L’histoire se déroule dans un village reculé de la campagne (entre mer et terre) où deux agriculteurs, Aïcha, une mère douée de rêves prophétiques, et son mari, Brahim, sont dévastés par le départ inexpliqué de leurs deux fils aînés à la guerre. Syrie. Après le retour de l’un d’eux en compagnie d’une mystérieuse fiancée voilée et muette (Reem), les parents décident de passer sous silence ce retour dans leur communauté.
En lice en compétition officielle des JCC, parmi 14 autres longs métrages de fiction arabes et africains, le film « Mé el Aïn » (titre en anglais « Who Do I Belong To » et en français « LàD’où nous venons »), de Meryam Joobeur, a été projeté le 16 décembre à l’Opéra Théâtre de Tunis. Bien avant, les journalistes avaient droit à une séance de presse à 11h30 qui était malheureusement un peu perturbée par des intrusions et autres va-et-vient injustifiés. Ceci étant dit, nous avons quand même pu découvrir et apprécier ce joyau qui nous a séduit, notamment au niveau formel et stylistique. Meryam Joobeur a enduit la forme d’un réalisme magique, rejoignant cette tendance de plus en plus présente dans notre cinéma actuel où des histoires politiques ou des portraits de société sont composés à partir du cinéma de genre. En effet, dans « Mé el Ain » (120′, coproduction entre la Tunisie, le Canada, la France et le Qatar), qui est la version longue de son court métrage Brotherhood (nominé aux Oscars 2020 et lauréat de plusieurs prix dont le Golden Tanit aux JCC 2018 mention spéciale), le réalisateur flirte avec le fantastique et utilise les tropes de l’horreur pour aborder le drame de jeunes Tunisiens enrôlés par les forces obscures (pas vraiment maintenant) pour rejoindre les rangs de l’EI dans la guerre déclenchée. en 2011 en Syrie. La thématique générale est bien sûr un peu offshore qui se veut alignée sur la perception et l’assimilation de la doxa du Nord, s’inscrivant dans le cadre de ces sujets attachés aux pays du Sud (politique, patriarcat, obscurantisme, etc.) qui présentent les peuples arabes comme infiniment déchirés dans une lutte non résolue entre modernité et tradition… Mais la réalisatrice a réussi à la transcender par son parti pris esthétique. Une manière peut-être de dire que dans les pays du Sud on peut se représenter différemment nos réalités, dépasser la simple représentation pour se réconcilier avec notre histoire. L’histoire se déroule dans un village reculé de la campagne (entre mer et terre) où deux agriculteurs, Aïcha, une mère douée de dons prophétiques, et son mari Brahim sont dévastés par le départ inexpliqué de leurs deux fils aînés en guerre en Syrie.
Lorsque l’un d’eux (Mehdi) revient comme dans une apparition (amenée par la confusion scénaristique souhaitée entre les visions de la mère et la réalité) en compagnie d’une mystérieuse fiancée voilée et muette (Reem), les parents décident de taire ce retour à leur communauté. Le retour du fils (sans son frère Amine) déclenche d’étranges événements dans le village. Aïcha est tellement occupée à protéger Mehdi, ainsi que son plus jeune fils Adam, qu’elle remarque à peine la peur grandissante au sein de la communauté. Elle doit affronter les limites de son amour maternel afin de mettre fin à l’obscurité grandissante. “Mé el Ain” (que l’on peut traduire par eau de source) s’ouvre sur une vision d’Aïcha (interprétée par la magnifique Salha Nasraoui) à la fois poétique et morbide, où l’on voit un grand drap coincé dans des branches d’arbre dans un plan ouvert par un fondu. au noir et au bruit assourdissant du vent. D’emblée, on comprend qu’un drame se niche dans les coins de verdure de ce décor rural d’une beauté saisissante, dans ce qui semble être les restes d’un paradis perdu, celui de deux parents qui aspirent au bonheur simple. Et c’est à travers la figure protectrice de la mère et à travers ses visions prémonitoires que le récit, chapitrené en trois parties (Un an après la tempête, Une ombre habite parmi nous et Le réveil) va peu à peu prendre tout son sens. Aicha est le personnage central de l’histoire, une Pietà qui fait face au drame et une matrice qui contient les maux de la famille, ses propres prémonitions angoissantes, le silence horrifiant qui accompagne le retour du fils et la douleur de la perte annoncée. Le niqab et le silence de Rim perturbent profondément Brahim (joué par Mohamed Hassine Grayâa). Elle, de son côté, décide d’accueillir le couple dans la maison et s’engage à les protéger à tout prix. La mort inexpliquée d’un mouton et d’autres faits étranges sont distillés dans le deuxième chapitre du film pour dégénérer au fil de l’intrigue (et avec elles les visions de la mère) portés par l’élégance des décors sublimés par une magnifique photographie. Bilal, un jeune policier très proche de la famille, est contraint d’enquêter lorsque des disparitions progressives de jeunes hommes du village font surface, semant la confusion et la peur parmi les habitants. Dans les deux premiers volets, la caméra et le son semblent confiner à un mystère qui reste insaisissable.
La photographie avec ses nuances de bleu et de gris et cette présence violette vive qui drape les buissons, accentue cette atmosphère étrange et surnaturelle. Le format de l’image encadre les personnages et offre un effet d’immersion nous faisant vivre ce traumatisme partagé à chaque plan.
C’est dans la troisième partie que le voile commence à se dissiper petit à petit, offrant des aperçus pour le moins glaçants. Le drame est à son paroxysme porté par un émouvant glissement poétique. Outre les gros plans qui mettent en valeur les expressions faciales et les émotions fortes, le pathétique se dessine également à travers des allégories narratives et figuratives. Une belle esthétique, 120 minutes au rythme impeccable, une histoire émouvante et une approche narrative intéressante qui rappelle un peu l’ambiance de la série française à succès « Les Revenants » de Fabrice Gobert. Mention spéciale pour le casting et l’image.