« Le ciel est mon drapeau », de Vidya Narine, Les Avrils, 164 p., 19 €, numérique 15 €.
D’une séquence politique du milieu des années 2000, restée dans les mémoires médiatiques, cette histoire singulière semble naître, presque sans préméditation. Porté par la voix de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur puis président de la République, un concept promis à un avenir grand et conflictuel, « l’identité nationale », corrompt peu à peu le débat public français. En quelques mots (“écume”, « voile »), en quelques interventions (à Dakar, à l’Inalco), Vidya Narine résume un virage qui la mène. Elle, « l’enfant des années 1980 qui a pu profiter de son destin, porté par un rêve blanc »ce “rêve” qu’est-ce que l’universalisme : “On était tous français, moi aussi, et du coup”… Du coup, on ne sait plus, et l’histoire commence. Cela recommence, en effet, à des milliers de kilomètres de là, dans une Indochine française fantomatique où est née sa mère. Recommence, quelques siècles plus tôt, sur l’île de San Salvador (Bahamas), que débarqua Christophe Colomb au terme de son errance, dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492. Recommence toujours, dans le tourbillon des existences, le motif de la roue du Dharma comme étendard.
Il y avait certainement besoin d’un écrivain avec un langage aussi inhabituel, toujours clair, toujours inhabituel, que celui de Vidya Narine, auteur d’un premier roman remarqué, Orchidiste (Les Avrils, 2023), pour dépoussiérer une querelle sonore mais trop souvent creuse, ayant depuis longtemps vidé les mots de leur sens. Elle leur en substitue d’autres et laisse proliférer sur le rhizome des métaphores ébouriffantes. Elle découpe d’une main poétique des fragments d’humanité pour leur redonner vie. Vrai-faux album de famille, Le ciel est mon drapeau est l’une des 300 000 histoires potentielles de Français dont le pays d’origine, « Vietnam » (selon son orthographe vietnamienne) de la colonisation française (1858-1955), “n’existe plus”. Une histoire paradoxale, une histoire de fortune, puisqu’en fait, pour l’auteur, il s’agit de “dire à un pays [qu’elle n’a] pas laissé, un passé [qu’elle n’a] pas connu ». Entre modestie sincère et impressionnante recomposition littéraire refusant toute catégorisation, ce livre de Vidya Narine ne ressemble à aucun autre, c’est la plante qui manquait encore au catalogue, au cœur d’un écosystème trop connu.
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