Par
Marie-Madeleine Remoleur
Publié le
17 novembre 2024 à 18h30
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Segui Le Pays d’Auge
“Faire d’un mot le bel amoureux d’une phrase”. Devant la bibliothèque, l’œuvre street art de Mlle Tic cachets sur les murs de Trouville-sur-Mer (Calvados) l’histoire commune de Marguerite Duras et la reine des plages. “Elle est toujours là”, confirme-t-il Marie-Thérèse Gibourdelqui la connaissait depuis des années, lorsque l’écrivain et cinéaste venait dans sa pâtisserie Carlotta Corday.
Il y a 40 ans, en novembre 1984, Marguerite Duras remportait le Prix Goncourt L’amant. Une œuvre, comme bien d’autres, dans laquelle on sent l’inspiration de Trouville, station normande qui conserve encore, dans les esprits ou entre ses murs, le passage de l’écrivain. Aujourd’hui, un échelle porte son nom, un ancien hôtel, le Roches noiresreste étroitement lié à la femme qui y vécut et y écrivit. Et dans la tête de ceux qui l’ont connue, lue ou rencontré son fantôme, demeure Marguerite Duras.
Un refuge pour écrire
Dans 1963Marguerite Duras achète un appartement à Trouville, au premier étage de l’ancien hôtel des Roches Noires. Un endroit où, devant elle, Marcel Proust avait vécu et où il aimait écrire. « Regarder la mer, c’est tout regarder »une de ses citations est toujours affichée à l’entrée du bâtiment où il a séjourné pendant de longues périodes, de 1963 à sa mort en 1996.
« Trouville fut le premier un lieu qui lui a permis d’écrire dans une certaine solitude. C’était une sorte de refuge, un lieu de retraite, qu’il fréquentait avec parcimonie », raconte-t-il. Alain Vircondeletl’un des biographes les plus reconnus de Marguerite Duras qui vient de publier Le dernier secret de Marguerite Duras.
Au coeur de la Reine des plages, l’écrivain aimait particulièrement la mer “Trouville fut au centre de son oeuvre entre 1980 et 1993, un lieu qui porte son imagination et son travail. C’est toujours là cette réminiscence de l’eaucette mer qu’elle appelait l’illisible, en perpétuel mouvement, sorte de mystère du monde qui lui rappelait son passé. Pourtant, loin de son Indochine natale, Marguerite Duras a trouvé à Trouville « une sorte de lieu de mémoire « . Alain Vircondelet ajoute : « Cet appartement lui a rappelé ça domaines et ambassades qu’il avait vu quand il était plus jeune. Il retrouvait, en un certain sens, à Trouville des réminiscences de ce qu’il avait vécu lors de ses séjours en Indochine, les Roches Noires étaient comme une continuité de son imaginaire.
“Il avait une voix captivante”
Pour l’écrivain, Trouville était un lieu d’inspiration, mais aussi un lieu d’inspiration un lieu d’évasions et de rencontresexaminant le pays d’Auge et ses adresses, notamment dans Central où il avait sa table, et la pâtisserie Carlotta Corday.
Il venait presque tous les jours manger au magasin pour le déjeuner, à la même table, au bord de la route. Il a mangé une petite quiche et nous avons discuté tout l’après-midi.
Mais avant d’entrer pour la première fois dans la boutique, Marguerite Duras a trouvé que « c’était trop chic pour elle ».
Per la Trouvillaise, questi moments de partage avec celui qui est devenu son ami ils restent ancrés dans sa mémoire. “Il l’a vraiment fait une voix captivanteelle il m’a dit ça toute sa vie » sourit celle qui, au fil des années, est devenue une véritable confidente. « Je suis assez bavarde et j’écoute les gens, Marguerite m’a tout raconté de sa vie : la libération de son mari en Allemagne avec François Mitterrand, son enfant mort. C’était très personnel, mais quand même enrichissant « . Un enrichissement mutuel. « Marguerite Duras m’a ouvert l’esprit aux nombreux auteurs et réalisateurs avec lesquels elle a travaillé, raconte Marie-Thérèse.
De son côté, Trouvillaise a déclaré à l’écrivain les histoires qu’il a inventées pour sa petite-fille. « Il m’a dit que je devais les écrire, et c’est vrai que je devrais le faire », sourit tendrement Marie-Thérèse. Pour Marguerite Duras, elle fut également conseillère pour l’exploration de la région. « Depuis 1980, avec mon associé Yann Andrea et le photographe Hélène Bambergerils partaient à cheval dans l’après-midi pour explorer la région. J’ai recommandé des cimetières, des chapelles…”.
Des histoires, des souvenirs, Marie-Thérèse a beaucoup à raconter. Des histoires intimes, d’autres qui font sourire. « Parfois, des clients venaient lui demander si elle était Marguerite Duras. Elle lui répondit qu’elle lui ressemblait beaucoup, mais que ce n’était pas elle. Je riais derrière le comptoir.
« Son fantôme hante toujours Trouville »
Près de 30 ans après sa mort, que reste-t-il de Marguerite Duras à Trouville ? « Il a laissé une vraie marque, estime Marie-Thérèse. « Les Roches Noires, l’escalier qui porte son nom, le front de mer où elle faisait sa promenade matinale, le Central, Charlotte Corday : on aime retourner dans les lieux qu’elle a aimés. C’est un climat durassien, très littéraire”, estime Alain Vircondelet.
Si les Rencontres Marguerite Duras, qui ont permis pendant de nombreuses années d’honorer sa mémoire, ont disparu de Trouville en 2022, suite à une décision de la Municipalité, son héritage demeure, et continuer à inspirer et à soutenirmême ceux qui ne la connaissaient pas.
Viens Vincenzo Jaglin installé à Trouville il y a 16 ans, “merci à elle”. Une décision prise quelques années après sa première rencontre avec le fantôme de l’écrivain.
C’était en 2002, je voyageais et j’ai décidé de passer par Trouville. Par hasard j’ai pris la route de la Corniche qui tombe sur les Roches Noires. J’ai ressenti une émotion esthétique très forte devant le paysage, et je suis tombé sur le fantôme de Marguerite, avec la plaque portant son nom. À l’époque, pour moi, tout se résumait à Hiroshima, mon amour.
Quelques années après cette première « rencontre », il s’installe 2008 à Trouville pour elle, pour revivre encore et encore cet « instantané itinérant » de la route de la Corniche, pour « se rapprocher de son œuvre » et lutter contre les addictions. “C’est grâce à Marguerite Duras, à ses discours, ses écrits, ses enregistrements, que j’ai arrêté de boire”, confie-t-il. Un combat qu’il raconte dans son film Les fantômes de Marguerite. “Il y a quelques années j’ai rencontré Jean Mascolo aux Roches Noires, je lui ai dit : ta mère m’a sauvé”.
Cette complicité avec Marguerite Duras lui a permis de le faire construire de vraies amitiés et lui a ouvert les portes de ses espaces de vie. Avec le fils de l’auteur, mais aussi avec Marie-Thérèse Gibourdel, devenue sa « meilleure amie » ou encore avec celle qui partage aujourd’hui sa vie, Federica LautoPsychanalyste et écrivain italien.
Il y a deux ans, il m’a contacté car il écrivait un roman biographique sur les lieux de Duras. Nous nous sommes rencontrés, nous n’avons jamais cessé de nous écrire et nous vivons ensemble. Il y a une magie de Duras, son fantôme crée de véritables rencontres.
Toujours ” moderne et mis à jour », selon Vincent, Marguerite Duras est également toujours très présente à Trouville. ” J’ai une relation très intime avec les fantômesdonc je la vois et je l’entends partout à Trouville”, sourit-il, avant d’énumérer : “Elle est très présente intensément aux Roches Noirs, mais aussi la rue de Londres qui était sa préférée, à l’entrée de la bibliothèque avec sa citation Dès que je m’éloigne de Trouville j’ai la sensation de perdre la lumière. Il est là dans les lumières, à certaines marées hautes quand la mer s’éloigne. Son fantôme plane toujours sur Trouville.
Les étendues de sable lui « rappelaient le Mékong »
Dans le livre photographique Chez Marguerite Duras récemment paru, Catherine Faux revisite en images les lieux où vécut Marguerite Duras. « Dans ma carrière de photographe, j’ai principalement réalisé des portraits. Puis j’ai rencontré Jean Mascolo (fils de Marguerite Duras, ndlr) en 1998. Fréquentant souvent les lieux de Marguerite Duras, j’ai ressenti l’envie de photographier ces lieux comme s’il s’agissait de personnages, raconte Catherine Faux.
« Marguerite le dit elle-même, c’est après avoir acheté Neauphle qu’elle s’est véritablement mise à écrire. C’était la première fois qu’il se sentait vraiment chez lui. Auparavant, ce n’était pas le propriétaire. Elle a loué toute sa vie l’appartement de la rue Saint-Benoît où, après la guerre, elle et son mari recevaient leurs amis intellectuels. Il écrivait sur le coin de la table. C’est ainsi qu’il commence à écrire à Neauphle-le-Château.
La Normandie fut aussi pour elle un lieu d’inspiration. « Il a aussi beaucoup écrit à Trouville. Il fréquente souvent les Gallimard à Benerville-sur-Mer. Lorsqu’il apprend qu’un appartement est à vendre à Roches Noires, il l’achète aussitôt. Les immenses étendues de sable devant les Roches Noires lui rappelaient le Mékong. Il adorait se promener dans les environs qui étaient une Source d’inspiration.
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