FEMINA Paris a-t-elle changé votre façon de vous habiller ?
Yann Marguet J’ai l’impression que c’est à New York que mon style s’est imposé, plutôt qu’à Paris. Lors de mon séjour à New York en 2010, j’ai découvert le cosmopolitisme, qui a transformé ma vision du monde en termes de diversité et d’ouverture, notamment en termes de style. New York est un mélange de street et de chic, exubérant mais subtil. Malheureusement, entre groupes de luxe et fast fashion, il reste encore un défi de consommer responsable quand on est passionné de mode.
Quel est votre premier souvenir mode ?
Je devais être en huitième ou neuvième à Sainte-Croix, quand un jour ma mère m’a dit : « Viens, on va à Lausanne, il faut t’acheter des vêtements. Avant cela, mon style était très « Sainte Croix 1997 », avec une veste de ski violette et des chaussures Gore-Tex achetées chez Perotti Chaussures. Ce jour-là chez Intersport, un vendeur m’a pris sous son aile et m’a expliqué ce qui était « cool ». Je suis rentré à la maison avec une veste Helly Hansen, un pantalon ample et des Airwalks. De retour à l’école, je me sentais fière et pertinente, et je pense que c’est en quelque sorte le début de mon intérêt pour les vêtements.
Que signifie pour vous être un homme en 2024 ?
J’ai parlé de ce sujet dans ma chronique hebdomadaire de l’émission Tous les jours sur TMC, à propos de Not All Men. J’ai l’impression qu’un vieux monde s’effondre et cela génère beaucoup de résistance. Le récent résultat des élections présidentielles américaines m’inquiète beaucoup. On observe des privilèges difficiles à remettre en cause chez ceux qui n’y sont pas habitués. Pour ma part, j’essaie de m’impliquer dans cette démarche, de me poser des questions et de penser différemment de ce que la société m’a enseigné. Du moins, c’est l’impression que j’ai.
Quelles valeurs vous ont été inculquées ?
Des valeurs traditionnellement masculines, avec une liste de comportements auxquels chaque homme est censé s’identifier. Je ne dis pas que tous les hommes étaient violents, mais on nous a appris qu’imposer ses opinions était acceptable, qu’il était vital d’avoir raison et que pleurer était considéré comme gay ou féminin. En vieillissant et en accumulant de l’expérience, on apprend à réfléchir sur ces attitudes passées, à se dire que l’on peut s’améliorer, notamment en écoutant davantage. Depuis le mouvement #MeToo, la société a évolué, être un homme aujourd’hui, c’est comprendre cet enjeu. Peut-être que la masculinité moderne consiste à ne pas nier le déni, à se remettre en question et à ne pas être systématiquement sur la défensive.
Vous sentez-vous responsable de devoir aborder certains sujets dans vos chroniques ?
Le féminisme est présent dans mon travail depuis longtemps. Je remarque que le discours s’affine constamment. Cependant, dire que je suis responsable, c’est nous accorder trop d’importance. C’est ce qui nous distingue des politiciens. Il s’agit d’humour, de divertissement, d’une manière d’alléger le drame. Evidemment, cela dépend des sujets, car certains sont sérieux, mais il existe aussi des chroniques plus légères sur des thèmes triviaux. Je crois qu’injecter de la réflexion est essentiel, sans tomber dans le moralisme. Quand j’ai fait le parallèle avec les politiques, c’était pour souligner qu’il faut rester libre de changer d’avis. Nous évoluons. L’humour évolue. Contrairement à un politicien, je ne veux pas être enchaîné à une ligne rigide.
Y a-t-il des thèmes que vous n’osez pas aborder ?
Vivre avec son temps, c’est accepter que même si quelque chose me fait rire, cela ne justifie pas toujours de le dire. Les contextes et les moments doivent être pris en compte. Quand on écrit une chronique, l’audience est bien plus large que lors d’une soirée entre amis. C’est moins de l’autocensure que de l’adaptation et du bon sens.
Vous écrivez avec votre compagne, Audrey Zahno, qu’est-ce que ça change ?
Il apporte une certaine perspective, couplée à un esprit de concision et de précision. Elle a une vision très claire du message à transmettre, et de l’importance de prêter attention à chaque détail (encore plus que moi) jusqu’à la dernière virgule. Grâce à lui, notre réflexion est plus profonde et se fait ensemble. Et pour que ce soit encore plus drôle, il y a mes autres auteurs, Benjamin Décosterd, Yacine Nemra et Thomas Wiesel.
Vous êtes actuellement en tournée avec le spectacle « Exister, définition », de quoi s’agit-il ?
L’objectif était de mettre en scène une version de la chronique des Orties. J’ai abordé des thèmes aussi bien sérieux que légers, allant de l’identité suisse à des sujets comme les chats ou le rhume des foins. Je me demandais lequel pourrait tenir la distance pendant plus d’une heure sur scène. Je pensais, peut-être naïvement, que l’existence pouvait recouvrir pas mal de thèmes. Le sous-titre est « de l’infiniment grand à l’infiniment stupide », car il y a cette voûte céleste infinie au-dessus de nous, avec ses gaz et ses boules géantes qui tournent au milieu d’un rien composé de tout. Le spectacle raconte comment nous naviguons dans ces phénomènes au-dessus de nous, que nous ne comprenons pas très bien, et la réalité parfois brutale et désenchantée de notre vie terrestre.
Prochaines dates, certaines déjà complètes, du spectacle « Exister, définition » en Suisse romande : les 3 et 4 décembre 2024 à Genève au Théâtre du Léman et les 10, 11 et 12 janvier à Lausanne au Théâtre de Beaulieu.
Biographie
1984 Naissance à Sainte-Croix
2010 Obtient une licence en droit et un master en criminologie à l’Université de Lausanne
2016 Rejoint Couleur 3 où il crée les rubriques « Les Orties » et « Sexomax »
2019 Création de sa première exposition personnelle, « Exister, définition »
2022 Chronique hebdomadaire sur France Inter, « Zoom zoom zen »
2023 Weekly column in the show “Quotidien”, “Vivement qu’on crève”
Photo Lauretta Suter, assistant photo Valentin Suter, stylisme Bruna Lacerda et Sokhna Cissé, beauté Justine Revaz, production Caroline Oberkampff-Imsand, direction artistique Naila Maiorana. Nous remercions la fondation Château de Chillon et toute son équipe pour leur accueil chaleureux.
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