dans des terres inexplorées – .

L’écrivain Francesca Pollock, en 2022. SOPHIE ZÉNON

« Ferdinand des possibles », de Francesca Pollock, Verdier, 96 p., 8 €.

Le Carnaval d’Arlequin est une peinture de Joan Miro du milieu des années 1920. Le peintre catalan dynamise la scène de genre en disséminant partout des grimaces, des créatures, des formes et des objets. Manière d’exprimer l’inquiétante étrangeté du monde. Mais, au-delà de ça, ce qui gagne, c’est aussi la couleur, les couleurs. Ils ponctuent la toile, l’accentuent, l’élèvent, donnant, dans leur mouvement, une sorte de reflet pris dans le miroir du titre. Comme si le personnage de la commedia dell’arte avait furtivement traversé la composition, abandonnant partout les pièces de son costume coloré.

Ferdinand des possibilités raconte les aventures d’une sorte d’Arlequin. Il parle d’étrangeté et de couleurs, mais aussi d’esquisses et de signes, de bienveillance et d’amour. Francesca Pollock trace, trait par trait, à coups épais et fins, et ce depuis l’enfance, le portrait de son beau-fils, découvert grand adolescent, jeune adulte, au moment où elle rencontre son père (“l’homme dont je suis tombée amoureuse”).

Ferdinand, 32 ans aujourd’hui, est ” différent “. Il est atteint du syndrome CHARGE, une maladie génétique rare qui regroupe une lourde palette de malformations et de déficits neurosensoriels. Sourd, muet, si souvent malade, perdant l’équilibre, il a grandi sans paroles, sans sons, sans force. Cela aurait presque été sans images aussi. Car, s’il voit très mal, il voit quand même. Les médecins ne lui donnaient que quelques jours à vivre, mais c’est sa mère qui décéda, alors qu’il avait 2 ans, d’un cancer détecté à la naissance. Comment ne pas croire à la malchance, aux fées maléfiques des contes de fées ?

Petit Rimbaud sans paroles

Le livre de Francesca Pollock est une histoire de croisement, d’un autre chemin, d’un autre chemin. De chemins cachés, de passages de frontières. Avec Ferdinand, on réapprend à marcher, pas à pas. On avance dans des régions inexplorées. On s’accroche comme on peut au fil emmêlé de pensées sans mots. Sans vrais mots. Dans le centre spécialisé qu’il fréquentait, tout le monde était près de croire qu’il n’apprendrait rien, mais il avait appris des bribes de langue des signes, et un jour, devant une boîte de crayons, il est prêt à « signer » couleurs. ” A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu « Petit Rimbaud sans paroles. Le nuancier s’est enfin déroulé. Le silence était devenu vivant et polychrome.

“Il y a quelqu’un là-dedans”disait toujours son père. C’est lui qui l’a porté sur sa hanche jusqu’à l’âge de 5 ans. C’est lui qui l’accompagnait constamment. L’histoire le place en filigrane permanent. L’un ne va pas sans l’autre. Ferdinand aime passionnément les réfrigérateurs, les gares, les drapeaux, les voyages. Il montre plutôt son contentement, son bonheur immédiat, en se livrant à « danses de joie »ces secousses vives auxquelles il ressemble, tapant du pied, agitant les bras, comme un oiseau battant des ailes en vol.

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