Le roman à succès écrit par Michel Jean arrive au Théâtre du Nouveau Monde. Derrière cette adaptation très attendue de Loi est une équipe composée d’Autochtones et de non-Autochtones. Tout le monde est uni derrière l’histoire de l’héroïne Almanda, qui embrasse la culture innue pour suivre son amant.
Publié à 3h29
Mis à jour à 7h00
Dans ce roman, Michel Jean raconte la vie de sa grand-mère Almanda, une femme forte et résiliente qui, adolescente, a quitté le petit village agricole de Saint-Prime pour vivre avec l’homme de sa vie, un Innu nommé Thomas Siméon. arrivé par le lac Saint-Jean comme poussé par le vent.
Adoptée par sa nouvelle communauté, elle fait sienne cette culture autochtone et élève sa grande famille sur le vaste territoire innu avant de s’établir à Mashteuiatsh. Avec sa famille, elle a vu les grandes forêts du Nord englouties par les machines, les rivières déborder et les enfants se diriger vers les internats.
Pour que les membres de l’équipe ressentent dans leurs os le dépaysement d’Almanda, mais aussi son amour viscéral pour sa culture d’adoption, la réalisatrice Émilie Monnet a proposé un voyage insolite. Durant une semaine en septembre, l’acteur innu Jean-Luc Kanapé a accueilli les acteurs et l’équipe de conception chez lui, à Jetée-Raquette. «C’est sur le territoire, à une heure et demie au nord de Forestville, près de la rivière Katekaukass», explique celui qui incarne Malek Siméon dans la pièce, mais qui est aussi largement connu pour son engagement à sauver le caribou.
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À la Jetée-Raquette, l’équipe a pu respirer l’air pur de Nutshimit, « le territoire » dans la maison.
Nous avons répété sur une plage, appris à tendre des collets, admiré d’immenses ciels étoilés. Là, nous sommes devenus comme une petite famille.
Émilie Monnet, director of Loi
Pour l’artiste née en Anishinaabe par sa mère, il était essentiel que les performeurs et les designers puissent s’immerger dans cette nature immense et découvrir les savoirs ancestraux des Innus. « Je voulais intégrer les connaissances autochtones dans le processus créatif. »
Si la culture indigène – et la nature dont elle fait partie – prend une place importante dans la pièce basée sur le roman, Loi reste une grande histoire d’amour aux yeux d’Émilie Monnet. « C’est un amour qui se déroule en quatre actes, sur quatre saisons. Il y a d’abord l’amour épidermique d’Almanda [interprétée par Léane Labrèche-Dor] pour Thomas [Étienne Thibeault]puis l’amour de Nutshimit, l’amour de sa famille et enfin, l’amour qu’elle ressent pour le peuple Innu. »
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Je pense que nous ne voyons pas assez d’histoires d’amour dans les milieux autochtones. Cet amour entre Almanda et Thomas est extraordinaire, très profond. Voir cet amour chez Thomas, chez un indigène, c’est beau, c’est rafraîchissant… Il faut voir ça.
Émilie Monnet, director of Loi
« Loipour moi, c’est l’amour du territoire, de la famille, de la transmission des savoirs et de la langue », ajoute Jean-Luc Kanapé.
L’hymne sur les planches
Si Jean-Luc Kanapé a déjà fait du cinéma, il vit avec Loi sa première expérience sur scène. “Et j’adore ça!” Mais au départ, ce qui m’a convaincu de participer, c’est Malek Siméon [le personnage du père de Thomas]. Ma grand-mère est une Siméon. Je suis de la lignée de Malek. Cela m’a donné envie d’honorer ma famille. C’est l’histoire de la maison. D’ailleurs, comment dire non à un rôle joué entièrement en innu ? »
En effet, la langue innue est très présente dans l’adaptation réalisée par Laure Morali, la poète Joséphine Bacon. En fait, environ le tiers du texte est en innu ; la version française des répliques sera projetée sur le plateau. «C’était très important pour moi», raconte Émilie Monnet. Ce langage, l’un des premiers sur ce territoire, doit résonner pour la première fois sur la grande scène du TNM. C’est un langage tellement poétique. Les spectateurs se rendront compte de sa richesse, de sa profondeur. Je suis très, très heureux de partager tout cela. »
Le réalisateur a également souhaité rendre hommage à la culture innue en intégrant au spectacle des chants ancestraux et des musiques originales composées par Mathieu McKenzie, Kim Fontaine et Hugo Perreault. « Tous les Innus que je connais chantent et font de la musique. Et ils sont tous très bons ! Dans le spectacle, on peut entendre les voix de Florent Vollant, Joséphine Bacon et Jean-Pierre Fontaine pour le chant du chasseur. Quel honneur ! »
Des images d’archives signées Jean-Claude Labrecque témoignent également de la réalité des Premières Nations. « Le tout est intégré aux projections de ma sœur Caroline, où elle ajoute son style plus contemporain », précise Émilie Monnet. Et pour les costumes, Sophie El-Assaad et Kim Picard sont parties d’éléments traditionnels et ont ensuite réalisé des choses très inhabituelles. Les gens seront surpris ! »
Nous avons choisi de morceler le roman pour y intégrer des récits du territoire, des contes anciens traduits par Joséphine. [Bacon]. Tout cela enrichit la proposition scénique en ajoutant un autre angle au roman.
Émilie Monnet, director of Loi
Le rire plutôt que la tristesse
Adapter au théâtre le texte de Michel Jean, écrit à la première personne du singulier et qui retrace la vie d’Almanda Siméon sur près de 80 ans, n’a pas été chose aisée. « L’adaptation a été un défi », confie Émilie Monnet. Comment adapter une histoire linéaire en une pièce à plusieurs personnages ? C’était important pour moi de respecter la famille de Michel, de respecter ces gens qui ont existé et qui existent encore. Nous avons également dû faire des choix. » Notamment de ne pas trop s’attarder sur le chapitre douloureux des pensionnats.
« Je ne voulais pas que les acteurs soient obligés de raconter cette histoire nuit après nuit », dit-elle. Je ne voulais pas ressasser ces choses ni faire un spectacle didactique. Je suppose que le public est bien conscient de ce qui s’est passé dans les pensionnats. Sinon, il existe de nombreuses ressources disponibles pour obtenir des informations. Nous voulons faire preuve de résilience, de force, de rire et de la beauté de la transmission. »
Nous voulons montrer l’autre sens de notre vie et pas seulement la tristesse des internats. Nous voulons faire connaître notre quotidien, nos combats. Nous ne pouvons pas vivre dans la tristesse. Nous devons guérir. Et je pense qu’avec Loibeaucoup de gens seront guéris.
Jean-Luc Kanapé, acteur et activiste innu
L’acteur est, selon les mots d’Émilie Monnet, un « homme caribou ». Il consacre sa vie à sauver l’espèce, mais ce n’est pas tout. « Ce sont les prêtres qui ont donné le nom de Siméon à Malek », explique Jean-Luc Kanapé. Son nom innu était Atik, qui signifie caribou. Cela me touche vraiment ! Et le caribou m’a amené à transmettre notre culture non seulement à mon peuple, mais à toute la communauté québécoise. »
« J’ai toujours pensé que nous avions besoin d’un pont pour rapprocher nos deux peuples. Loi peut être utilisé pour cela. La pièce nous rendra plus visibles. C’est ce que je souhaite à tous les jeunes de ma communauté : qu’ils soient mis en lumière au lieu de rester dans le noir. Il y a tellement de ponts à Montréal ! Nous pouvons certainement en prendre un ! Nous la traverserons tous ensemble, en direction du TNM. »
Émilie Monnet agrees. “ Loic’est plus qu’un grand projet de théâtre ! J’espère qu’avec ce spectacle, les gens auront envie de se rapprocher, de traverser le pont, comme dit Jean-Luc, de venir à la rencontre des Autochtones. Je veux qu’ils découvrent l’immense talent qui existe dans nos communautés. Il y a quelque chose de curatif dans cette pièce. Parce que nous parlons d’amour. »
Visitez la page du spectacle
Loi
Based on the novel by Michel Jean, adapted by Laure Morali. Directed by Émilie Monnet. With Léane Labrèche-Dor, Étienne Thibeault, Jean-Luc Kanapé, Sharon Fontaine Ishpatao and two performers
Je TNMDu 12 novembre au 15 décembre. Une visite suivra.
Le phénomène littéraire Loi
- Publié en 2019, le roman de Michel Jean s’est vendu à plus de 222 000 exemplaires au Québec.
- Loi connaît également un grand succès à l’international avec des ventes dépassant les 70 000 exemplaires, dont près de 60 000 en France.
- Le roman a été traduit en huit langues, dont l’allemand, l’arabe, l’espagnol, l’italien et le russe. Des éditions en géorgien et en suédois sont attendues prochainement.
- Le roman a également reçu plusieurs prix littéraires, dont le Prix France-Québec. Une adaptation en série télévisée est également en cours de développement.