Il est impossible de ne pas penser à Joseph Ponthus et à son livre À la ligne où il décrivait, en 2019, son quotidien d’ouvrier à la chaîne dans une conserverie et un abattoir breton, avant de décéder deux ans plus tard alors que son histoire rencontrait un grand succès. Lorrain Voisard nous emmène également dans un abattoir. Comme Ponthus, il a des lettres et il nous le fait savoir à travers une multitude de citations littéraires. Ce qui se passe dans un abattoir est absolument fascinant. La moindre tranche de jambon ou de steak est le résultat de la mise à mort plus ou moins brutale d’un animal. On a bien sûr tendance à l’oublier lorsqu’on mâche cette chair, lorsqu’on la grille au barbecue. La question n’est pas d’être moralisateur mais de constater à quel point on est loin de la réalité des choses. C’est pourquoi il est intéressant de lire Au coeur de la bête et les formidables descriptions du sang, des tripes, des regards des animaux allant vers la mort, de leurs sabots glissant sur le béton. Si Ponthus était dans la lignée de Robert Linhart – auteur de L’Établi (1978) – et de la littérature prolétarienne, Lorrain Voisard adopte le point de vue d’un auteur expérimentant plutôt que celui d’un ouvrier livrant le récit de son œuvre. Ça dilue un peu l’histoire, ça met le lecteur à distance, dommage. Quant au titre… Le ligne de Ponthus, c’est ce qu’on appelait autrefois « la chaîne » dans les usines, L’Établi Celui de Linhart est explicite. Donc, Au coeur de la bêtec’est un peu vague, cela ressemble au titre d’un roman catholique du début du XXe siècle… Mais n’y pensez pas en lisant le livre.
