Sous les pavés, les mines

Sous les pavés, les mines
Sous les pavés, les mines

Celia Izoard est journaliste et philosophe, spécialisée dans les nouvelles technologies et leurs impacts, de la robotisation aux voitures électriques, de l’exploitation minière à nos usages et imaginaires. Son – excellent – ​​dernier livre, La ruée vers l’exploitation minière au 21e sièclee siècle, constitue un défi retentissant pour notre civilisation de « mangeurs de terre ». Pour aller un peu plus loin, elle a répondu aux questions du journal Moins!.

Dans votre livre, vous écrivez qu’il est crucial de s’intéresser aux mines pour comprendre la dynamique du capitalisme industriel et le bluff de la « transition » énergétique, c’est-à-dire ?

Célia Izoard : Oui, car la mine est l’une des principales matrices du capitalisme industriel, et je montre dans ce livre qu’elle repose sur l’activité minière, à la fois dans sa matérialité mais aussi dans ses pratiques, ses idéaux et ses valeurs. Autrement dit, non seulement notre monde industriel repose historiquement et matériellement sur le complexe charbon-acier et une intensification sans précédent de l’extraction des métaux, du pétrole, du gaz, etc., mais les manières de produire et de considérer le monde entier comme un Les « ressources potentielles » sont en partie l’héritage de l’activité minière et métallurgique telle qu’elle s’est développée à la Renaissance et au XVIIe siècle.e siècle.

Au fur et à mesure de son expansion, le capitalisme n’a cessé d’intensifier cette extraction tout en étendant cette conception extractiviste à de nouveaux domaines de la vie, par exemple dans l’agriculture intensive ou dans l’organisation du travail avec la gestion des « ressources humaines ». Et pourtant, malgré cela, la mine contemporaine est quasiment absente de notre imaginaire. C’est un énorme paradoxe. Nous ne savons pas ce qui constitue la substance même de notre monde.

Résultat : lorsque nos dirigeants déclarent « il va falloir extraire davantage de métaux » ou « il faut passer aux voitures électriques », ils ne savent pas, littéralement, de quoi ils parlent. Pour reprendre une expression de la philosophe Hannah Arendt : nous croyons faire des choix technologiques mais en fait nous ne savons pas ce que nous faisons. C’est la première chose : il est essentiel de comprendre ce que signifie extrait ; Il est essentiel que les impacts colossaux des mines soient clairement présents dans notre imaginaire.

Je propose donc dans mon livre une lecture minière du capitalisme en montrant qu’il repose sur une succession de désinhibitions des activités extractives, de la conquête des Amériques au projet minier des fonds marins. En fait, si l’idéologie coloniale de « civilisation » était soutenue par un extractivisme frénétique, l’idéologie néocoloniale de « transition » l’est tout autant. Les politiques de Pacte vert nécessitent une augmentation sans précédent de l’activité minière mondiale pour produire des batteries et renouveler les flottes de véhicules, créer des infrastructures électriques, des éoliennes, etc. De ce point de vue, rien ne change fondamentalement.

L’autre « bluff » de la transition, comme vous dites, et dont les conséquences sont extrêmement graves, c’est la prodigieuse légèreté de la promesse selon laquelle ces politiques de transition basées sur l’électrification, et donc sur le minage, pourraient réduire les émissions de carbone. Cette promesse repose sur l’idée que l’on peut exploiter des mines et des fonderies « bas carbone », mais c’est aujourd’hui complètement faux. Ce secteur est l’un des principaux émetteurs de CO2 dans le monde. Les grands projets de transition ont donc toutes les chances d’accélérer le réchauffement climatique.

Vous soulignez que l’extraction des matières premières sert principalement à alimenter l’aéronautique et l’armement : la « transition » avec les énergies renouvelables pourrait-elle être l’arbre qui cache la forêt ?

Non, ce n’est pas ce que je dis. La demande de métaux liés aux énergies renouvelables est véritablement colossale et cela constitue en soi une impasse. Le problème est qu’il s’ajoute à celui des autres secteurs. Aéronautique, aérospatiale, construction et surtout numérique, tous ces secteurs en croissance consomment des quantités prodigieuses de métaux, notamment la course aux mégadonnées. Cependant, j’illustre comment les besoins en métaux pour la transition ont été opportunément soulignés par la Banque mondiale et le lobby minier. Pour quoi? Justifier une nouvelle diplomatie des matières premières, justifier les politiques menées par les pays occidentaux pour obtenir des métaux face à leurs concurrents, la Chine et la Russie.

La transition fournit une justification idéologique à la ruée vers les matières premières demandées par les grands groupes industriels de tous les secteurs, et pas seulement de l’énergie. On voit régulièrement des infographies illustrant les besoins en métaux pour les éoliennes, le photovoltaïque, les batteries ; on ne voit jamais l’équivalent concernant les équipements liés à la 5G ou centres de données. Ce n’est pas une coïncidence. La transition, l’idée de sauver la planète, est la meilleure justification possible en termes d’intérêt collectif. Il serait plus difficile de justifier les nouvelles politiques extractivistes de la loi sur les matières premières par la nécessité de déployer la 5G ou les objets connectés, dont le bénéfice social est quasi nul.

« Qu’une entreprise soit ‘responsable’ ou non ne change rien »

En Suisse, avec plus de 900 entreprises actives dans le négoce de matières premières, la Confédération promeut une exploitation minière dite durable et responsable grâce à une plus grande transparence des flux de matières premières. Une solution technique peut-elle vraiment résoudre les problèmes causés par les mines ?

« Durable », « responsable », « transparence » : tous ces termes ne font qu’obscurcir les vrais enjeux. Si vous regardez le fonctionnement d’un site minier, cela n’a aucun sens. Prenons par exemple « durable » : « durable » devrait signifier que nous nous préoccupons, pour les générations futures, du renouvellement de la ressource et des environnements dont elle est puisée. Mais c’est justement ce que l’activité minière rend impossible, quelles que soient les pratiques et les intentions de l’entreprise, qu’elle soit « responsable » ou non n’y change rien. L’idée est toujours d’exploiter un gisement qui a mis des millions d’années à se former ; il n’est par définition pas renouvelable. En revanche, les milliers d’hectares de déchets miniers que cette exploitation générera inévitablement rendront toute agriculture impossible sur ces terres, de manière irréversible : on ne peut pas cultiver dans les résidus miniers. Une mine consomme autant d’eau qu’une grande ville pour le concassage et le traitement du minerai. Ainsi, dans le meilleur des cas, même s’il n’y a pas de problèmes, pas d’accidents, la mine industrielle est déjà tout sauf « durable ».

Autre exemple, la « transparence ». Savoir de quelle mine provient tel ou tel métal ne change rien aux impacts de cette mine. Par exemple, BMW achète de manière transparente le cobalt extrait de la mine de Bou Azzer au Maroc pour produire les batteries de ses voitures électriques de luxe. C’est une mine de cobalt et d’arsenic : les dizaines de milliers de tonnes de déchets qu’elle génère sont ultra-toxiques et s’entassent à ciel ouvert sur des kilomètres carrés, vulnérables aux vents et aux pluies qui les dispersent. autour. En revanche, on la retrouve au Maroc, dans un régime autocratique où les revendications des travailleurs sont sanctionnées par des représailles, des licenciements arbitraires et pire encore ; un pays où une société minière peut facilement exploiter l’extrême pauvreté des agriculteurs de montagne pour les exposer à des poussières toxiques et à des conditions de travail destructrices. La transparence des flux de matières premières ne résout rien de tout cela, pas plus que les autres problèmes que posent la plupart des mines : accaparement des terres et de l’eau, division de la population, risque de rupture des digues, résidus toxiques.

Vous utilisez le concept de « cosmologie extractiviste occidentale » pour expliquer le rapport au monde des plus puissants et de ceux qui influencent les masses, qu’en est-il ?

J’utilise ce concept de « cosmologie extractiviste » pour désigner l’affinité particulière de la culture occidentale avec les activités extractives, des mines d’or aux champs de pétrole en passant par l’exploitation des terres rares. Une affinité qui a été relevée par certains peuples non occidentaux comme une caractéristique des « Blancs » – en réalité une conséquence de l’histoire européenne dont nous sommes les héritiers. Avec ce concept, je décris le rapport que nous entretenons avec la matière comme un rapport mystique avec la création d’un monde artificiel à la surface, rendu possible par l’exploitation intensive du sous-sol. C’est profondément irrationnel puisqu’il nous conduit à détruire la seule fraction habitable de la terre.

Il s’agit à mes yeux d’une mystique qui sous-tend très profondément le développement capitaliste : l’extraction mise au service de la vie extraterrestre. La vie extraterrestre d’abord sur terre, recouverte de bitume, de béton et d’acier – le capitalisme habite la terre comme si elle était une autre planète – tout en visant la création d’une vie extraterrestre à travers la conquête de l’espace. Elon Musk est une parfaite incarnation de cette cosmologie extractiviste. Tout comme, il y a plus d’un siècle, Cecil Rhodes, le magnat minier sud-africain, figure la plus célèbre de l’impérialisme britannique, qui disait : « Si je pouvais, j’annexerais les étoiles ».

Face aux défis que nous impose le capitalisme hyper-industriel, le sentiment d’impuissance peut prendre le dessus. Cependant, votre livre se termine par un chapitre sur la manière dont les individus et les collectifs ont lutté contre l’extractivisme à tout moment et en tout lieu. Comment ces luttes peuvent-elles nous aider à nous mobiliser ?

Malgré l’asymétrie des rapports de force entre les sociétés minières et les États d’une part, et les populations de l’autre, les premiers déploient de gros efforts pour rendre acceptable la ruée minière actuelle. Les grandes entreprises ne peuvent pas poursuivre leur développement et continuer à accumuler des bénéfices sans un accès garanti aux métaux ; c’est aujourd’hui l’une de leurs principales vulnérabilités. Les luttes contre les projets miniers constituent donc un point d’ancrage essentiel pour construire un rapport de force en faveur de la décroissance.

Intégrer le coût exorbitant de l’extraction dans les projets sociaux pour lesquels nous luttons est aussi l’opportunité de construire un nouvel internationalisme fondé sur l’écologie décoloniale : lutter dans les pays et les métropoles les plus riches contre les projets qui rendent nécessaire la ruée minière, pour soutenir les mouvements d’outre-mer. qui font face à des projets miniers et donc à la destruction de leurs ressources. Par exemple, l’association Génération Lumière en France, créée par des réfugiés de la République démocratique du Congo, vient d’organiser une marche contre l’extractivisme pour protester contre la politique européenne d’approvisionnement en métaux. Il relie ainsi la surconsommation de métaux en Europe à la poursuite du génocide dans la région des Grands Lacs, provoqué par les rivalités pour l’accès aux gisements de cobalt, de coltan, d’étain et de cuivre.

 
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