Place publique – Janette Bertrand

Place publique – Janette Bertrand
Place publique – Janette Bertrand

Occasionnellement, Dialogue offre un espace à une personnalité pour lui permettre de faire connaître son point de vue sur un enjeu ou une question qui nous touche tous. Aujourd’hui, la présentatrice Janette Bertrand se penche avec sagesse sur les défis posés par l’avènement de l’intelligence artificielle.


Publié à 1h35

Mis à jour à 6h00

Jeannette Bertrand

Communicatrice, présentatrice, comédienne et écrivaine

Enfant, dans les années 30, je n’avais pas peur de la vieillesse. C’était trop loin. Je n’atteindrais jamais l’âge de ma mère et quand je regardais mon père, c’était avec pitié.

Le pauvre, il mettait fin à ses jours. Mon père avait 50 ans et son espérance de vie était d’environ 60 ans. Je ne passais pas beaucoup de temps avec mes grands-parents, car ils étaient horriblement vieux, alors que j’étais magnifiquement jeune.

Nous habitions le Faubourg à m’lasse et eux habitaient loin, à Salaberry-de-Valleyfield, mais dans la Ford T que mon père appelait la Ford à pédales, ces quelque 45 milles étaient une aventure périlleuse. Je n’ai vu aucun avantage à cette invention, seulement des inconvénients.

Avant l’arrivée de la voiture, nous étions contents quand nous voulions aller à Salaberry-de-Valleyfield; nous avons pris le train.

Ah, le train ! C’était la perfection, alors que cette invention, l’automobile, n’était que des ennuis ! Les pneus de la Ford étaient fins et fragiles et les routes étaient « croustillantes ». Alors, pas un déplacement à Salaberry-de-Valleyfield sans une, deux ou trois crevaisons. A chaque fois, mon père, après avoir fait l’inventaire des objets de l’église, ôtait sa veste propre, retroussait les manches de sa chemise blanche et se mettait à la tâche.

Le plat finalement réparé, le moteur a dû être redémarré. Ce modèle Ford T avait un moteur qui devait être fissuré à la main. Un moteur qui toussait, crachait, réclamait, ronronnait enfin.

Quelle galère cette nouvelle technologie ! Nous n’en avions vraiment pas besoin ! Ma mère, qui était ultra raffinée, trouvait que faire un tour en voiture, c’était se salir jusqu’aux molaires. Mon père hurlait à couper le souffle. Nous, les enfants, assis à l’arrière de la voiture, nous disputions. Mon père transpirait abondamment, mais n’osait pas pester contre cette nouvelle invention : l’automobile était et est toujours un signe de réussite sociale. Être le premier dans la rue à posséder une « machine » était le signe que l’on était passé du côté droit, à la limite de la classe moyenne. Papa, pour prouver à ma mère qu’il avait fait un bon achat, elle qui aurait préféré une radio, vantait les mérites de l’automobile.

« Maman, dit-il, le char c’est pour toi, c’est pour les enfants, pour te faire découvrir nos beaux paysages. »

La Ford de mon père était une voiture à quatre places. Un siège pour deux à l’avant, un siège pour deux à l’arrière et deux sièges rabattables pour les enfants. Nous étions quatre enfants. Mes trois frères étaient entassés sur la banquette arrière. Janette, la gentille et douce Janette, trop heureuse que ses frères lui aient permis de s’installer chez eux, braillait d’ennui. Elle n’a vu que les genoux sales de ses frères. A cette époque, l’injustice de la vie ne se manifestait pas par des répliques meurtrières, mais par des larmes abondantes. Ils chantèrent ensuite en chœur :

« Ne pleure pas, Janette ! Nous allons t’épouser… »

Après des heures de brassage, nous arrivâmes chez ma tante Cordélia et mon oncle Anthime et leurs dix filles et un garçon. Dans l’après-midi, ma tante, la sœur aînée de papa, a demandé à monter en char. Imaginez ce qui se passera ensuite ! UN plat !

« C’est ta faute, Cordélia, tu es trop « lourde » ! »

Cordélia, insultée, était en colère contre mon père, contre sa Ford et contre elle-même, car elle pesait en réalité plus de 200 livres. Mon père, fatigué et déçu, s’est juré de ne plus emmener personne dans son « char ». Ma mère boudait, mon oncle nous grondait. La nouveauté divise les familles.

Le retour à Montréal a été pire. Nous avions trop mangé, trop bu de limonade. Tout le monde devait faire pipi, mais jamais en même temps. Nous avons dû nous arrêter sur le bord de la route et à chaque fois, maman, qui avait retenu un désir depuis le début, a juré qu’elle ne se lancerait plus jamais dans cette invention diabolique.

Ainsi, les nouvelles choses font toujours peur et ce qui fait peur dans les nouvelles choses, c’est l’ignorance. C’est ce que je ressens avec toutes les nouvelles technologies. Ben oui, l’intelligence artificielle me fait peur parce que je ne la comprends pas. Bien sûr, je me tiens informé, mais ça va tellement vite maintenant. Je vois d’importantes avancées positives, mais j’ai aussi des inquiétudes, car cela pourrait être utilisé par des personnes mal intentionnées.

La peur n’a jamais rien apporté. Sans évolution, nous ferions toujours planter nos machines.

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