Pourquoi la Silicon Valley s’infiltre-t-elle dans la campagne électorale américaine ?

Si la Silicon Valley était la seule à voter aux élections présidentielles américaines, qui gagnerait, Kamala Harris ou Donald Trump ? « 200 % Harris », répond sans hésiter le sociologue Olivier Alexandre, auteur du livre La technologie : Quand la Silicon Valley refait le monde.

Ce n’est cependant pas l’impression donnée par certaines personnalités californiennes, particulièrement bruyantes depuis le premier attentat contre Trump le 13 juillet.

A commencer par Elon Musk, le propriétaire de X (ex-Twitter). Sur sa plateforme, il ne cache pas son allégeance républicaine avec des dizaines de publications par jour. Le milliardaire prévoyait également des investissements mensuels de 45 millions de dollars américains (60,5 millions de dollars canadiens) dans la campagne Trump, selon le Journal de Wall Street.

Elon Musk, PDG de SpaceX et Tesla, et propriétaire de

Photo : Reuters / Gonzalo Fuentes

A cela s’ajoute l’attractivité de JD Vance, le colistier choisi par l’ancien président américain, venu donner un nouveau souffle à sa campagne.

JD Vance a la capacité d’organiser des collectes de fonds en capital-risque et a réussi à amener des personnes comme David Sacks à des rassemblements physiques. [du fonds de capital-risque Craft Ventures, qui s’était prononcé contre Trump à la suite de l’insurrection du 6 janvier] et David Marcus, un ancien cadre de Facebook.

Une citation de Olivier Alexandre, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Le candidat à la vice-présidence compte sur un important réseau de contacts dans la Silicon Valley. Il a travaillé pour Peter Thiel, co-fondateur de PayPal et président de Palantir Technologies. Cette relation s’est déjà avérée payante pour lui : en 2022, le milliardaire a réussi à investir un montant record de quelque 15 millions de dollars dans sa campagne pour accéder au Sénat. Thiel a également contribué au financement des récentes campagnes républicaines.

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Donald Trump et Peter Thiel lors d’une rencontre à la Trump Tower à New York en décembre 2016

Photo : Getty Images / Drew Angerer

Si les liens entre les géants de la technologie et les républicains semblent se renforcer, les démocrates n’ont pas dit leur dernier mot : la campagne de Harris a également reçu le soutien de diverses personnalités importantes de la Silicon Valley depuis le retrait de Joe Biden lors de la course du 21 juillet. moins populaire que le vice-président dans le secteur technologique.

Parmi les bailleurs de fonds figurent l’ancienne numéro deux de Facebook Sheryl Sandberg, le président de Netflix, Reed Hastings, et plus de 700 autres personnalités du capital-risque.

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Ancienne numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg

Photo : Reuters / Joshua Roberts

La candidate bénéficie également de quelques avantages par rapport à son adversaire : Elle a grandi à Oakland [en Californie]ses deux parents étaient chercheurs – son père était professeur d’économie à Stanford – et elle était procureur à San Franciscoénumère Olivier Alexandre.

Ce dernier rôle, exercé de 2004 à 2010, lui a permis d’établir des liens importants avec les dirigeants de la Silicon Valley.

Un visage qui change

À San Francisco, nous avons actuellement un camp pro-Trump alt-droite libertaire, masculiniste, pro-israélien et qui peut aussi être transphobe à l’occasionrésume Olivier Alexandre. De l’autre côté, nous avons des idées opposé, plus progressiste, athée, pro-LGBTQ+, résolument antiraciste et défenseur des droits des minorités qui rejoignent ceux du camp pro-Harris.

Si la Silicon Valley semble si divisée, c’est parce que la technologie n’est pas une industrie très cohésive et organisée en matière de lobbying, comme peuvent l’être l’industrie automobile ou pétrolièresuggère le sociologue du CNRS.

En technologie, il n’existe pas d’organisme suprême. Il existe de grandes entreprises, parfois collaboratrices, parfois concurrentes. Il y a des investisseurs qui gagnent de l’argent grâce à ces entreprises et qui ont des cadres idéologiques différents.

Une citation de Olivier Alexandre, sociologue au CNRS

Malgré cette polarité, il existe un terrain d’entente sur les questions de politique économique et industrielle : Le jeu de la Silicon Valley a toujours été de dire : nous produisons de nouvelles technologies et nous le faisons dans le cadre d’une idéologie libertaire, avec le moins de réglementation possible.

Selon l’expert, les partisans de Trump, par exemple, craignent que Harris augmente les impôts, réglemente les crypto-monnaies, forge un cadre réglementaire surIAassure une meilleure concurrence, renforce les autorités de régulation et continue de limiter les fusions et acquisitions.

En contrepartie, si Trump revient au pouvoir, il est question d’abandonner la fiscalité des grandes fortunes et de ne pas imposer de cadre réglementaire aux cryptomonnaies et à l’IA, ce qui s’inscrit dans un cadre de politique monétaire. espoir de libre-échange.

Trump a démontré ce point de vue en affirmant que l’IA est une guerre contre la Chine et qu’il faut y aller sans réglementation.

Une citation de Olivier Alexandre

L’ancien président américain semble cependant plus radical que son colistier : JD Vance a déclaré à plusieurs reprises qu’il était pro-marketing, [mais qu’il] garantira le respect du droit anticoncurrentiel et brisera les monopoles.

L’ordre du jour ne diffère pas vraiment, [c’est la] stratégie qui sera différenterésume le sociologue.

>>La Silicon Valley vue du ciel.>>

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La Silicon Valley est située au sud de San Francisco.

Photo : iStock/SpVVK

Olivier Alexandre aime rappeler que la Silicon Valley a plus de 100 ans d’histoire et a été fondée sous différentes inspirations idéologiques, dont des valeurs ultracapitalistes. Elle a ainsi un un passé républicainavec des sociétés comme Intel et HP se positionnant en tant que telles.

Puis, dans les années 90, San Francisco est marquée par le boom d’Internet.

La culture de la Silicon Valley est devenue plus cosmopolite, avec des gens très instruits et qui voyagent beaucoup, donc habitués à une forme de tolérance culturelle, idéologique et spirituelle.

Une citation de Olivier Alexandre

Google est également un allié important du défilé de la fierté de San Francisco – rappelons que cette ville a été l’épicentre de luttes communautaires clés. LGBTQ+.

Le camp républicain a quand même réalisé quelques avancées ces dernières années, reconnaît le chercheur : en 2020, Trump a remporté 13 % des voix à San Francisco, contre 9 % en 2016.

Mais si vous regardez l’organisation politique à San Francisco, l’opposition se situe entre progressistes modérés et progressistes radicaux. Cela reste une terre de progressismeinsiste-t-il.

Une influence qui transcende les frontières

Les têtes d’affiche de la Silicon Valley – on compte environ 70 milliardaires dans ce secteur – ne se limitent cependant pas à ce seul territoire. Ils disposent d’une plateforme médiatique importante.

L’industrie numérique est devenue, à partir du milieu des années 2010, la première puissance en matière de lobbying et la première Source de financement des élections présidentielles.explique Olivier Alexandre.

Jamais dans l’histoire une industrie n’a été aussi dominante [dans les] médias. Ce ne sont pas les automobiles qui font la une des journaux, ni le pétrole qui fait la publicité.

Une citation de Olivier Alexandre

À cette omniprésence médiatique s’ajoutent les réseaux sociaux et leurs puissant effet mégaphone par rapport à certaines idéologies socialement marginales.

Elon Musk en est un bon exemple : Il publie toutes les six secondes, est très actif, occupe des positions qui sont loin d’être majoritaires dans la Silicon Valley. Mais il a versé 44 milliards de dollars à son réseau social. Il peut le dire.

Le milliardaire peut se manifester, puisque X est désormais une entreprise privée, Elon Musk n’a donc plus à répondre aux actionnairesexplique Laurence Grondin-Robillard, professeure agrégée et doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Et nombre de ses publications sont relayées dans les médias.

>>Mark Zuckerberg, PDG de Meta, 27 septembre 2023.>>

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Mark Zuckerberg, PDG de Meta, était déjà pressenti comme candidat démocrate potentiel avant que le scandale Cambridge Analytica ne le frappe, selon le sociologue.

Photo : Getty Images / JOSH EDELSON

Le contexte n’est pas le même pour Mark Zuckerberg, PDG de Meta. Il ne se permettrait pas la même chose sur Facebook, WhatsApp ou d’autres de ses plateformes comme Threads et Instagram, précise le chercheur, car elle est étroitement surveillée par ses actionnaires. L’entreprise a déjà été embarrassée par le scandale Cambridge Analytica et par ses échecs face à l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016.

Les réseaux sociaux de Meta restent à l’écart de la politique avec l’ajout récent de fonctionnalités par défaut qui mettent moins en évidence les campagnes électorales et leurs candidats dans les fils d’actualité.

Au-delà de leurs politiques internes, les réseaux sociaux n’ont pas forcément d’obligations en termes d’équilibre du discours sur leurs plateformes lors des campagnes électorales. Les plateformes ne doivent pratiquement rendre compte que des publicités payantes des différents partis, explique Laurence Grondin-Robillard.

>>Portrait d'un homme portant un pull noir, sur fond gris.>>

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Olivier Alexandre, sociologue au CNRS

Photo : Hermance Triay

Une question demeure : les discours en ligne peuvent-ils influencer le vote ? Olivier Alexandre est partagé sur ce point. Ce n’est pas parce qu’on est représenté que ça va changer les façons de penser.

C’est compliqué à démontrer [l’effet des discours en ligne]parce qu’on sait que les gens consomment l’information en groupe, socialement, qu’ils en discutent en famille, au bureau, à l’école, et qu’ils peuvent changer d’avisil explique.

Selon lui, il n’y a pas non plus de consensus sur les effets de la polarisation du débat depuis les plateformes de sa communauté de recherche en informatique. Il estime néanmoins que les réseaux sociaux convaincre des gens déjà convaincus.

Les crises sociales, culturelles et environnementales que nous vivons ne sont pas forcément liées aux plateformes. Ils sont l’expression, le symptôme, un accélérateur peut-être, mais pas à l’origine de tout ce que nous disons.

Une citation de Olivier Alexandre

Pour les habitants de la Silicon Valley et, plus largement, de San Francisco, le secteur technologique n’est pas la seule préoccupation. Lorsqu’elle se rendra aux urnes le 5 novembre, elle aura également en tête les incendies, la sécheresse, les inondations et les droits des communautés. LGBTQ+ et le droit à l’avortement.

 
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