De novembre à février, la place Bellerive à Lausanne accueillera le Pavillon Naftule, un théâtre éphémère de 450 places, complété par un foyer de 200 places en configuration « café-théâtre ». Imaginé par le producteur Sébastien Corthésy et les équipes de Jokers Comedy, ce projet ambitieux a été réalisé en moins d’un an, sans aucune aide publique ni sponsor. Doté d’un budget autofinancé de 1,6 million de francs, ce lieu unique rend hommage à Pierre Naftule, figure majeure de l’humour francophone décédé en 2022, en perpétuant ses valeurs d’excellence et de convivialité.
En trois mois, plus de 130 représentations auront lieu, réunissant des personnalités comme Blaise Bersinger, Nathanaël Rochat, Nathalie Devantay, ainsi qu’un nouveau spectacle de Thomas Wiesel et de la Revue de Lausanne. Dans ce dernier, le public retrouvera pour la dernière fois Joseph Gorgoni, dont la carrière a été propulsée par Naftule il y a plus de trente ans. Ému de découvrir cette nouvelle scène installée au bord du lac Léman, il confie : “Il aurait adoré l’idée.”
Lors de la conférence de presse, nous avons échangé avec l’humoriste de 58 ans pour évoquer sa relation privilégiée avec Pierre Naftule, cet scénariste, producteur et réalisateur de génie qui a tant marqué la scène francophone.
Comment se déroulent les répétitions de la revue lausannoise qui aura lieu du 13 novembre au 31 décembre ?
Je pense que cela fait presque huit semaines de répétitions. J’avais un peu oublié ce que c’était que de monter un projet de cette envergure, même si j’ai déjà fait pas mal de review. C’est pour ça que j’ai dit à Sébastien Corthésy que je le ferais cette année : à cause du Pavillon Naftule et parce que Florian (ndlr : son compagnon) est sur scène avec moi. C’était important pour moi d’être là cette fois. Mais cette critique sera la dernière pour moi. Cela devient épuisant.
Épuisant, c’est à dire ?
Nous y sommes entièrement dévoués. C’est un peu comme une immersion dans une « secte du magazine » pendant plusieurs mois, sans avoir le temps de faire autre chose. J’ai l’habitude de m’immerger totalement dans mes spectacles, mais c’est un travail qui demande beaucoup d’énergie, avec tous les changements de costumes notamment. Je m’en sors, mais j’approche la soixantaine et je sens que c’est le bon moment pour ralentir un peu.
Qu’est-ce que ça fait de voir le Pavillon Naftule achevé ?
Je suis très ému. Il y a quelques semaines, je suis venu voir les premiers progrès, mais je n’y suis pas revenu depuis, car nous avions beaucoup de travail. En arrivant cette semaine, j’ai été frappé par l’ampleur de ce qui a été accompli. Voir le nom Naftule d’une telle manière est impressionnant. Je pense qu’il aurait beaucoup aimé ça, et sans lui nous ne serions pas là. Bien sûr, j’aurais poursuivi des projets, mais c’est lui qui nous a soutenu dès le début, moi, Thomas Wiesel, Sébastien Corthésy, Blaise Bersinger, tous ceux qui travaillent avec nous aujourd’hui. C’est grâce à Pierre que nous avons eu notre chance.
Vous semblez très touché par le résultat.
Nous voulions faire quelque chose en son honneur, rendre hommage à tout ce qu’il a fait pour nous. Et je trouve le résultat magnifique. C’est touchant et à la hauteur de son empreinte dans nos vies. Je suis vraiment impressionné.
Pour financer le Pavillon, vous n’avez reçu aucune prestation du canton, de la ville ou d’autres sponsors. Vous et d’autres collègues avez décidé d’y contribuer vous-même, n’est-ce pas ?
Mettre en place un projet de cette envergure coûte cher. Je me suis dit que la meilleure façon d’aider, c’est de continuer à faire des spectacles, d’attirer du public et de voir comment cela peut contribuer. Heureusement, je n’ai aucun souci financier. Attention, cela ne signifie pas que je serai prêt à travailler gratuitement. (Rires.) Mais pour cette cause particulière, je suis tout à fait disposé à accepter de ne pas recevoir de salaire pendant quelques mois.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Pierre Naftule ?
J’étais à Paris, où je venais de terminer quatre années de « Rocky Horror Show » et « Cats » en tant que danseuse. Je suis rentré en Suisse pour passer du temps avec ma famille que je ne voyais plus beaucoup. C’est alors que Mina, une amie d’enfance que je connais depuis l’âge de 12 ans, qui fut ma chorégraphe et que je considère comme une sœur, m’a parlé de Pierre Naftule. Elle m’a dit qu’il cherchait des danseurs pour sa revue. A cette époque, j’attendais une réponse du Paradis Latin à Paris, et ce projet ne m’intéressait pas vraiment. Mais elle m’a encouragé : « Va faire l’audition, on ne sait jamais, ça peut toujours être utile. »
J’ai donc passé l’audition, et Pierre m’a fait signer immédiatement un avenant au contrat. Dès qu’il m’a vu, il a su que j’avais quatre ans d’expérience, que je chantais, et il a sans doute vu le côté un peu comique de ma personnalité. C’était la première fois qu’une telle opportunité m’arrivait et il m’a demandé de participer à l’examen de Genève en novembre. Ce qui est drôle, c’est que trois semaines plus tard, j’ai enfin reçu une réponse du Paradis Latin qui m’a embauché.
Puis quelques années plus tard, il vous a aidé à créer le personnage de Marie-Thérèse Porchet.
Il m’a d’abord confié le rôle du pape de l’époque dans la revue genevoise. C’est à ce moment-là que j’ai découvert que je pouvais faire rire les gens. En 1993, c’est là qu’est née Marie-Thérèse : c’était une voix que je faisais simplement pour amuser mes amis danseurs, et ça les faisait beaucoup rire. Nous avons ensuite monté cette folle histoire avec Pierre. Nous avons eu une relation professionnelle unique.
Quels souvenirs gardez-vous de Pierre Naftule ?
C’était vraiment une personne extraordinaire, dans le vrai sens du terme. Il n’y avait rien d’ordinaire chez lui. C’était un entrepreneur qui avait une adoration pour les artistes. Un personnage atypique, parfois difficile. Mais entre nous, ça a marché. Si nous n’avions pas travaillé ensemble, je n’aurais probablement jamais rencontré quelqu’un comme lui, nous étions si différents. Il était unique, doté d’un talent extraordinaire et d’un fort caractère. Mais on lui a tout pardonné, il était tellement exceptionnel.
Votre tournée a affiché complet cette année partout en Suisse romande. Espériez-vous ce succès ?
C’est encore mieux que ce que j’imaginais. C’est toujours la même chose : quand je dis ça, les gens ont du mal à me croire. Mais je doute constamment, et plus les années passent, plus c’est difficile. J’ai toujours ce sentiment que ça ne marchera plus, que les gens vont en avoir marre. Je sais que c’est étrange après 30 ans de carrière, mais je n’ai jamais vraiment eu l’impression d’avoir abouti.
Quand Pierre est parti, je me suis demandé comment j’allais continuer, car je n’avais jamais rien fait sans lui. Quand j’ai commencé à écrire le spectacle « Transplanted », c’était la première fois que je travaillais seul sur un projet. Sébastien Corthésy m’a aidé, et Pierre m’a un peu soutenu à l’époque, mais c’était un vrai challenge. Ce spectacle m’a enfin prouvé que je pouvais réussir à créer quelque chose plus ou moins seul. Il fallait que je continue, trouver un moyen de me relever. Et puis Marie-Thérèse, c’est pareil. Après 30 ans, je ne pouvais pas abandonner ce personnage auquel les gens tiennent tant.
Avez-vous eu un peu le syndrome de l’imposteur ?
Je l’ai ressenti pendant longtemps. Maintenant, c’est mieux. Mais il y a toujours ce doute. Pour les gens, c’est souvent incompréhensible quand je dis que je ne suis jamais sûr de moi. Au début, j’étais peut-être un peu moins nerveux, car on n’a rien à perdre quand on démarre. Mais après 30 ans, les choses changent. Les salles se remplissent avant même que j’aie écrit une seule ligne, et parfois je me dis : « Il faut que les gens soient satisfaits ». C’est une pression qui m’inquiète encore un peu, mais on apprend à vivre avec.
D’autres projets à venir prochainement ?
J’ai donc plusieurs projets en cours dont je ne peux pas encore parler, car rien n’est vraiment confirmé. Mais oui, pour les deux prochaines années, j’ai beaucoup de choses de prévues.
Honnêtement, je suis un peu essoufflé, car j’ai fait une sorte de rechute à Noël dernier. Je tousse encore et je suis essoufflé de temps en temps, mais je peux continuer à vivre et à travailler. Je m’adapte. Il y a aussi l’âge, bien sûr. (Rires.) On a beau le dire, je ne suis plus jeune, et c’est déjà incroyable de pouvoir encore faire tout ça. Je dois être particulièrement vigilant dans cette période, notamment avec le Covid, car je suis immunodéprimé. Mon plus grand plaisir est de rencontrer du monde après le spectacle, mais malheureusement je ne le fais plus car je dois prendre soin de ma santé.
Pavillon Naftule : retrouvez toutes les informations et billets sur le site