«Des petits travaux pour un palais», la bibliothécaire qui rêvait d’un mausolée du livre

«Des petits travaux pour un palais», la bibliothécaire qui rêvait d’un mausolée du livre
«Des petits travaux pour un palais», la bibliothécaire qui rêvait d’un mausolée du livre

Petits travaux pour un palais

de Laszlo Krasznahorkai, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly

Cambourakis, 112 p., €16

Quiconque n’a jamais lu Laszlo Krasznahorkai, écrivain hongrois né en 1954 et l’un des plus grands prosateurs vivants, peut commencer par Petits travaux pour un palais. Bref, au point de ressembler à une nouvelle, ce texte se distingue des précédents romans prodigieusement foisonnants de l’auteur : La mélancolie de la résistance, Guerre et guerre, Seiobo est descendu sur terreou même Le Baron Wenckheim est de retour.

Dans la bibliothèque de New York

Petits travaux pour un palaisqui ravira aussi les connaisseurs, semble moins sombre que les écrits cités, tout en portant la même vision pessimiste de la nature humaine qui se dirige vers sa perte. Le présent volume est né d’un camouflet : Krasznahorkai était autrefois hébergé en résidence à la Bibliothèque publique de New York. Il y défie les conventions liées à son travail de création sur place, en réalisant un journal de bord d’errance : Le projet Manhattan (2017, non traduit).

L’année suivante, l’écrivain prend ses trois obsessions new-yorkaises – l’architecte séditieux Lebbeus Woods ainsi que les géants littéraires Herman Melville et Malcolm Lowry – et les fourre dans le crâne d’un narrateur névrosé. Celui-ci, en une seule phrase qui approche la centaine de pages, endosse donc cette passion trifonctionnelle, mais nourrit aussi un projet rendu hilarant par la grâce d’une écriture jouant avec maîtrise sur la force comique : transformer la Public Library de New York, dont c’est un employé obscur, comme un mausolée du livre fermé sur lui-même et interdit au moindre visiteur. Oui à la conservation, non à la communication !

Le génie du langage

Aussi inoffensif que la fourmi de la fable, ce narrateur se présente sous une identité prédestinée mais qu’il consigne en minuscules lettres, « Herman Melvill »comme pour souligner sa petitesse grisâtre. Il rêve inlassablement d’une bibliothèque idéale, riche de 53 millions de livres, mais qui « se tient là, comme un trésor inaccessible, puisque c’est justement en restant à distance qu’il préserve sa richesse et reste prêt à défendre sa valeur à tout moment. »

Laszlo Krasznahorkai, avec son génie du langage et son vieux bagage alarmiste, s’engouffre dans des spirales et des variations irrésistibles sur une saine marginalité ou le refus du travail standardisé, tandis qu’une folie autorisée se déroule sans retenue : celle propre à notre espèce. Nous sortons d’une telle lecture méconnaissables pour nous-mêmes. C’est ainsi que se fait et se fait la littérature.

 
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