Ottawa favorise la destruction de nouveaux biens

Même si cette pratique est dénoncée depuis des années, les commerçants continuent de détruire les marchandises neuves avant de les jeter à la poubelle, comme je l’écrivais à la fin de l’hiver. Je n’étais pas au bout de mes surprises. On m’a dit qu’Ottawa, loin de décourager ce gaspillage, verse plutôt de l’argent aux entreprises qui sortent les ciseaux.


Publié à 1h22

Mis à jour à 6h30

Vous avez bien lu.

Un magasin de vêtements qui se retrouve avec des tas de pantalons dont ses clients ne se soucient pas peut les détruire et se faire rembourser les droits de douane qu’il a payés lors de leur importation. C’est assez tentant, car s’il en donne à une œuvre caritative, il ne touchera pas un centime⁠1.

L’ampleur du phénomène de destruction reste malheureusement un mystère.

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui gère ce programme, affirme n’avoir aucune idée de la valeur totale des marchandises qui sont détruites, année après année. Elle affirme également ne pas savoir quelles industries profitent de cette mesure ni quels types de produits sont les plus touchés.

C’est assez curieux, puisque le formulaire K32 que les entreprises doivent remplir pour bénéficier d’un remboursement (inconvénientdans le jargon de l’ASFC) contient des cases dans lesquelles il faut décrire la marchandise détruite « avec suffisamment de détails » et préciser sa valeur.

L’Agence sait seulement qu’au cours des quatre dernières années, elle a remis près de 20 millions de dollars aux entreprises dans le cadre de son « Programme de biens périmés ou excédentaires ».

L’évaluation à partir de ce montant de la valeur des marchandises saccagées est hasardeuse, puisque chaque catégorie de marchandises est soumise à un tarif douanier précis. Pour les vêtements qui ne sont pas importés des États-Unis ou du Mexique (pays avec lesquels il existe un accord de libre-échange), le taux est de 18 %. Une chaise de bureau : 7,5%. Un sac à dos : 11%. Chaussures : 20 %, révèle l’outil d’évaluation des tarifs douaniers en ligne d’Ottawa⁠2.

Ce qui est clair, cependant, c’est que la quantité de biens neufs qui terminent leur vie dans un conteneur est nécessairement considérable. Et leur valeur se compte en millions de dollars.

Quelle est la logique derrière cela ? Ottawa répond qu’il veut aider les entreprises à être compétitives à l’échelle internationale en ne les obligeant pas à sortir les marchandises excédentaires du Canada pour récupérer les droits de douane payés. « En autorisant la destruction de ces marchandises, m’explique l’Agence par courriel, les frais de transport liés à l’exportation de marchandises sans valeur sont supprimés. »

Équiterre, qui a découvert l’existence du « Programme des marchandises périmées ou excédentaires » en même temps que moi, juge qu’il est « d’une autre époque » et « immoral ». En effet, que ce soit pour des raisons écologiques ou sociales, il n’est pas normal qu’il soit plus rentable de jeter que de donner à ceux qui en ont besoin.

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PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Amélie Côté, analyste en réduction à la Source chez Équiterre

Il est extrêmement choquant qu’un programme fédéral accentue la crise des déchets. Jeter des biens dans un contexte comme le nôtre est absurde.

Amélie Côté, analyste en réduction à la Source chez Équiterre

Dans une lettre envoyée le 11 avril, Équiterre a également exhorté la ministre des Finances, Chrystia Freeland, « à mettre fin à ce programme absurde, afin que cesse le gaspillage éhonté d’objets neufs ».

Actuellement, toute entreprise détenant des marchandises « obsolètes ou excédentaires » peut récupérer les droits de douane payés, si trois autres conditions sont remplies. Les articles ne peuvent pas être utilisés au Canada, ils doivent être « en bon état avant la destruction » et « détruits selon les directives de l’ASFC ».

L’Agence m’a dit que les vêtements retournés au magasin en raison d’une fermeture éclair cassée ou d’un rétrécissement, par exemple, ne sont pas admissibles. Ils sont plutôt considérés comme des biens usagés ou endommagés. Les directives pour une destruction appropriée ne m’ont pas été communiquées. Aucune photo des biens détruits n’est requise.

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les détaillants jettent encore de nouvelles marchandises… mais les déchirent habilement et délibérément.

Difficile donc de dire si tous les vêtements et les trois paires de bottes sont coupés⁠3 qui se trouvaient dans le conteneur d’un Winners visité par ma copine en février a donné lieu à un chèque d’Ottawa. Mais pourquoi détruirions-nous les retours de marchandises s’ils n’apportent aucun avantage financier ?

Certaines personnes qui travaillent dans le commerce de détail m’ont dit que cela empêche les éboueurs, mieux connus sous le nom de benne divers, pour se faire rembourser la marchandise jetée. Ce stratagème frauduleux peut certainement être déjoué avec un peu d’imagination et de bonne volonté.

Fort de ces deux qualités, le gouvernement pourrait, de son côté, interdire la destruction de vêtements neufs, comme l’a fait l’Union européenne, ou au moins encourager les dons.

«Le plus durable, c’est de donner», comme me l’a si bien dit le président des magasins Aubainerie, Jean-Frédérick Pépin. Mais nous devons encore donner un élan à la durabilité.

1. Le don de biens faisant partie de l’inventaire d’une entreprise peut donner lieu à un crédit d’impôt, si l’organisme de bienfaisance fournit un reçu. Toutefois, l’entreprise doit alors inclure, dans ses revenus, la juste valeur marchande des biens donnés. L’augmentation est alors compensée par la déduction du don, de sorte que le résultat net est nul.

2. Visitez la page Web « Estimation des droits et taxes » de l’ASFC.

3. Lisez « Détruire des biens neufs : ça suffit ! » »

 
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