Hebdo Finance News : Votre dernier ouvrage nous plonge au cœur de la guerre entre Israël et le Hamas. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire sur ce sujet brûlant ?
Dr. Ali Benzane : Après les événements du 7 octobre 2023 et le début de l’offensive sioniste à Gaza, un long silence m’a d’abord été imposé. Une absence de mots face à l’horreur et à la souffrance quotidiennes. Les centaines de morts au milieu d’un paysage en ruine, les images insupportables d’enfants tués à l’aube leur vie… Surtout parce que cette période difficile a coïncidé avec la naissance de ma fille. Elle est née dans la paix et la sérénité. Les nouveau-nés à Gaza n’ont pas eu cette chance. Cela a été un stimulant pour moi… J’ai pu trouver la force d’écrire sur le massacre des Palestiniens et d’affronter l’insupportable. Je n’avais pas le droit de garder le silence. L’écriture a été particulièrement fatiguante, mais je suis heureuse et soulagée d’avoir pu donner la parole à ceux qui n’en avaient pas. J’ai commencé par écrire de la poésie, puis plusieurs textes publiés dans différents médias comme tout cela constituait la matière de ce livre. Dans la préface, je raconte comment ce qui aurait dû être un simple article pour un média français s’est transformé en un essai de près de 300 pages.
FNH : « Banding Gaza », le titre est expressif, mais il révèle surtout une triste réalité. Selon vous, la bande de Gaza sera-t-elle capable de panser ses blessures ?
Docteur AB : Par l’homophonie entre les mots « penser » et « s’habiller », le titre est à la fois ambivalent et contradictoire. Comme guérir les stigmates d’un véritable génocide, panser des blessures qui dureront plusieurs générations ? C’est du domaine de l’impossible… De même, comment penser l’impensable, l’horreur pure ? C’est pourquoi je me suis inspiré des poètes et des intellectuels qui ont eu le courage de tenter de comprendre les camps de concentration nazis : Paul Celan, Primo Levi, Giorgio Agamben… Parce que je suis convaincu qu’à l’avenir l’histoire se souviendra de Gaza comme d’un nouveau Auschwitz. Ce qui se passe sous nos yeux, dans ce camp à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza, constitue le premier génocide vivant de l’histoire. C’est complètement nouveau, du jamais vu… C’est donc en essayant de comprendre les raisons de cette explosion de violence irrationnelle que nous pouvons contribuer à alléger les souffrances des Palestiniens, mais aussi nos propres blessures internes dues à notre impuissance. face à l’ampleur du massacre. Cet effort de réflexion a été pour moi un véritable défi, qui a nécessité une approche multidisciplinaire : poésie, philosophie, géopolitique, théologie, anthropologie… « Banding Gaza » est le résultat de ce travail de recherche passionnant qui apporte néanmoins une note d’espoir…
FNH : Dans votre travail vous proposez une réflexion qui vous est propre et qui nous dévoilera inlassablement les dessous d’une idéologie. Qu’est-ce que c’est exactement ?
Docteur AB : L’objet principal de mon livre est la déconstruction de ce que j’ai appelé le sionisme messianique. Le sionisme moderne a commencé comme une entreprise nationaliste manipulant la religion juive à des fins coloniales. Cette composante religieuse trompeuse est devenue de plus en plus importante, conduisant à l’apparition d’un judaïsme parodique totalement assimilé au sionisme. Pour moi, le tournant a eu lieu en 1967 avec la guerre des Six Jours, qui a conduit à l’émergence d’un sionisme messianique suprémaciste et raciste, dont la coalition actuellement au pouvoir en Israël est l’incarnation la plus extrême. J’effectue un véritable travail archéologique qui retrace la genèse de ce courant particulièrement violent, dont le point de départ est le mouvement du sionisme révisionniste fondé par Vladimir Zeev Jabotinsky, et dont Benjamin Netanyahu est l’héritier idéologique. L’idéologie sioniste révisionniste est directement responsable des pires massacres de villages palestiniens de 1948, notamment ceux de Deir Yassine et de Dawaimeh. Si l’on veut dénoncer les abus du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre 2023, nous devons garder à l’esprit que les Palestiniens ont subi des milliers d’attaques du « 7 octobre » perpétrées par les forces sionistes. Et cela dure depuis près de 80 ans. Depuis l’apparition de ce mouvement sioniste extrémiste, plusieurs intellectuels israéliens se sont fermement opposés à l’idéologie national-messianique. L’un d’eux est le philosophe et scientifique Yeshayahou Leibowitz, à qui je rends un large hommage dans mon livre. Après le 7 octobre et la guerre à Gaza, d’éminentes personnalités juives se sont dissociées de l’État d’Israël, notamment le violoniste Michael Barenboim et le professeur Avi Shlaim. Parce que pour la religion juive, le sionisme messianique est ce qu’est l’islamisme la plus violente est celle envers la religion musulmane. Sauf que les sionistes actuels s’appuient sur des moyens techniques sophistiqués pour faire avancer leur programme messianique. De plus, le culte de la technologie fait partie intégrante de leur idéologie, comme je le démontre dans le chapitre « Prometheus Unleashed ». Je montrerai également comment les sionistes ont utilisé la tradition militaire juive (qui présente d’ailleurs de nombreuses similitudes avec la guerre prophétique) pour former des corps de guerre qui ont donné naissance à l’une des armées les plus immorales au monde. Des milices paramilitaires de 1948 aux forces de défense de l’appareil d’État israélien, c’est le même esprit qui prédomine : la volonté d’un nettoyage ethnique permanent qui se transforme actuellement en génocide pur et simple.
FNH : Est-il donc nécessaire pour vous de distinguer sionisme et judaïsme ?
Docteur AB : Il faut absolument faire la distinction entre le judaïsme et le sionisme messianique. Le professionnelLe problème est que cet amalgame est entretenu par les sionistes eux-mêmes à des fins politiques, mais aussi dans le discours de certains antisionistes qui tendent vers l’antijudaïsme. Il est donc particulièrement douloureux d’entendre les dirigeants politiques marocains entretenir cette confusion en stigmatisant la communauté juive et en niant notre histoire judéo-arabe. L’histoire séculaire entre le Maroc et les Juifs est unique dans le monde arabe et précieuse. Il est important de le préserver et de ne pas alimenter la haine. D’autant que les juifs arabes ont aussi été victimes du sionisme et de sa propagande meurtrière, qui a procédé à un véritable lavage de cerveau au sein de la société israélienne. Il faut aussi dénoncer le silence assourdissant de certaines personnalités très impliquées dans le dialogue entre juifs et musulmans : le discours de paix ne suffit plus ; Le génocide de Gaza nous ramène aux fondements de toute religion, quelle qu’elle soit : la paix et la coexistence. Juifs et musulmans Il faut dénoncer l’hyperviolence sioniste, mais aussi cette mainmise insoutenable du judaïsme par un sionisme messianique qui brandit l’anathème de l’antisémitisme pour continuer de massacrer et terroriser les Palestiniens (mais aussi les Libanais) en toute impunité. Que mon message soit entendu et compris. Je suis particulièrement fier d’avoir pu réunir dans mon livre les trois religions abrahamiques grâce à l’apport du philosophe de tradition chrétienne Alain Santacreu, théoricien du contre-sionisme et auteur d’une préface de haut niveau, ainsi que du Rabbin antisioniste français. L’Israélien Gabriel Hagai, qui a écrit une postface mémorable, véritable appel à la paix, à l’humanité et à la compréhension entre les enfants d’Abraham.
FNH : Votre prochain ouvrage s’intitule « Le Cheveu d’ange ». Il s’agit d’un essai consacré à la relation entre poésie et spiritualité à travers le poète soufi Ibn Arabi. Quel secret se cache derrière votre flexibilité pour naviguer contre vents et marées ?
Docteur AB : Ma passion pour l’écriture et ma soif de connaissances depuis l’enfance ont alimenté ma curiosité et cette envie de comprendre envers et contre tout… Cependant, la poésie reste le fil conducteur de mes œuvres. La plupart du temps c’est un élan poétique qui est à l’origine de mon envie d’écrire, qu’il s’agisse d’un essai ou d’un roman. C’est également le cas de mon prochain livre qui sera publié dans la collection Theoria à L’Harmattan et qui naît d’une question sur l’origine de l’inspiration poétique. J’ai eu le privilège d’être accompagné dans ce travail par le professeur Éric Geoffroy. Il est l’un des plus éminents spécialistes francophones du soufisme. Plus généralement, ce livre est une connexion entre l’Orient et l’Occident à travers la poésie et la spiritualité, qui est aussi l’un des fils conducteurs de mon travail littéraire.
FNH : Comment parvenez-vous à concilier votre intérêt pour les sciences et votre passion littéraire ?
Docteur AB : S’il est vrai que la littérature est ma véritable passion, la science m’aide aussi à comprendre le monde et constitue donc un prolongement de mon travail littéraire. L’écriture est pour moi une forme de thérapie. Dans mes œuvres, j’essaie toujours de créer des ponts entre les deux domaines, comme cela se produit dans mon essai “The Truth Test”, consacré à la pandémie de 2020 et au monde post-Covid. Dans mon prochain livre, « Les Cheveux d’Ange », ainsi que dans mon autre roman en cours d’écriture, c’est mon travail de pharmacienne qui occupe une place très poétique…