Une modeste chasse aux riches

Une modeste chasse aux riches
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Les spécialistes financiers vous le confirmeront : il faut faire fructifier son argent. Placés au bon endroit, ces petits soldats de papier transpireront pour vous.


Publié à 1h05

Mis à jour à 6h00

Il n’en demeure pas moins que même dans le cadre des plans les plus intelligents, un dollar travaillera moins dur qu’un humain. Si l’expression n’avait pas déjà été brevetée, cela pourrait relever du « bon sens ».

Au bon vieux temps, c’est du moins ce qu’on disait.

En 1971, les plus-values ​​n’étaient pas imposées. Contrairement au salaire horaire du travailleur, le profit empoché en vendant un plex, un chalet ou un investissement échappait donc au fisc. Face à cette iniquité, le président de la commission royale, Kenneth Carter, a répété cette logique élémentaire : « une piastre est une piastre est une piastre ».

Il a donc réduit – et non supprimé – l’exception. À partir de 1972, la moitié de la plus-value est imposée. Pourquoi conserver une partie de l’avantage ? Il y avait deux raisons : protéger l’investissement de l’inflation et encourager l’épargne. Une troisième utilisation est apparue plus tard : compenser la suppression des droits de succession.

Par la suite, l’exemption a continué de diminuer, comme le rappelle le chercheur Luc Godbout de l’Université de Sherbrooke dans une analyse récente.⁠1. La part imposable de la plus-value à l’abri de l’impôt est passée à 66,6 % en 1989, puis à 75 % en 1990. Mais elle a été réduite à 66,6 % en 2000, puis à 50 % en 2004.

Dans son dernier budget, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, n’a fait que revenir à la norme des années 1980. Et elle a pensé aux petits épargnants. Sa décision ne concerne que les gains supérieurs à 250 000 $. En dessous de ce niveau, rien ne change.

Les inégalités de revenus – après impôts et mesures redistributives – ont légèrement diminué au Québec depuis 1976.

Toutefois, les inégalités de richesse se sont accrues. Au Canada, le quintile le plus riche a un revenu 7,6 fois supérieur à celui du quintile le plus pauvre. Mais pour le patrimoine, il en a 508 fois plus⁠2 ! Comme on dit, c’est le premier million qui est le plus difficile à gagner…

Examinons maintenant la plus-value.

En 2017, 56 % des plus-values ​​ont été empochées par les 0,8 % des contribuables les plus riches. Ce n’est pas un slogan, c’est un fait : la majorité va au 1 %, comme le démontre une analyse approfondie de la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke.⁠3.

Cela explique pourquoi, en 2015, la Commission de révision de la fiscalité du Québec a proposé de mettre fin à cet avantage, si le gouvernement fédéral bougeait.

Pas étonnant que le gouvernement Legault ait imité Ottawa pour réduire également son déficit.

Les motivations des libéraux sont également politiques.

La taxation accrue des plus-values ​​apparaît comme une consolation face aux promesses enlisées d’instaurer un impôt minimum sur les grandes entreprises et une taxe sur le chiffre d’affaires des géants du web. Ces initiatives menées par l’OCDE s’enlisent.

À cela s’ajoutent deux autres raisons.

Premièrement, il y a aussi une nécessité électorale.

Une victoire libérale improbable impliquerait de reconquérir le vote des jeunes. Or, la majorité des gains en capital au Canada sont empochés par les personnes âgées de 60 ans et plus. Les jeunes ne se sentent donc pas visés, même si nombre d’entre eux se retrouveront plus tard dans la même situation.

Il y a ensuite une nécessité financière. Les libéraux n’ont jamais équilibré le budget, ni même présenté un plan pour revenir à l’équilibre. Cette année encore, ils ont ajouté 58 milliards de nouvelles dépenses sur cinq ans. La fiscalité accrue du capital, qui générera 19 milliards sur la même période, sert à réduire ce déficit.

Ce qui est inquiétant, ce n’est pas la décision libérale, mais l’impression que la mesure sert à financer des imprudences budgétaires et que l’argent récolté n’a pas pu être bien géré.

Les revenus qu’Ottawa espère tirer des nouvelles règles fiscales sur les gains en capital proviendront à peu près également des citoyens et des entreprises.

Pour les entreprises, des exceptions sont toutefois prévues. Le plafond de l’exonération des gains en capital passera de 1 million de dollars à 1,25 million de dollars. Mais il y a davantage de perdants, déplore la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Elle donne l’exemple des propriétaires de petites entreprises et des sociétés de services professionnels.

Le Conseil canadien des affaires y voit également un frein à l’investissement. Pourquoi en fait accumuler du capital s’il doit être imposé ?

Des chercheurs comme Antoine Genest-Grégoire (Université de Sherbrooke) et Olivier Jacques (École de santé publique de l’Université de Montréal, CIRANO) soutiennent cependant qu’aucune étude ne confirme cette hypothèse. « L’exonération des gains en capital s’applique uniquement aux Canadiens. Pour un investisseur étranger, cela ne change rien. Si les Canadiens refusent d’investir, les étrangers le feront à leur place. »

Les propriétaires dont le plan de retraite dépend de leur plex seront également perdants. Il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas vraiment parler d’attaque contre la classe moyenne. Par exemple, pour un bénéfice de 400 000 $, l’impôt supplémentaire s’élèvera à 13 300 $. Sans être anodin, cela ne compromet pas une retraite.

C’est vrai qu’on peut voir un peu d’injustice face à ceux qui ont investi en bourse et qui vont débourser moins de 249 000 $ par année pour que la moitié de leurs bénéfices restent à l’abri de l’impôt. Mais un régime fiscal doit être analysé dans son ensemble, et l’annonce de Mmoi Freeland réduit le traitement inéquitable de l’emploi et des revenus de dividendes et réduit quelque peu l’augmentation des inégalités de richesse.

On peut aussi se demander ce qu’on veut encourager avec le système fiscal. Oui, les gens ont travaillé dur pour épargner dans un plex et préparer leur retraite. Mais ces profits alimentent la spéculation des grands investisseurs, ce qui aggrave la crise du logement.

Rappelons enfin que l’exonération sur la résidence principale demeure. D’ailleurs est-ce normal que cet avantage existe même pour un manoir à 2 millions de dollars ?

Si Ottawa s’est lancé dans une chasse aux riches, comme certains le prétendent, cela ne se fait pas avec un si grand calibre.

1. Lire l’analyse de Luc Godbout dans Options politiques

⁠2 Selon l’Enquête sur la sécurité financière menée par Statistique Canada, édition 2019. Ce chiffre est une estimation et non une mesure exacte.

3. Consultez le rapport de la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke

 
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