Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Hélène Gaudy, signe avec « Archipels » toujours en lice pour le Goncourt 2024, un roman émouvant en forme d’hommage à son père

«Aux confins de la Louisiane, une île porte le prénom de mon père. Chaque jour, il s’enfonce un peu plus sous l’eau. J’ai appris, en même temps que son existence, qu’il s’apprêtait à disparaître.» Ainsi commence le roman en forme de géographie intime intitulé « Archipels » qu’Hélène Gaudy consacre à son père en lui offrant ici l’espoir d’une place insubmersible.

Avec « Archipels » Hélène Gaudy propose un roman en forme de géographie intime. (Photo Jean-Rémi Barland)

Texte d’écriture poétique d’une grande beauté, où l’acte de contemplation est privilégié plutôt que l’action, ce roman prend le lecteur par la main et le cœur pour lui offrir un voyage rempli d’amour de valeur. des choses qui restent essentielles pour mieux comprendre son prochain. ” Dans ce roman, explique l’auteur, Je voulais faire entendre la voix de mon père, archiviste de la vie des autres, un enfant marqué par la guerre, un artiste engagé et secret, un homme que j’ai si mal connu et qui prétendait n’avoir aucun souvenir malgré ses mille vies.» Comme on le découvre « Archipels » (Hélène Gaudy affectionne beaucoup ce pluriel chargé de signaler la multiplicité des histoires autour d’un même lieu), ne dresse pas tant le portrait d’un homme mais se présente comme une enquête sur ce mystère de proximité avec un être complexe.

«Ce roman que j’ai construit en faisant un travail d’assemblage où tous les poèmes présentés sont de la main de mon père est basé sur des faits réels. », confie l’auteur. ” Le père décrit est celui que j’ai appris à voir progressivement», ajoute-t-elle, très émue. On plonge ensuite au cœur de cette île lointaine de Louisiane appelée Jean-Charles, mais aussi à Chartes, Caen, les maquis de la Résistance traversés par le grand-père incinéré à Menton, et la grand-mère, également fervente militante communiste. , ou encore l’Italie au temps du fascisme, Oran pendant la guerre d’Algérie, et cet atelier présenté comme « une capsule temporelle avant même que le temps ne soit écoulé « . Atelier où son père entreposait les œuvres.

« Chaque famille est une île »

Avec sa multitude d’objets -« Mon père a passé sa vie à fabriquer des choses », précise Hélène Gaudy- puisque le roman leur offre une place de choix dans ce récit construit en quatre moments présentés sans dialogues concrets. “Chaque famille est une île, un écosystème enrichi ou perturbé par des espèces envahissantes, une île dont les profondeurs se situent au fond de l’eau. », écrit Hélène Gaudy dont le style se rapproche souvent de celui d’Antonio Tabucchi et de celui d’Erri De Luca. Manière de signaler la force onirique de ce texte où l’on nous dit : «La peur s’infiltre dans les rêves, elle prend la forme des lieux, des hommes qui les traversent, de leurs visages interchangeables, de leurs nombreuses silhouettes qui apparaissent toujours au moment où l’on se croit sauvé. » Ce père, dont le véritable prénom était Jean Karl (Jean le réformateur Karl, le révolutionnaire) et décédé en 2005, fait partie de la cœur de chaque lecteur (car l’auteur le rend attachant) dans un vaste mouvement d’empathie.

Quelques films célèbres.

Roman sur le deuil et la mémoire, « Archipels » précise que les parents sont décrits comme des mégalithes dans le champ de vision de leurs enfants. “ Nous passons notre jeunesse à essayer de voir le paysage qu’ils nous cachent, et puis, un jour, ils deviennent de toutes petites pierres, des cailloux. C’est seulement là que vous pourrez les prendre en main, toucher leur texture et leurs défauts. Regrettant de ne pas l’avoir fait plus tôt, alors qu’ils étaient immenses, alors que tout était encore devant eux. Le paysage semble soudain très vide. Ils ne les ont pas cachés, ils l’ont habité. Maintenant, ce sont eux qu’on aimerait s’emparer, retrouver », peut-on lire page 66. Les images se retrouvent en abondance dans le roman, même celles que crée le souvenir de l’enfance alors qu’elles n’ont jamais existé. Des images de films célèbres aiment aussi «La grande évasion» avec Steve McQueen, « L’année dernière à Mariánské Lázně» avec Delphine Seyrig et Giorgio Albertazzi, dont le père a gardé un souvenir indélébile, sans oublier « Pierrot le fou » un prétexte pour le couple qui le regarde ici, pour rêver, comme le souhaitent Marianne Renoir (Anna Karina) et Ferdinand Griffon dit « Pierrot », (Jean-Paul Belmondo) » jeter toute votre vie antérieure « . Avec plusieurs entrées » Archipels » est un texte magnifique où ressort implicitement la force des silences.

Jean-Rémi BARLAND

“Archipels by Hélène Gaudy – Éditions de l’Olivier -286 pages- €21

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV « Tout le monde a compris ça… »
NEXT Miss Guyane ouvre la voie sur le tarmac