les producteurs de lait s’insurgent contre le fromager Savencia

les producteurs de lait s’insurgent contre le fromager Savencia
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Des éleveurs qui dénoncent des « coups bas » et des « atteintes au travail » du mastodonte de l’agroalimentaire, tandis que l’industriel nie toute « pression illégale ».

Un combat judiciaire « d’avant-garde » : le litige entre le mastodonte de l’agroalimentaire Savencia et l’association de producteurs Sunlait est scruté par l’ensemble de la filière laitière française, les éleveurs dénonçant des « coups bas » et des « atteintes au travail », tandis que l’industriel nie toute « pression illégale ».

Dans sa ferme près de Saint-James (Manche), Landry Rivière reprend la chronologie d’un conflit qui commence par une « histoire un peu trop belle ».

En 2018, Savencia et Sunlait se sont mis d’accord sur une « formule tarifaire, pour respecter la loi Egalim », rappelle-t-il. “Un contrat inédit, le premier en France.”

Adoptée la même année, la loi Egalim vise à payer le juste prix aux producteurs, notamment en tenant compte des coûts de production. Le contrat et les prix associés doivent être proposés par les agriculteurs.

Sunlait, qui produit près de 600 millions de litres de lait par an, représente 17 % de l’approvisionnement de Savencia. Savencia, quant à elle, est l’unique client de ces milliers d’éleveurs réunis au sein d’une association d’organisations de producteurs (AOP).

Prix ​​unilatéral

Les éleveurs de Ouest’Lait, l’une des six organisations de producteurs (OP) membres de Sunlait, voient alors le prix s’envoler au-dessus de la moyenne nationale : contrairement à Savencia, les autres fabricants ne respectent pas la loi Equal.

Lorsque « Savencia a compris qu’ils nous payaient plus que ses concurrents, ils ont dénoncé en 2019 le protocole d’entente pour imposer un prix unilatéral », explique Landry Rivière.

Sunlait et Savencia mènent alors plusieurs médiations, qui échouent. « On était face à un mur », déplore Arnaud Laurent, trésorier de Sunlait. “Pour eux, un OP reste silencieux, accepte le prix.”

En 2021, l’AOP a assigné Savencia en justice pour non-respect du contrat. Commence alors un combat judiciaire « à la David contre Goliath », raconte le président de Sunlait, Loïc Delage.

Le groupe est le 2ème fromager en France, 5ème mondial, avec plus de 25 000 salariés dans le monde, 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022 grâce à des marques comme Tartare, Coeur de Lion, etc.

En mars 2022, Savencia avait dénoncé l’accord-cadre la liant à Sunlait. Le dialogue empire.

Puis en août, le tribunal judiciaire de Coutances a condamné Savencia à verser 25,9 millions d’euros à Sunlait : le groupe “ne peut pas invoquer le comportement de ses concurrents pour se libérer de ses engagements contractuels”, explique-t-il.

«C’est à ce moment-là que Savencia a commencé à nous faire payer pour avoir osé les confier, à coups de travaux de sape (…) à coups bas», raconte Arnaud Laurent.

Pressions

Près d’une dizaine d’éleveurs interrogés par l’AFP ont déclaré subir des “pressions” de la part du groupe, dans le but de quitter Sunlait.

Benjamin Aubry, producteur de lait de 34 ans, attend depuis plus d’un an une attestation indiquant le nombre de litres de lait livrés à la laiterie. Sans ce certificat, les banques ne prêtent pas et les projets stagnent. “Savencia me dit que si je quitte Sunlait, ce sera plus facile.”

Un autre éleveur normand raconte « une pression constante pour que[elle] démissionne de Sunlait (…), difficile à supporter ». Par crainte de « représailles », elle souhaite rester anonyme. « Savencia, c’est des milliards d’euros. S’ils veulent me briser, ils me briseront.

A chaque fois, la même phrase revient : Savencia « diviser pour régner ».

Car Savencia ne peut pas se passer du lait Sunlait : la production laitière est en baisse en France, explique Olivier Carvin, agroéconomiste à la Chambre d’agriculture de Bretagne.

Sa « stratégie est de court-circuiter la relation avec l’AOP pour conclure des contrats directement avec les éleveurs », explique-t-il.

Or, conclure un contrat individuel avec un producteur alors qu’un accord-cadre existe déjà est « illégal », assure Fabien Barthe, avocat en droit rural, qui craint « une forme d’abus de déséquilibre économique ».

Des accusations réfutées par Savencia. Le groupe n’a exposé les producteurs qu’au “champ des possibles” en dehors de Sunlait, explique Sophie Godet-Morisseau, directrice générale de Savencia Ressources Laitières.

“En aucun cas nous n’avons contourné la négociation collective, nous n’avons pas fait pression sur les producteurs (…) ni proposé des solutions illégales”, insiste-t-elle.

Si les éleveurs ont ressenti cela comme une « pression », c’est qu’ils sont « inquiets » de la situation provoquée par la procédure judiciaire actuelle, qui « n’est pas de notre initiative ».

Informés, les Services de répression des fraudes (DGCCRF) se disent en être au stade du « diagnostic ».

“Intolérable”

En décembre, la cour d’appel de Caen a cassé la décision rendue et a donné “tout à fait raison à Savencia”, souligne Sophie Godet-Morisseau.

Savencia ne peut pas “avoir un prix du lait significativement déconnecté du marché, plus de 20 euros (sans) perdre des parts de marché” au profit de ses concurrents Lactalis et Sodiaal, explique-t-elle.

Il y a « un désaccord depuis cinq ans ». “Même si nous avons un prix légèrement supérieur à celui des principaux acteurs du marché – 1,5% ces dernières années – nous ne pouvons pas aller au-delà.”

Quelques jours plus tard, dans un courrier, le groupe Savencia annonçait aux éleveurs la « fin définitive de la relation avec Sunlait ».

Pas de négociations pour un nouvel accord-cadre donc. Les éleveurs craignent alors qu’une fois la dénonciation de l’accord actuel entrée en vigueur – le 8 mars – le lait des éleveurs ne soit plus collecté.

« Des solutions alternatives au Sunlait existent », rappelle-t-il encore.

En janvier, le mécontentement agricole a pris de court le monde politique. Les producteurs de Sunlait ne sont pas en reste et certains manifestent devant les laiteries Savencia. Mais dans les fermes, la panique s’installe : faudra-t-il jeter des milliers de litres de lait ?

La sénatrice de Dordogne Marie-Claude Varaillas dénonce au Sénat des « pressions intolérables » et un « chantage au recouvrement » de la part de Savencia.

Saisi par Sunlait, le Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA), dont il s’agit de la première saisine depuis sa création par la loi Egalim, tranche.

Le 20 février, il déclare qu’un « contrat conforme à la loi Egalim doit comporter un prix » et oblige Savencia à prolonger l’accord-cadre jusqu’au 31 octobre 2024. Un sursis de sept mois pour les éleveurs confirmés.

«Savencia veut des PO conciliants», réprimande Landry Rivière. “Mais nous ne sommes pas là pour faire de la figuration, nous sommes là pour faire respecter les contrats.”

« J’espère qu’il y aura un avant et un après dans les relations entre les OP et les groupes agroalimentaires », confie l’éleveur.

“Si notre combat peut donner envie aux OP de se battre pour un prix décent, ce sera déjà une petite victoire.”

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