une plongée au coeur du Louvre et d’Orsay

une plongée au coeur du Louvre et d’Orsay
une plongée au coeur du Louvre et d’Orsay

La visite d’un musée national doit être un moment poétique, suspendu, une invitation à nourrir les sens. Cependant, l’expérience ressemble de plus en plus souvent à un trajet dans les transports publics aux heures de pointe. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Quelle est la responsabilité des musées et leurs réponses face à cette problématique ? Qu’en est-il des pratiques des visiteurs et de l’usage des réseaux sociaux ? Focus sur les vitrines emblématiques du musée du Louvre et du musée d’Orsay.


10,2 millions de visiteurs. En 2018, le musée du Louvre franchit la barre symbolique des 10 millions d’entrées, et l’année suivante, il s’en rapproche à nouveau avec 9,6 millions de visiteurs alors même que l’entrée par la Pyramide avait été conçue pour accueillir 4,6 millions de visiteurs par an. Sur les mêmes périodes, le musée d’Orsay connaît un engouement similaire, avec 3,3 millions de visiteurs en 2018 et 3,65 millions de visiteurs en 2019. En 2020, le Covid-19 a stoppé cette progression. Il faudra attendre 2023 pour revenir à une richesse proche des niveaux d’avant la pandémie. Cette année-là, le Louvre accueille 8,9 millions de visiteurs et Orsay bat son record de fréquentation avec 3,9 millions d’entrées.

Ces chiffres reflètent les actions de communication mises en œuvre par ces musées et par l’office de tourisme de la ville de Paris pour attirer toujours plus de visiteurs. Mais où est le point d’équilibre pour éviter de sombrer dans la surpopulation ? Alors que les musées communiquent sur les actions mises en œuvre pour repenser les espaces afin de mieux accueillir le public, en réalité, la question du confort de visite est souvent négligée au profit des intérêts économiques.

Quelles sont les limites à la visite des musées ?

Les établissements recevant du public sont régis par deux contraintes principales en matière de fréquentation. D’une part, la charge d’exploitation, qui indique un seuil légal de visiteurs à ne pas dépasser pour garantir la sécurité du bâtiment et des personnes qui l’occupent.

De l’autre la capacité d’accueil. Pour les institutions culturelles, celui-ci est établi par le ministère de la Culture qui suggère de ne pas dépasser un visiteur par 5 m². Cela porte la capacité d’accueil du musée du Louvre à 14 547 visiteurs (72 735 m2) et le musée d’Orsay à 3 371 visiteurs (16 853 m2). Leur capacité journalière est fixée au double, car même s’il y a des horaires saturés, il est rare que les visiteurs entrent dans le musée à 9 heures et ressortent à 18 heures (la durée moyenne de visite est de 2 heures pour le musée). ‘Orsay et 2h30 pour le Musée du Louvre).

Les musées ne peuvent pas se fier uniquement à ces données numériques : elles ne reflètent pas l’expérience du public. Le comportement des visiteurs est un paramètre difficilement quantifiable, mais il s’avère observable ethnographiquement, permettant de prédire la saturation de certaines salles.

Dans un même musée, certaines salles vides, d’autres saturées

Au musée du Louvre, le service public sait qu’un grand nombre de visiteurs préfèrent visiter l’aile Denon, et plus précisément la 1est étage et salles 700, 702, 703, 705, 710 et 711. Les flux sont captés et polarisés dans cette aile où se concentrent les principaux « chefs-d’œuvre du Louvre » (La Joconde, La Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo) saturant ainsi le sud de l’édifice, y compris une partie de l’aile Sully qui mène aux Antiquités égyptiennes.

Pour environ 80 % des visiteurs, l’expérience du Louvre se résume à quelques œuvres centrées sur seulement 1/7e espaces d’exposition. Ceci caractérise un Louvre en anamorphose, c’est-à-dire une représentation déformée d’un lieu, impactant par la suite les pratiques muséales. Les espaces sont saturés de visiteurs qui accumulent des expériences de lieux ; ils auront faire le Louvre ou Orsay, tandis que d’autres départements de ces musées, qui présentent tout autant de chefs-d’œuvre, sont quasiment vides.

Une infra-organisation permet de « structurer » les lieux : escalier à sens unique, bande enroulable, sens de visite, incitation à décaler les horaires de visite, etc. Ces tentatives d’aménagement de l’espace muséal restent cependant symboliques : le les flux restent condensés à certains endroits.

Les expositions temporaires victimes de leur succès

Pour le musée d’Orsay, le phénomène de surpopulation est principalement lié aux expositions temporaires. Comme au Louvre, l’occupation est en anamorphose avec une forte concentration de visiteurs dans les deux espaces d’expositions temporaires situés au rez-de-chaussée du musée. Ces espaces représentent environ ¼ du total des espaces d’exposition.

Par exemple, en 2024, l’exposition Paris 1874 a accueilli 722 130 visiteurs sur 95 jours d’ouverture, soit 7 450 visiteurs par jour en moyenne. En réduisant la capacité horaire d’accueil au sein de l’espace d’exposition (2000 m2), on note que cela représente environ 830 visiteurs/heure, soit plus du double de celui recommandé par le ministère de la Culture (400 visiteurs/heure).

Le confort des visiteurs est relégué au second plan. Dans les expositions temporaires, les espaces s’engorgent vite à la moindre étape significative (informations, étiquettes, grands travaux). Les masses se rassemblent autour des œuvres les plus iconiques et l’empressement général impose un rythme soutenu de « rencontre » avec les œuvres. Le parcours muséal se vit au rythme des autres visiteurs.

Pourquoi une telle surpopulation ?

Le « désir de lieux » joue un rôle clé dans cette surpopulation. En résumé, le désir de lieux est motivé par les représentations. La notoriété et l’image d’une entité ont un impact sur le territoire : elles induisent du dynamisme, créent une envie, une envie de s’approprier un lieu et de le pratiquer.

Selon mes recherches, les réseaux sociaux numériques amplifient ce phénomène et deviennent des « espaces » temporaires et transitionnels entre les lieux culturels et leurs visiteurs. Les musées ont renforcé ces outils pendant le Covid-19 pour communiquer plus directement avec le public et renouveler leur image, augmentant ainsi leur attractivité. Les photos diffusées sont celles d’un musée vide, souvent dépourvu de visiteurs.

Le contraste entre les conditions de visite proposées par le musée d’Orsay et la réalité est saisissant.

Parallèlement, les visiteurs communiquent également sur les réseaux pendant ou après leur visite pour diffuser une expérience plus personnelle et non filtrée. Ces appropriations du lieu créent également une plus grande envie de visite. C’est d’ailleurs une volonté « d’avoir fait » un lieu plus qu’une découverte de celui-ci, une démarche qui s’apparente à une logique comptable, une sorte de concours où les points seraient comptés par photographies interposées.

En présentant leurs expériences de musées à leur réseau, ces différents acteurs augmentent la visibilité du musée. Cela conduit à une communication parfois virale qui échappe à l’institution et renouvelle les pratiques au sein des musées.

Une position ambivalente des musées

La fidélisation du public est un point important pour la gestion d’un musée, et la diversité des canaux de communication permet de capter ce public déjà conquis. L’expérience et l’expérience du musée virtuel sur place se heurtent : le virtuel-numérique n’est plus seulement un outil de communication, il devient un outil de visite, court-circuitant ainsi les actions mises en œuvre par les musées pour rendre la visite agréable.

À cela s’ajoutent les tensions budgétaires que connaissent les musées depuis plusieurs décennies. La surpopulation est donc à lire au prisme d’une économie d’institutions culturelles, qui, à travers la communication d’expositions ou d’événements populaires, attirent les visiteurs, mais pas seulement. Ils attirent de grands groupes qui cherchent à profiter de la bonne réputation de ces musées pour accueillir des événements privés. Ce mécénat d’entreprise calqué sur le modèle américain impose aux grands musées de s’autofinancer à hauteur de 67 % pour le musée d’Orsay et de l’Orangerie (2022) et de 56 % pour le musée du Louvre (2022). Ce modèle économique ne permet pas nécessairement à l’innovation de repenser son accessibilité dans l’espace et dans le temps, mais d’atteindre un équilibre budgétaire dans le contexte socio-économique actuel.

Certaines pistes sont cependant envisagées pour trouver un équilibre entre économie viable, intérêt socioculturel et renouvellement des pratiques muséales. Le musée du Louvre propose désormais deux « nocturnes » avec une ouverture jusqu’à 21 heures les mercredis et vendredis, contre une nocturne au musée d’Orsay le jeudi (21h45). Ainsi, étendre ces horaires à d’autres jours permettrait de fluidifier davantage la fréquentation des musées, notamment pour un public local. Pour le musée du Louvre, il y a aussi l’idée de dépolariser l’entrée de la Pyramide, qui en 1989 n’était pas conçue pour absorber une telle fréquentation. Ces nouveaux accès permettraient également de retravailler le lien entre le Louvre et la ville de Paris : le musée ne serait plus une forteresse dans laquelle les visiteurs entreraient par son centre, mais un lieu qui s’intégrerait dans le réseau de la ville. .

D’ici là, un conseil : si vous souhaitez visiter le Louvre en toute tranquillité, rangez vos téléphones et dirigez-vous vers des salles moins fréquentées, mais pleines de trésors, comme le deuxième étage de l’aile Sully (notamment les œuvres impressionnistes de la salle 903). ), ou des antiquités orientales au rez-de-chaussée de l’aile Richelieu (salles 227 à 230).

 
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