Si l’on adopte ces définitions, penser que l’entreprise serait un ensemble de problèmes à résoudre est un crime contre la réalité ; faire de la « résolution de problèmes » la tâche insurmontable du manager, au lieu de la formulation du problème, est un crime contre l’esprit.
En effet, la romantisation des problèmes est très forte dans les organisations car le problème est perçu comme évident au sens étymologique du terme, c’est-à-dire qu’il peut être « vu », partout et tout le temps. Au prix de confusions conceptuelles, on réduit ainsi la réalité au visible voire au palpable et pire, au quantifiable : on nie son caractère multidimensionnel et par conséquent le « caractère essentiel de l’inutile ».
Ce réalisme irréaliste repose sur une connaissance paresseuse, privée de l’essentiel et pour qui « connaître c’est pouvoir », « réussir c’est comprendre », « comprendre c’est pouvoir refaire », « le réel c’est ce qui se répète ». Cette conception étroite de l’action n’en est pas moins performative : si l’efficacité est à la fois un moyen et une fin, rien ne peut arrêter la force. Dès lors, l’État technique dont parlait Bernanos et l’entreprise qui nie la complexité du réel partagent le même ennemi : « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » – « l’homme qui a du temps à perdre » – ou encore « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » – « l’homme qui a du temps à perdre » – ou encore « l’homme qui croit en autre chose que la Technologie ».
La singularité devenant ainsi une anomalie, il faut la débusquer jusque dans les subjectivités, la procédure aidant.
Les conséquences d’une telle romantisation du problème sont donc bien réelles. Ainsi l’ouvrier est élevé au rang d’abstraction car transformé en matière humaine répondant aux influences extérieures. En niant la dimension ontologique et sociale de l’Homme, nous faisons comme si la rationalité des réponses aux enjeux, réduits à des problèmes, réglait (définitivement) toutes les questions (existentielles, sociales, sociétales, etc.). Et, d’un autre côté, cette pratique abstraite du management donne lieu à un discours managérial abstrus, comique et pédant qui à son tour génère des pratiques managériales hors sol.
A défaut de revenir à une conception politique de l’entreprise capable de préserver le sens de l’ensemble (l’homme, le travailleur, le citoyen) en s’ancrant dans une réalité située, nous serons définitivement condamnés à « bricoler l’incurable », c’est-à-dire , pour nous satisfaire d’un humanisme verbal et de vœux pieux au prix d’une entreprise qui divorce l’Homme et la société.
