne se donne pas les moyens de vérifier si son généreux programme profite aux personnes qu’il est censé aider. Comment ces entrepreneurs redonnent-ils à leurs communautés ? En font-ils vraiment partie ?

Vendredi, mes collègues Joël-Denis Bellavance et Mylène Crête révélaient qu’une autre entreprise était tombée dans la brèche : Advanced Chippewa Technologies Inc., avec ses quatre employés et sa résidence privée qui lui sert de siège social à Ottawa, a gagné 134 millions en bourse fédérale. contrats depuis 2004…

Fondamentalement, l’entreprise revend du matériel informatique et des logiciels aux ministères pour le compte d’acteurs majeurs comme Apple, IBM et Microsoft.

Encore une fois : comment cela aide-t-il les peuples autochtones à travers le pays ?

Ne les prive-t-on pas plutôt d’opportunités en permettant à une poignée d’entrepreneurs d’empocher les millions de dollars qui leur étaient destinés ?

Beaucoup en sont convaincus. L’année dernière, plus de 50 institutions financières autochtones ont averti Ottawa que la SAEA encourageait le recours à des « sociétés écrans » pour obtenir des contrats, au détriment des entreprises autochtones légitimes.

Ajoutez à cela le fait que le gouvernement permet à presque tout le monde de s’inscrire à son Répertoire des entreprises autochtones (par exemple Guillaume Carle) et ainsi d’avoir accès aux contrats destinés aux Inuits, Métis et Premières Nations de ce pays…

La ministre canadienne des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a annoncé un examen majeur de la SAEA. Ce n’est pas trop tôt. Il est grand temps de boucher les failles de cette stratégie bienveillante, certes, mais scandaleusement imparfaite.

 
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