Portrait de Manu Chao sans Manu Chao

Portrait de Manu Chao sans Manu Chao
Portrait de Manu Chao sans Manu Chao

Après 20 ans d’absence, son nouvel album sort Longue vie à toiManu Chao est aujourd’hui l’un des artistes français les plus écoutés dans le monde, des plages de Goa aux bars du Mexique en passant par les tendances Tik Tok. Figure de proue altermondialiste, artiste engagé, véritable auteur de collages à la Rousseau, vulgarisateur de la culture « latino », artisan voyageur pour les uns, il agace aussi beaucoup d’autres, pour qui il est le symbole du triomphe du mainstream sur la culture alternative. Une culture alternative qui comprend Mano de Negra, Hot Pants et Los Carayos, groupes de jeunes de Manu Chao dont il fut l’un des emblèmes. Désormais, il est aussi considéré comme le porteur d’une musique certes populaire, mais qui a perdu toute identité par hybridation.

Pour nous, Manu Chao est avant tout un agrégateur, un musicien soumis à toute une série d’influences et toujours prompt à en chercher de nouvelles, qui a su inventer un son immédiatement reconnaissable et surtout assimilé par presque tout le monde. Célébration ou appropriation, la question demeure : Manu Chao ne cesse de piquer, de prendre ou de célébrer les sons qu’il a entendus au cours de ses innombrables voyages.

Portrait en creux de Manu Chao sans écouter Manu Chao, pour laisser entendre tout ce dont il dépend, ou tout ce qu’il a réussi à célébrer.

« Viva tu », l’Espagne, Cuba et le flamenco

Dans la lignée de ce qu’il nous proposait avec ses albums Clandestin (1998) et Station suivante (2001), deux énormes succès, avec Longue vie à toiManu Chao ne perd rien de son style. Il offre néanmoins un son plus mature et une voix plus claire, et se place désormais dans le genre du flamenco.

D’origine espagnole, Manu Chao a visiblement grandi à une époque où un duo de chanteurs et guitaristes révolutionnait le flamenco : à savoir, Camarón de la Isla et Paco de Lucía. Mais c’est la figure de son père, sans doute, qui jouera le plus dans la formation intellectuelle et musicale de Manu Chao. Journaliste et écrivain espagnol né sous le franquisme à Vilalba, en Galice, passé par Cuba et décédé en 2018, Ramón Chao est aussi un grand virtuose du piano et l’auteur de plus d’une quinzaine d’ouvrages sur la musique. Il a notamment beaucoup écrit sur les musiciens latino-américains arrivés en masse en France dans les années 1960 pour fuir les dictatures. La culture de Manu Chao est donc à la fois espagnole, galicienne – Ramón Chao anime des spectacles en galicien, langue interdite dans l’Espagne franquiste – et cubaine.

The Clash et la découverte du rock

Après sa naissance, le jeune Manu Chao s’installe avec ses parents dans la banlieue de Boulogne-Billancourt. Nous parlons espagnol à la maison et il joue au football près de l’usine Renault avec les enfants d’ouvriers d’origine portugaise, arménienne ou latino-américaine.

C’est surtout la grande découverte, au milieu des années 1970, du rock américain qui marquera durablement Manu Chao, son frère Antoine, alors connu sous le nom de Toni, et leur cousin Santiago, dit Santi, qui deviendra plus tard devenez membre des majors de la musique. Les trois garçons sont ainsi fascinés par des figures et des groupes comme The Clash, ce qui les pousse à tenter de monter leur propre groupe de rock anglo-espagnol. Les frères Chao et le cousin Santi forment notamment le Hot Pants, qui commence à évoluer, à faire ses propres chansons, et à s’intégrer dans cette carte de petits groupes alternatifs qui vivent dans une économie volontairement libertaire et donc peu importante. Ils évoluent et se forment en même temps que des groupes comme Pigalle ou Les Garçons Bouchers, tous formés autour de la figure de François Hadji-Lazaro. Tout ce beau monde évolue dans le Paris des années 80, avec toute une série de petites éclosions qui défendent cette culture alternative.

De cette période, Manu Chao maintient le principe de collaboration tous azimuts, la plupart de ces groupes se mélangeant pour former des collaborations plus ou moins durables ou éphémères. Dans chaque nouveau groupe, il semble que Manu Chao trouve des matrices qu’il réutilise ensuite tout au long de sa vie. Par l’exemple de Tant de nuitschanté dans le style Hot Pants et retrouvé plus tard dans l’albumClandestin, avec la chanson Joyeux Blues.

Punk, les chats errants, Chihuahua et Los Carayos

La grosse influence des années 1980 est évidemment le punk, avec des groupes comme les Stray Cats, que tente d’imiter leur petite version française, Les Chihuahuas, dans lesquels joue Antoine, le frère de Manu Chao. De plus, les croisements à cette époque étaient très fréquents, et Manu Chao n’était pas le premier à vouloir allier une énergie très rock à des cultures liées à l’immigration espagnole ou sud-américaine.

C’est à partir de tous ces petits groupes qu’est fondée en 1985 une forme de super-groupe, Los Carayos, qui regroupe bon nombre des « leaders » de toutes ces formations. On y retrouve Manu Chao, leader de Hot Pants, mais aussi le célèbre François Hadji-Lazaro, Schultz de Parabellum et Alain Wampas, de Wampas, auteurs ultérieurs du titre. Si j’avais le portefeuille de Manu Chao. Et pour cause, le groupe s’est séparé dans les années 1990 autour de ces fameuses questions de stratégie, d’argent et de ce qu’il convient d’être et de rester quand on est un musicien engagé.

Dans tous les cas, Los Carayos bénéficie de l’apport d’instruments qui ne sont pas des instruments rock traditionnels, notamment le banjo ou l’accordéon. Une forme de savoir-faire que Manu Chao reprend dans sa capacité à jouer avec des sons qui n’ont souvent que peu de rapport avec les instruments traditionnels.

Main noire

Véritable espace d’expérimentation, Los Carayos a sans doute poussé les trois garçons, Manu, son frère Antoine et son cousin Santiago Casariego, à fonder leur propre ensemble, La Mano Negra, en 1987. Le groupe s’est inspiré du nom d’une organisation mafieuse sud-américaine. femme elle-même inspirée par la célèbre organisation terroriste andalouse du XIXe siècle, La Mano Negra. La Mano Negra sort une nouvelle version de mauvaise viecette chanson qu’ils avaient trouvée alors qu’ils commençaient tout juste Hot Pants quatre ans plus tôt. Cette nouvelle version est un véritable succès en France.

Après l’immense succès du mauvaise viele groupe Mano Negra a fait un choix condamné par certains de ses camarades : quitter la production indépendante et aller chez Virgine. Ils se défendront en disant qu’ils voulaient défier les multinationales du disque en y entrant. En tout cas, Mano Negra a véritablement initié ce grand mouvement de rock alternatif dit « latin », du moins en Europe. Il devient un groupe majeur de la scène rock jusqu’en Amérique du Sud, puisqu’il se lance dans une grande tournée cargo avec notamment les artistes nantais de Royal Deluxe et passe notamment par la Colombie en 1994.

De toutes ces influences, Manu Chao conserve cette capacité à faire des petits mélanges dans une carrière solo qui n’en est pas vraiment une. En effet, entre la fin de Mano Negra en 1994 et Clandestinson premier album solo en 1998, il continue de voyager, mais aussi de collaborer avec toute une série d’artistes à qui il apporte des choses qu’il réutilise ensuite dans son propre travail solo. En témoigne sa collaboration avec le grand chanteur kabyle Idir, avec qui il sort Une tulawin (Une Algérienne debout)dont il reprendra les thèmes plus tard dans Dénia (Prochaine station) en 2001. Une forme de collage artisanal qui reste sa marque de fabrique.

Extraits sonores :

  • Manu Chao, Longue vie à toi album Longue vie à toi2024
  • Crevettes de l’île et Paco de Lucia, Quand elles te voient, les fleurs pleurent (Bulerías)album Quand les fleurs te voient, elles pleurent1969
  • Boule de neige, Oh Mama Inés2016
  • Archive : Manu Chao sur l’esprit rock, Là, si je suis là, France Inter, 1990
  • Célia Cruz et Johnny Pacheco, Quimbaraalbum Célia et Johnny1974
  • Le choc, J’ai combattu la loi (en direct en décembre 1978)
  • Pantalon chaud, Discussion sur les jeans bleusalbum Los Carayos, Chihuahua (2), Hot Pants – Hot Chicas + Persister et signer1990
  • Archive : François Hadji-Lazaro définit le « courant alternatif », Tout le monde aux refuges !France Inter, 1996
  • Pantalon chaud, Tant de nuits1985
  • Manu Chao, Joyeux Bluesalbum Station suivante : Espoir2001
  • Chats errants, Garçons en fuitealbum Garçons en fuite1981
  • Chihuahua, Napocalypsoalbum Terre nomade…1990
  • Archive : Schultz et François Hadji-Lazaro sur la création de Los Carayos, CodaFrance Culture, 1988
  • Los Carayos, Oh vas-y, album Los Carayos2002
  • Los Carayos, Juanita et Paquitaalbum Au prix de la courge… 1990
  • Archive : François Hadji-Lazaro sur la mondialisation du rock, François Hadji-Lazaro at the Printemps de BourgesFrance Inter, 1991
  • Main noire, mauvaise viealbum Patchanka1988
  • Archive : Tonio Chao et Jo sur les influences de Mano Negra, OpusFranceCulture, 1990
  • Cheb Mimoun El Oujdi, Ana Nebghikalbum Le côté marocain du raï1995
  • Main noire, Sidi’h’Bibialbum La fièvre de Puta1989
  • Archive : Manu Chao sur la gestion de l’argent dans le groupe Mano Negra, Là, si je suis làFrance inter, 1990
  • Idir et Manu Chao, Une tulawin (Une Algérienne debout)album Clandestin1998
  • Manu Chao, Dénia (Prochaine station)album Station suivante : Espoir2001
  • Paranoïa, Buen Rollito (Bienvenue à Tijuana), Le pouvoir de Machín1997
  • Manu Chao, Bienvenue à Tijuanaalbum Clandestin1998
 
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