« L’euro numérique est indispensable, mais il arrive au mauvais moment »

« L’euro numérique est indispensable, mais il arrive au mauvais moment »
« L’euro numérique est indispensable, mais il arrive au mauvais moment »

Wero, cartes bancaires, euro numérique… Les paiements sont devenus un enjeu majeur. Le constat est désormais partagé, mais les moyens pour parvenir à la souveraineté européenne divergent encore largement entre les acteurs et les États. Aux yeux d’Hervé Sitruk, président du forum des paiements, le temps presse face à la concurrence accrue des Etats-Unis.

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LA TRIBUNE – Le lancement de Wero, le nouveau service de paiement paneuropéen, est-il vraiment une priorité pour les banques ?

HERVÉ SITRUK – Wero est le grand projet européen actuel et son déploiement auprès des particuliers est en cours. Il mobilise les énergies et les ambitions de tous les acteurs européens, car il s’agit d’un projet majeur, essentiel et d’un avenir prometteur pour l’Europe des paiements.

Quels sont finalement les enjeux de Wero ?

Wero est un projet fantastique car il rassemble, bien au-delà des banques, les pouvoirs publics européens, le commerce et tous les acteurs du paiement, jusqu’aux grandes entreprises industrielles de paiement, qui souhaitent une Europe souveraine des paiements.

C’est un projet qui vise à la fois à créer une grande marque européenne, et une solution paneuropéenne, à partir de briques préexistantes. Il concernera un sous-marché européen, couvrant plus de 60 % des paiements paneuropéens. C’est aussi un projet innovant, qui combine les avantages du virement instantané, et certains avantages de la carte de paiement. Finalement, c’est un projet ambitieux.

Au départ, il souhaitait certainement couvrir tout le spectre des paiements, de la carte au virement instantané. Mais la première phase du projet s’est terminée par l’abandon du projet schème (Schéma de paiement, NDLR) carte paneuropéenne, alors que les banques françaises y étaient prêtes. Wero conserve cependant l’ambition de créer un grand schème sur transfert instantané. Et pour couvrir tous les paiements instantanés en Europe, mais aussi pour agir contre la suprématie du schémas cartes internationales en Europe. Enfin, il est ambitieux puisqu’il s’attaque également aux Big Tech, et notamment Apple, et aux autres solutions Xpay.

Les promoteurs de Wero auront-ils suffisamment de force pour affronter les grands réseaux de cartes américains ?

Wero se heurtera inévitablement à trois murs. Le premier est la puissance de feu des grands réseaux de cartes américains (ICS, International Card Services, NDLR), sur le plan financier et technique, et leurs leviers qu’ils ont patiemment construits depuis 40 ans, et qu’il faut débusquer. . Mais aussi au pouvoir des autres Big Tech, qui ne veulent pas d’une solution européenne, car l’Europe doit rester un terrain de chasse et d’expansion.

Wero se heurtera alors aux ambitions des marchés locaux européens, qui voudront défendre des solutions locales, sans voir qu’ils ouvrent ainsi la porte à des concurrents internationaux. C’est une fausse compétition entre schémas. Le véritable duel oppose les banques et les autres prestataires de services de paiement (PSP). LE schémas doit être au service de la PSP.

Enfin, Wero risque de se heurter à l’euro numérique, qui est un duplicata issu des banques centrales. Il faut cependant soutenir le projet. Elle doit servir de bulldozer pour ouvrir la voie aux paiements européens et à la souveraineté européenne en matière de paiements.

Quelle place accorder à l’euro numérique ?

Rappelons d’abord que le projet de l’euro numérique a changé. Il s’agissait à l’origine d’un projet défensif contre les projets de monnaie numérique d’acteurs privés, comme Facebook avec Diem (anciennement Libra) et les stablecoins. C’est devenu un projet technique en soi, car la menace des stablecoins a fortement diminué, même si elle n’a pas disparu. Et là, son ambition a changé.

Son objectif n’est pas simplement de répondre à la tendance baissière de l’euro en espèces, mais d’aborder de nouveaux domaines de paiement, comme le paiement à distance. C’est ce qui fait débat. C’est d’autant plus débattu que l’euro numérique n’est pas une nécessité à court terme. Plusieurs endroits en débattent, comme à New York ou à Londres, voire y ont renoncé, comme en Suisse.

L’euro numérique est-il une menace pour les banques ?

Le risque est double. Elle peut détourner les investissements nécessaires au paiement numérique, à la sécurité des paiements, à la défragmentation et à la souveraineté européenne, comme avec Wero, voire pour une carte européenne. Cependant, ils sont urgents et prioritaires. Elle peut alors compromettre le secteur du crédit en siphonnant une partie des dépôts bancaires, même si la BCE fait tout pour éviter cela. C’est la crainte de nombreux Etats européens.

A vrai dire, ce projet d’euro numérique est inévitable à long terme, mais il arrive au mauvais moment, et devrait tout simplement être reporté. D’autant qu’avec le règlement sur le cours légal de l’euro et le règlement MiCA, la place de l’euro fiat va être renforcée. Les banques centrales devraient donner la priorité à leurs efforts en faveur d’une monnaie cryptographique de gros, sorte de jeton de gros de l’euro, que la Banque de France a testé avec succès et que la BCE est en train de tester.

Les cartes bancaires fêteront leurs 40 ans. Quels enseignements tirer de cette réussite industrielle pour l’avenir des paiements ?

Cartes Bancaires est aujourd’hui le premier système de paiement par carte domestique en Europe, en présentiel et à distance. Et la carte reste le moyen de paiement le plus innovant, le plus sûr, le moins coûteux et celui qui apporte le plus de services et de garanties aux utilisateurs, aux porteurs de cartes et aux commerçants.

Son succès tient à plusieurs facteurs, comme la solidité de l’interbancaire et l’universalité des paiements et des retraits en France, une approche où l’objectif n’est pas l’appréciation du capital comme c’est le cas pour schémas cartes internationales. Il y a donc de nombreux enseignements à tirer pour l’Europe des paiements : la nécessité de rassembler les acteurs des services de paiement pour construire ensemble une solution qui convienne à tous. Et enfin et surtout remplacer la concurrence entre schémaslaisser place à la concurrence entre acteurs du paiement, banques ou PSP non bancaires.

Comment surmonter la fragmentation du marché des paiements en Europe ?

Christian de Boissieu, vice-president of the Cercle des Économistes, had already written that “ tout se passe comme si nous ne profitions pas pleinement du marché unique « . Dès 1993, un premier rapport sur les organisations interbancaires de paiement en Europe décrivait une mosaïque de systèmes de paiement, avec des cultures de paiement et des systèmes nationaux très variés. Aujourd’hui, le marché n’a pas fonctionné, il n’y a pas eu de consolidation bancaire ou industrielle, le schémas les pays internationaux sont dominants et l’euro n’y a rien changé.

Pour l’avenir, l’euro numérique ne changera rien non plus. Et il ne s’agit plus de cultures, mais de concurrence entre systèmes nationaux. Cela change. Nous avons donc besoin d’une volonté politique et réglementaire européenne pour imposer des infrastructures européennes et des engagements de chaque État européen pour contribuer à un marché unique des paiements en Europe, notamment par le biais de consolidations industrielles et bancaires.

Le futur plan stratégique européen en matière de paiements devra servir à la fois à définir un objectif commun en Europe, et à définir les contributions des États européens à un marché unique des paiements. Mais il faut aussi une volonté des acteurs du marché, une refonte du schémas Les systèmes de paiement européens doivent rechercher la convergence et adopter le meilleures pratiques.

Cette volonté européenne existe-t-elle vraiment dans les paiements, comme ce fut notamment le cas dans l’aéronautique avec la création d’Airbus ?

La Commission européenne ne peut agir sans l’accord des États, et il existe 29 États en Europe, dont 2, la France et l’Allemagne, réalisent plus de 40 % des opérations de paiement, et 8 qui en réalisent plus de 70 %. Il est donc très difficile de remettre en cause quelque chose qui est assimilé par chaque État européen comme un élément de son pouvoir souverain.

Déjà, le débat sur la monnaie légale de l’euro montre qu’il n’y a pas d’accord entre les pays européens, même si nous sommes 22 ans après la création de l’euro fiduciaire. Pour avancer, nous avons besoin d’une réelle volonté stratégique au niveau européen. La BCE et l’euro, même numérique, ne suffisent pas. Nous avons besoin de systèmes de paiement européens forts, ce qui impliquera nécessairement une consolidation industrielle, et probablement bancaire. Et surtout, nous avons besoin de volonté politique.

 
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