la double vie artistique de Paolo Colombo

Conservateur respecté, artiste reconnu : pour Paolo Colombo, le secret réside dans le fait de bien distinguer l’un de l’autre.

2010 Venturelli

Directeur du Centre d’art contemporain de Genève entre 1990 et 2001, Paolo Colombo y revient en tant qu’artiste. Son exposition intitulée La Deuxième Fois est une rétrospective qui célèbre un demi-siècle de ce centre culturel. C’est exactement ce qu’a duré jusqu’à présent la carrière de cet artiste plasticien et poète.

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5 janvier 2025 – 08h00

Paolo Colombo (Turin, 1949) interrompit son activité artistique pendant vingt ans pour se consacrer à sa famille et à divers musées et institutions artistiques. Une expérience qui lui fait appréhender le monde de l’art sous ce double point de vue. Diplômé en langue et littérature à l’Université de Rome, Paolo Colombo est également poète.

Tout comme sa poésie, son art vit en lien étroit avec les rythmes de la vie quotidienne et de la pensée intérieure. Résident à Crans-Montana, en Valais, il a son atelier à Athènes, qu’il considère idéal pour vivre son art et un mode de vie simple en symbiose.

Le nom de Paolo Colombo est étroitement lié au Centre d’art contemporain de Genève. Son retour a tout d’un symbole, d’autant qu’il a contribué à forger la place qu’occupe cette institution sur la scène artistique européenne. Parmi les œuvres exposées figurent des aquarelles, certaines accompagnées de textes poétiques, des œuvres multimédias et des extraits de certains de ses livres. On découvre également des collaborations mêlant art contemporain et artisanat traditionnel. Comme ce tapis fabriqué en Inde orné de broderies réalisées répéter.

Couvrant la période 1971-2024, les quarante œuvres sélectionnées font référence à l’existence et à la beauté, proposant au public une réflexion sur le patrimoine culturel et le pouvoir régénérateur de l’art. L’exposition est visible jusqu’au 2 mars 2025.


Paolo Colombo, Sur terre, 2021.

2020 Photographie Boris Kirpotin / Avec la permission de la Galerie Bernier-Eliades

swissinfo.ch: Comment s’est passé votre retour au Centre d’art contemporain en tant qu’artiste?

Paolo Colombo : C’est un retour qui m’émeut profondément. J’ai exposé dans ce centre pour la première fois en 1978, sous la direction d’Adelina Von Fürstenberg. Quand je suis parti, l’institution était encore jeune, avec un budget réduit. Je le retrouve en pleine maturité, avec des rétrospectives d’artistes phares et une fantastique Biennale de l’image en mouvement. Sa réputation a été renforcée également grâce à son directeur actuel Andrea Bellini. Je suis très heureuse de bénéficier en tant qu’artiste des progrès du centre et de pouvoir les célébrer.

Durant votre mandat, vous avez travaillé avec des ressources limitées. Un contexte de « pauvreté institutionnelle », comme vous le décrivez. Et ce, malgré la richesse de la ville. Comment avez-vous procédé pour développer le centre ?

Le contraste entre la richesse de Genève et la faiblesse des ressources allouées à l’art contemporain m’a toujours frappé. J’ai dû développer une attitude inventive, qui me vient de mon enfance. Enfant, j’imaginais pouvoir constituer un orchestre avec des gens jouant avec des élastiques. Et dans mon travail de leadership, j’ai fait de cette idée une réalité. Une « sobriété créative » qui se reflète également dans mon travail artistique. Pour prolonger la métaphore, j’ai été directeur d’un orchestre d’élastiques tout au long de ma vie, dans différents rôles.


Paolo Colombo, Glycine (détail), 2023.

Mis à disposition par l’artiste et la Galerie Baert

Vous avez été commissaire dans des contextes difficiles, comme celui de la Biennale de Mardin (Turquie). Qu’avez-vous appris de ces projets ?

Lorsque j’ai organisé la Biennale de Mardin en 2012, je disposais d’un budget de seulement trente mille dollars. La Biennale s’appelait Double prise. Ce fut l’une de mes expériences les plus formatrices : j’ai placé des œuvres dans des cafés et des espaces publics, là où la frontière entre l’art et la vie quotidienne s’estompe. Cela m’a appris que l’art peut être autonome et ne pas dépendre du contexte. Si une œuvre fonctionne réellement, elle a la capacité d’être perçue par tous, même dans un environnement non conventionnel.

Venons-en à votre vie d’artiste. Entre votre exposition à Milan en 1974 et aujourd’hui, cinquante ans se sont écoulés. Qu’est-ce qui a changé dans votre démarche artistique ? Et qu’est-ce qui l’a toujours accompagné à l’envers ?

J’ai pris une pause de 21 ans dans mon travail d’artiste. Je ne pense pas qu’il soit possible d’être un peintre du dimanche. Le métier de conservateur a été ma plus grande école. J’ai beaucoup appris sur les espaces, mais je n’ai pas la perspective de discerner une influence de la curation sur mon travail artistique. La poésie comme la peinture me procurent un sentiment d’extase qui correspond à l’essentialité et à la sobriété de mon art. J’ai commencé avec un crayon et du papier, créant des œuvres d’art que je pouvais enrouler et glisser dans une boîte à chaussures. Ce sens de la sobriété est un fil conducteur qui me traverse et perdure dans mon travail. Aujourd’hui encore, par exemple, je fais des vidéos avec mon téléphone portable et du matériel trouvé sur la plage.

Dans votre travail, le temps semble compter plus que les éléments matériels. Est-ce une lecture correcte ?

Absolument. Mes œuvres reflètent une approche méditative, presque rituelle, si l’on pense que je répète ce même geste de tremper un pinceau dans l’eau pour le nettoyer 100 à 120 000 fois pour un seul tableau. Il y a une sorte d’auto-hypnose dans la peinture, dans la création de chaque élément de la mosaïque ou dans le tracé d’une ligne, d’un point ou d’un carreau de mosaïque. Pour moi, le temps investi dans une œuvre est tangible.

Vous êtes un heureux résident de Crans-Montana, mais votre studio est à Athènes. Comment la Grèce influence-t-elle votre travail ?

La Grèce est ma source inépuisable d’inspiration. C’est le pays de la joie, de la musique que j’ai écoutée toute ma vie et des poèmes de George Seféris et Kaváfis, que je lis encore. L’art byzantin, abstrait et non mimétique, a toujours eu une grande influence sur moi. A Athènes, j’ai une vie honteusement merveilleuse, la ville m’offre le rythme et la concentration nécessaires pour travailler, dans un contexte où je peux vivre et créer à mon rythme, entrecoupant le travail de plaisirs simples comme nourrir les chats des rues. Une simplicité que j’ai aussi vécue étant enfant dans les Alpes suisses.

Qu’aimeriez-vous que le public retienne de votre travail ?

Je peins ce que j’aime, ce que je trouve beau, sans me soucier de savoir si cela plaît ou non. Des musiciens grecs des années 1920 aux années 1950, par exemple. J’espère que le public se rendra compte du temps et de l’âme que je consacre à mes œuvres, à la sérénité et au soin. Chaque œuvre est le résultat de gestes mille fois répétés. C’est une façon de vivre en équilibre avec le monde. J’espère que chaque spectateur trouvera quelque chose d’universel dans mon travail.

Selon vous, l’art devrait-il jouer un rôle politique, remettant en question les divisions culturelles et les stéréotypes ?

Je n’y pense jamais. J’ai toujours en tête une dimension limitée, un rapport 1:1 avec l’œuvre, un livre par exemple. Mon travail n’est en aucun cas une évaluation de ce qui se passe dans le monde. Pour moi, l’art est plus une question d’authenticité et d’humanité que de politique. La sobriété et la sincérité peuvent avoir une force qui dépasse les schémas culturels.

Qu’espérez-vous pour le centre qui s’apprête à fermer ses portes pour au moins trois ans pour rénovation ?

Paolo Colombo, La main d'Aphrodite, 2021.

Paolo Colombo, La main d’Aphrodite, 2021.

Mise à disposition par l’artiste, collection privée, Paris.

J’espère qu’il conservera certains éléments historiques, comme le parquet en blocs de bois, qui atténue les sons et les vibrations. Après cinquante ans, il est naturel qu’un lieu se renouvelle. Je suis convaincu que Bellini fait les bons choix pour son temps, en respectant l’identité du centre et en continuant à le projeter vers un avenir international qui n’est en aucun cas paternaliste.

Cette fermeture temporaire avec l’exposition Rituels de soins de l’artiste brésilien Antonio Obá (1983), va-t-elle dans le sens d’une rupture avec une vision souvent stéréotypée de ce que l’on attend des artistes non européens ?

Certes, cela me remonte trente ans et plus, lorsque j’ai monté une exposition avec des artistes brésiliens comme Jac Leirner et les poètes visuels Augusto et Haroldo de Campos. À l’époque, il n’était pas du tout facile d’organiser une exposition où les artistes non européens n’étaient pas rangés dans des catégories prédéfinies et limitatives. Heureusement, ce n’est plus le cas.

Relu et vérifié par Daniele Mariani/traduit de l’italien par Pierre-François Besson

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