Conçu sous Napoléon III dans la capitale révolutionnée par le baron Haussmann, l’Opéra Garnier ouvre ce soir une année de festivités. En cette journée de gala, retour sur les mythes et légendes d’un Palais qui fascine par sa splendeur.
By Sophie Berthier
Publié le 24 janvier 2025 à 15h11
L‘L’Opéra Garnier fête ses 150 ans et son prestige brille toujours autant que sa réputation pleine de légendes durables. Elle est célèbre dans le monde entier, tout autant que l’avenue qui y mène, dessinée par Haussmann à la demande de Napoléon III, et qui ne fut achevée qu’en 1879). Initié sous le Second Empire, le monument fut inauguré le 5 janvier 1875 par le président Mac Mahon, sous la Troisième République ; les travaux avaient en effet duré près de quinze ans et l’empereur, destitué après la guerre de 1870 et la Commune de Paris, était mort en exil deux ans plus tôt.
Le bâtiment est si imposant et son opulence intérieure telle qu’il inspirera à Claude Debussy cette description cinglante quelques années plus tard : « Pour le passant non averti, cela ressemble à une gare. Une fois entré, c’est une salle de bain turque. » Pourquoi tant de fiel ? L’édifice ne répond en réalité qu’à la commande de Napoléon III. ” C’était une question de frime », dit François Blanchetière, conservateur en chef de la Sculpture et de l’Architecture au musée d’Orsay et co-commissaire de l’exposition actuellement consacrée à l’Opéra Garnier 1. Ce monstre était « un élément majeur de la politique impériale orientée vers le prestige. L’Opéra a été conçu comme une machine à spectacle mais aussi comme un lieu d’affichage de sa position sociale. »
L’architecture intérieure révèle cette volonté originale de permettre à un public d’aristocrates et de riches bourgeois de voir autant que d’être vu ; elle fait la part belle aux espaces de déambulation, avec des balcons à chaque étage, des cloisons en « col de cygne » permettant les conversations d’une loge à l’autre… Seulement, rappelle François Blanchetière, « En 1875, ce qui était alors l’un des plus grands opéras du monde devient, avec le retour du pouvoir républicain, emblématique du régime impérial désormais détesté auquel il doit son existence. D’où les critiques visant à dégrader l’image de l’œuvre de Charles Garnier, qui n’a pas été invité à la somptueuse inauguration du 5 janvier ; il a également pris soin de faire savoir qu’il devait payer lui-même sa place pour assister au spectacle. »
Depuis, l’Opéra Garnier a vu passer un nombre incalculable d’amateurs de danse et de musique ; ainsi que les simples visiteurs (actuellement cinq cent mille par an) fascinés par sa splendeur – son grand escalier de marbre, ses mosaïques, son foyer, sa vaste scène, le plafond peint par Chagall à la demande d’André Malraux en 1962 qui surplombe une gigantesque lustre… – autant que par les anecdotes et les histoires associées au bâtiment ; une imagination aussi prompte à s’exciter que les petits rats de l’Opéra. Le nom donné à ces lutins en justaucorps et tutu qui rêvent d’être des stars vient du bruit que leurs pointes faisaient sur les parquets des salles de répétition, donnant l’illusion de rongeurs sautillant sous les combles !
Très loin du dôme cette fois, dans les profondeurs du sous-sol, on a longtemps parlé d’un lac peuplé de carpes. Celui-là même qui a permis à Louis de Funès de s’enfuir en bateau en La grande vadrouille… quand il n’était pas associé au refuge du célèbre Le Fantôme de l’Opéra, inventé par Gaston Leroux dans son roman éponyme de 1910. Certes, il y a une grande réserve d’eau sous l’édifice mais sa présence, tout sauf mystérieuse, est révélatrice de l’ingéniosité du jeune Charles Garnier (il n’avait pas seulement 35 ans lorsqu’il a remporté le concours international lancé pour la réalisation du projet).
L’eau et les abeilles
“Une nappe phréatique importante a été découverte lors de creusements au stade des fondations en 1861, François Blanchetière enlightens us. Ne pouvant l’assécher, Garnier opte pour une solution très innovante : il canalise et confine l’eau dans une enveloppe en béton. Ceci permet à la fois de stabiliser les infrastructures et de les protéger de la pression des eaux d’infiltration. De plus, c’était un gage de sécurité que de disposer d’une telle réserve d’eau à une époque où, l’éclairage étant assuré par des bougies et des becs à gaz, les incendies étaient très fréquents. »
Aujourd’hui, cette piscine voûtée de 10 000 mètres cubes n’est accessible qu’aux pompiers de Paris et aux plongeurs de la police nationale qui s’y entraînent en plongée en milieu fermé. Une compétence cruciale en cas de sauvetage de spéléologues par exemple. Mais de carpe, pas l’ombre d’une moustache ; tout au plus de petits poissons aperçus par ceux qui s’aventuraient dans ces eaux enfouies sous la cage de l’immense scène.
En revanche, il y a des ruches sur le toit de l’Opéra Garnier depuis trente ans ! Ils produisent du miel garanti sans pesticides car interdit dans les jardins publics environnants où butinent les abeilles (les Tuileries notamment). Slogan de ce nectar de saison récolté en été et vendu en octobre : « créativité bourdonnante » !
Il n’en reste pas moins que de nombreux épisodes de l’histoire de l’Opéra Garnier mélangent avec bonheur réalité et fiction. A commencer par la croyance tenace en la malédiction du chiffre 13 qui pèserait sur ce palais… Treizième salle spécialement construite pour accueillir l’institution, créée sous le règne de Louis XIV, réunissant dans une même compagnie un corps de ballet, des chanteurs et des musiciens. .
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La superstition prend racine lorsque, le 20 mai 1896, un contrepoids du gigantesque lustre en bronze, opaline et cristal de Bohême se détache lors d’une représentation de Faust ; tombant dans le public, il blessa plusieurs personnes et tua une femme qui serait assise au siège numéro 13. L’événement inspira Gaston Leroux : Le Fantôme de l’Opéra, c’est tout l’éclat qui s’effondre sur les spectateurs ! Bien plus tard, en 1932, on raconte qu’un petit rat tomba d’une galerie pour se poser exactement sur la treizième marche du grand escalier. De pures légendes ? Le gala d’anniversaire du 24 janvier donne en tout cas le coup d’envoi d’une série d’événements tout au long de l’année 2025.
Gala anniversaire du 150e anniversaire du Palais Garnier, vendredi 24 janvier à 19h30 Avec des musiciens de l’Orchestre, des artistes des Chœurs, de l’Académie, des danseurs du Ballet et de l’École de Danse, ainsi que des invités prestigieux comme le baryton Ludovic Tézier, la soprano Lisette Oropesa et la mezzo-soprano Léa Desandre . Le gala sera retransmis en direct sur France.tv et sur operadeparis.fr. Diffusion également en léger différé sur France 5, à partir de 22h15