En Arabie Saoudite, les scènes ouvertes aux rockers lors de la Riyadh Music Week

En organisant une semaine de festivités musicales, Riyad espère devenir la capitale arabe du divertissement. Une nouvelle opération séduction pour le prince au pouvoir, entre cheveux dénoués et liberté très surveillée.

Arabie Saoudite, Riyad, 11/09/2024, Kingdomtowers au crépuscule. Photo Roel Burgler/ANP via AFP

Par Anissa Rami

Publié le 17 décembre 2024 à 16h48

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Qquatre jeunes rockers en concert en Arabie Saoudite. La scène était inimaginable il y a à peine cinq ans. C’est pourtant lors d’un événement initié par le ministère saoudien de la Culture que Seera, groupe de rock 100% féminin saoudien, s’est produit. Le concert a eu lieu dans le cadre de la première édition de la Riyadh Music Week. Une semaine de concerts, d’ateliers et de rencontres, organisée du 5 au 14 décembre dans la capitale du royaume. L’événement s’est terminé par la toute première cérémonie des Billboard Arabia Music Awards, organisée le magazine américain Panneau d’affichage, Bible de l’industrie musicale mondiale.

Sur scène, Meesh et Haya, le bassiste et guitariste, secouent leurs cheveux ; Thing, à la batterie, cache son visage derrière un rectangle aux motifs traditionnels du monde arabe, tandis que Nora, la chanteuse, travaille au synthé, lorsqu’elle n’est pas allongée au sol, alternant voix douces et cris rauques proches du métal. La majorité du public est assise, mais une quinzaine de personnes sont debout au premier rang. Il y a dix ans, ce genre d’événement aurait été impensable en Arabie Saoudite, qui interdisait encore la musique live. Le pays n’autorise que la danse et le mixage lors des concerts depuis cinq ans. Mais ces dernières années, ces événements internationaux se sont multipliés. Ils font même partie intégrante du projet Vision 2030 du prince d’Arabie Saoudite et Premier ministre Mohammed Ben Salmane (dit « MBS »). Lancé en 2016, il vise à sortir le pays de sa dépendance au pétrole en diversifiant son économie, entre autres par le tourisme et le divertissement. En restaurant, au passage, l’image désastreuse de son pays en matière de droits humains – avec trois cents exécutions de prisonniers en 2024, l’Arabie saoudite a battu son record absolu, derrière l’Iran et la Chine.

Le groupe Seera en concert lors de la Riyad Music Week.

Le groupe Seera en concert lors de la Riyad Music Week. Photo Anissa Rami

Ce type d’événements répond également à une demande de la population, dont 60 % a moins de 30 ans. “MBS devait ouvrir son pays”, explique Clarence Rodriguez, journaliste français indépendant ayant vécu douze ans en Arabie Saoudite, « Par rapport à l’époque où les jeunes devaient aller dans le désert pour chanter et danser, c’est bien sûr un grand coup de pouce, mais ne nous y trompons pas. « MBS » veut redorer son image d’autocrate. Il utilise tous les domaines pour faire diversion. Il ne faut pas oublier qu’au même moment Salma al-Chehab, militante féministe saoudienne basée à Londres, a été condamnée à trente-quatre ans de prison en 2022… pour des tweets. » En 2018, la torture et l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, opposant au prince héritier, au consulat saoudien d’Istanbul, avaient provoqué un incident diplomatique majeur avec la Turquie.

La mise en œuvre de la Vision 2030 a entraîné certains changements au sein de la société saoudienne. En 2016, la première étape a été de réduire les pouvoirs de la police des mœurs, Muttawa. Particulièrement violents et redoutés par la population, ils n’ont plus le droit d’être arrêtés et détenus. Les femmes ne sont plus obligées de porter le voile, elles peuvent désormais conduire et ont même le droit, comme Seera, de se produire sur scène. Poursuivant cette libéralisation des mœurs, en janvier 2017, à Djeddah a eu lieu le premier concert de musique depuis plus de vingt-cinq ans. Sept mille hommes (le concert était interdit aux femmes) ont pu voir la star de la pop orientale saoudienne Mohammed Abdo. Puis, en 2019, la première édition de Soundstorm, le plus grand festival du Moyen-Orient, a réuni pendant deux jours plus de sept cent mille personnes, où femmes et hommes ont pu enfin se côtoyer sans restriction. Cette année, le festival accueillait Eminem, Muse et David Guetta. Bien que la vente d’alcool soit interdite, les jeunes festivaliers (des hommes en majorité) semblent avoir ignoré cette interdiction et profitent jusqu’à 4 heures du matin des scènes monumentales, des stars internationales, de la musique électronique, comme dans le reste du monde.

Concert de Calvin Harris à Soundstorm, le 13 décembre 2024, à Riyad, Arabie Saoudite.

Concert de Calvin Harris à Soundstorm, le 13 décembre 2024, à Riyad, Arabie Saoudite.

Concert de Calvin Harris à Soundstorm, le 13 décembre 2024, à Riyad, Arabie Saoudite. Photo Direct Group Arabie Saoudite/Getty Images via AFP

PDG de la commission musicale, l’une des onze que compte le ministère saoudien de la Culture, et donc organisateur de la Riyadh Music Week, l’homme d’affaires britannique Paul Pacifico veut voir dans la multiplication de ces événements l’avènement de « la nouvelle Arabie Saoudite ». « Tout doit être construit. Au niveau local, nous souhaitons offrir des opportunités créatives, des réseaux et des infrastructures aux jeunes artistes. Au niveau international, avoir une organisation comme les Billboard Arabia Music Awards nous permet de représenter au niveau international les talents, la créativité et le succès commercial musical des artistes du monde arabe. » A travers cet événement, l’Arabie Saoudite entend donc forger son image de capitale de l’industrie musicale dans le monde arabe. Selon l’IFPI (Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique), la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) est à la pointe du développement du streaming dans les marchés émergents : le marché de la musique enregistrée y a enregistré une croissance de 14,4% en 2023. Le streaming représente 98,4 % des revenus de l’industrie du disque, et le cabinet d’études indien Redseer estime que le nombre d’utilisateurs de streaming musical dans la région devrait tripler d’ici 2030. Un bon pari sur le sujet. l’avenir, donc.

Une partie de la jeunesse saoudienne préfère voir dans cette ouverture une nouvelle opportunité, après tant d’années passées dans la clandestinité. « Cela a changé ma vie et celle des artistes locaux, de pouvoir être vus, entendus ici et dehors, et de partager ces moments ensemble », s’enthousiasme le rappeur saoudien de 25 ans YSN Lowkey. Souriantes, maquillées pour les vacances et portant un foulard assorti à leur abaya, une mère et ses deux filles, d’une vingtaine d’années, ont payé chacune leur billet 350 riyals saoudiens (environ 90 euros) pour assister à la cérémonie des Billboard Arabia Music Awards, leur premier concert. . « On est tellement heureux de voir des artistes internationaux, c’est fou qu’ils viennent chez nous ! » Originaires de Médine, ils vivent désormais à Riyad, qui concentre, disent-ils, la plupart de ces spectacles.

Grâce aux investissements du gouvernement saoudien dans la musique, la jeunesse locale commence à avoir de l’espoir. “Mais qu’est-ce que la musique sans liberté d’expression, tempère le journaliste Clarence Rodriguez. L’Arabie saoudite pourra être considérée comme un pays ouvert et moderne une fois qu’elle aura résolu la question des droits de l’homme. Même si les choses avancent, il y a toujours une reprise politique. »

 
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