Pour écrire une bonne chanson, il faut savoir écouter les autres. Et il faut aussi savoir jeter. A l’occasion de la réédition du deuxième album de Beau Dommage, Où est passé le mariage ?Robert Léger revient sur l’une des carrières les plus riches de l’histoire de la musique québécoise : la sienne.
«Souvent, un artiste est pressé de faire un deuxième album», constate Robert Léger, l’un des principaux auteurs-compositeurs de Beau Dommage, à qui l’on doit notamment Tous les palmiers, À chaque fois et Soirée harmonie à Châteauguay. « Et comme il a moins de temps pour le créer, les chansons sont peut-être un peu moins bonnes. »
Ce qui n’est pas du tout le casOù est passé le mariage ? deuxième disque de Beau Dommage, dont une édition remixée est sortie fin 2024.
Explications possibles : lors de sa deuxième entrée en studio en 1975, le groupe avait déjà plusieurs munitions en poche, dont Le blues de la métropole et l’épopée An incident in Bois-des-Filion, déjà prêt lors de l’enregistrement du premier. « Si nous avions été riches et grands, plaisantait le claviériste et le bassiste lors de notre rencontre dans les bureaux montréalais d’Universal, c’est un double album qu’on aurait pu faire en 1974. »
Mais Robert Léger n’avait pas encore les chansons dans son sac N’amène pas ton gang et J’ai oublié le jour, qu’il a cousu à la main pour Marie Michèle Desrosiers. Comment un homme a-t-il su capter avec autant d’acuité le point de vue d’une femme qui affirme avec passion son désir ?
Le musicien nous ramène au Théâtre des Cuisines, la première compagnie de théâtre féministe au Québec, que son amante de l’époque, Pierrette Savard, a contribué à fonder. « J’ai passé mes grands jours avec eux ! Je les écoutais parler et j’étais sensible à ce qu’ils disaient, à ce qu’ils aimaient moins dans leurs relations avec les mecs. Pour composer une bonne chanson, il faut souvent écouter attentivement les gens qui nous entourent. »
Son « plus grand chagrin » reste de n’avoir jamais eu de voix pour percer, confie Robert Léger à 76 ans, sans toutefois s’apitoyer sur son sort, ce qui serait bien ingrat au vu de ses nombreux succès.
« C’est pourquoi, explique-t-il, je n’ai jamais écrit de chansons très personnelles. Je savais que je ne les chanterais pas. Et comme je savais que dans ce cas, ce serait Marie, je me demandais : quels mots dans la bouche du copain de ma fille sonneraient vrais et la toucheraient, pour qu’elle ait envie de les chanter ? Parce qu’elle n’était pas obligée, han ! »
La fin du chemin
Où est passé le mariage ? est le deuxième et dernier album de Beau Dommage auquel Robert Léger a collaboré comme musicien (si l’on exclut l’album comeback de 1994). Tout en restant au sein de la coopérative en tant qu’auteur-compositeur, il prend une retraite anticipée de la route et de la scène, ce qui ne l’enchante jamais. « J’étais trop conscient de mes limites quand je jouais. »
En annonçant son départ, il a éprouvé « une petite blessure d’estime de soi », se souvient-il en riant, car aucun de ses camarades ne l’a supplié de rester. «Michel Hinton [son successeur] était en tout cas bien plus astucieux, plus inventif ! »
Mais Robert Léger n’a pas dit adieu à la musique et a collaboré étroitement à l’aventure solo de Pierre Bertrand, travaillé à la création de deux albums de l’actrice Pauline Lapointe (alors sa petite amie) et également coréalisé les deux premiers de Paul Piché.
C’est même lui, dit-on, qui a convaincu le créateur de Réjean Lourd tenter sa chance avec ses chansons, faire une vraie carrière. « Convaincu, c’est un grand mot », corrige le principal concerné. Si je n’avais pas existé, il aurait fait la même chose. Il avait du talent, du dynamisme, mais il avait beaucoup de doutes. »
-« Paul appartenait à des mouvements de gauche et il se méfiait du showbiz. Juste au moment où je lui ai proposé d’ajouter de la basse à ses chansons : il avait peur que les gens ne l’entendent plus chanter, que l’essence de son message, de son âme, se dilue. »
Patience et humilité
Après Pied-de-poule (1982), la comédie musicale dont il compose la musique en s’inspirant du tube Oui Oui Oui du groupe allemand Trio, Robert Léger s’est consacré grandement à la transmission de son savoir.
Dans son livre de 2001, Écrivez une chanson (Québec Amérique), l’auteur insiste (doucement) sur le fait que le chant est un métier à part entière, une authentique œuvre de zigzags et d’assiduité, plus que le résultat d’une épiphanie divine.
Écrire une chanson, c’est avoir la patience et l’humilité de jeter. Si l’on devait donner une définition du talent, ce serait peut-être celle-ci : avoir du discernement sur ce qu’on garde et ce qu’on jette.
Robert Léger
Depuis plusieurs années cependant, Robert Léger ne cesse plus ou presque d’écrire, essentiellement parce que personne ne lui donne d’ordres, ce qui a toujours été son moteur. Il y a deux ans, un appel téléphonique de son ami Michel Rivard a donné lieu à la création d’une nouvelle œuvre intitulée Tout bien considéréque le sacripant interprétera peut-être un jour.
Mais Robert Léger n’en fait pas une maladie et affiche la fierté discrète de celui qui a accompli ce qu’il avait à accomplir.
“J’ai réécouté l’album ce matin”, dit-il à propos deOù est passé le mariage ?dont l’édition remixée est de Ghyslain-Luc Lavigne. « Et ce qui m’a le plus frappé, c’est l’enthousiasme que nous avions. Quand on y pense, nos chemins n’auraient jamais pu se croiser. Mon Dieu, j’ai eu de la chance de rencontrer ces gens-là ! »
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