Révélé avec la troupe comique du Splendid, l’acteur, auteur et metteur en scène Michel Blanc a brillé dans la comédie mais aussi troublé dans le drame. Il est décédé dans la nuit de jeudi à vendredi d’une crise cardiaque lors d’une visite médicale, à l’âge de 72 ans.
Michel Blanc a toujours eu le cœur fragile. Un crève-cœur qu’on disait quand il était enfant. C’est ce qui l’a porté tout au long de sa vie, c’est ce qui l’a gagné vendredi. Néanmoins, ces turbulences palpitantes ajoutaient un supplément d’âme, un supplément de drame aussi à tout ce qu’il faisait. Commencer par rire mais pas n’importe comment : dans la catégorie subtile, limite métaphysique du « Et tu trouves ça drôle ? Clown Blanc, c’est le destin.
Un destin qui commence le 16 avril 1952 à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, avec Jeanne et Marcel Blanc ; elle est dactylographe qui est promue comptable, lui est déménageur qui devient cadre. L’environnement est modeste mais le foyer est aimant, voire cocooning, car le petit, fils unique, est donc né avec un battement de cœur. Ajoutez qu’il est frêle et timide, et vous lui accorderez le bénéfice de l’hypocondrie ! Et qu’en est-il des cheveux ? Pas pour longtemps car il les perd très tôt. Comme le dira bien plus tard un certain Jean-Claude Dusse à son ami assez chauve et moustachu incarné par Gérard Jugnot : « Écoute, Bernard, je pense que toi et moi avons le même problème ; c’est à dire qu’on ne peut pas tout miser sur le physique. Surtout toi. On rigole mais ce n’est pas vraiment drôle ; D’ailleurs, c’est pour ça qu’on rigole. Michel est un peu mal dans sa peau, et sensible. Toujours fou de musique classique, il rêve de devenir pianiste professionnel, travaille sept heures par jour pour y parvenir mais abandonne lorsqu’il comprend qu’il est à plus de deux doigts d’être le nouvel Artur Rubinstein, mais à deux mains. Adieu piano et bonjour les amis.
Thierry Lhermitte, Christian Clavier et Gérard Jugnot sont ses amis depuis le lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine. Avec eux, il crée en 1974 la troupe Splendid, collectif d’auteurs et de comédiens du nom du petit café-théâtre qu’ils ouvrirent d’abord passage d’Odessa, à Montparnasse, juste en face du Vrai Chic parisien où Coluche s’installa. après le Café de la gare. Plus tard, le Splendid déménagera rue des Lombards (il existe toujours, rue du Faubourg Saint-Martin). Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel et Bruno Moyont complètent la belle équipe, qui multiplie sketches, pièces de théâtre et farces, et, sa notoriété grandissant rapidement, commence à montrer le bout de son nez sur grand écran.
“Pour Jean-Claude Dusse, j’ai pensé à Woody Allen”
Michel Blanc apparaît dans des petits rôles devant la caméra de Gérard Pirès (Attention à vos yeux !, L’ordinateur du croque-mort), Bertrand Tavernier (Que la fête commence, Des enfants gâtés), Serge Gainsbourg (Je t’aime moi non plus ), Claude Miller (Le Meilleur chemin pour marcher) ou Coluche (Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine)… Jusqu’à la sortie des Bronzés de Patrice Leconte, en 1978, d’après la pièce Splendid, Amour, coquillages et crustacés qui avait a été un succès l’année précédente. « Dans la bande du Splendid, on n’écrivait pas nos propres rôles mais ceux de chacun. Pourtant, assez vite, on a vu qui allait jouer quoi. Et quand j’ai compris que Jean-Claude Dusse allait être pour moi, j’ai tout de suite vu une opportunité.confiait Michel Blanc en 2011 au magazine Première dans une interview longue carrière. « Jusque-là, je n’avais pas encore trouvé mon métier de comédien. Sur scène par exemple, Gérard (Jugnot NDLR) faisait beaucoup plus rire que moi. Quand je l’ai remplacé dans Santa Claus Is a Rubbish, j’ai échoué sur échec ! Pour Jean-Claude Dusse, j’ai pensé à Woody Allen, un personnage névrosé, physiquement fragile, qui non seulement ne parvient pas à séduire, mais qui n’est même pas remarqué par les femmes. alors j’avais trouvé mon rire.
Les Bronzés is a hit but considering “vulgaire” pour lui donner une suite, Michel Blanc ne participera pas à l’écriture des Bronzés sont du ski de Patrice Leconte (1979) qui s’avère encore meilleur et lui offre quelques-unes de ses répliques les plus cultes ! Toujours déplacé au sein du Splendid, il s’en éloigne un peu en poursuivant une fructueuse association avec Patrice Leconte : Viens chez moi, j’habite avec une copine (1980), Ma femme s’appelle reviens (1982) et Circule là-bas. rien à voir (1983) sont des succès dans lesquels il affine son personnage de tendre perdant. S’il est sûr de l’adaptation du Père Noël est une poubelle de Jean-Marie Poiré (1982), il franchit un premier cap avec Marche à l’ombre (1984) : Patrice Leconte, dont il avait écrit le scénario (et co- (écrit sa comédie d’action Les Spécialistes l’année suivante), le convainc de la réaliser lui-même. Avec 6 millions d’entrées, son premier film a fait quatre fois mieux que Le Père Noël… au box-office !
Du cinéma au théâtre
Au faîte de la gloire, Michel Blanc fait alors ce qu’il veut ; c’est à dire autre chose. Pour Bertrand Blier, il reprend le rôle initialement prévu pour Bernard Giraudeau dans Tenue de soir (1986), face à Gérard Depardieu : son contre-emploi (non)effronté et poilu dans ce “putain de film”comme le disait la publicité de l’époque, lui a valu un prix d’interprétation au Festival de Cannes. Trois ans plus tard, il va encore plus loin en jouant dans le drame Monsieur Hire, d’après Simenon, un rôle sinistre et ambigu que Patrice Leconte avait initialement pensé pour Coluche. Il n’a plus sa moustache mais ses cheveux sont… dressés de peur. Et au début des années 1990, il franchit un nouveau cap en revenant avec succès au théâtre (Je veux faire du cinéma de Neil Simon, Art de Yasmina Reza, etc.).
Pourtant, en 1994, il fait un retour retentissant au cinéma avec Grosse fatigue, une savoureuse mise en abyme qu’il écrit avec Jacques Audiard, Josiane Balasko et Bertrand Blier, réalisé et joué. Cette fois à Cannes, il remporte le prix du scénario. Il reviendra encore trois fois à la réalisation : pour la sombre Mauvaise passe (1999) avec Daniel Auteuil mais surtout pour deux comédies chorales lumineuses, Embrasse qui tu veux (2002) et sa suite tardive, Voyez comme on danse (2018).
Dans les années 2000, désormais artiste complet et accompli, il ose tout : un drame en deux parties pour la télévision, L’Affaire Dominici (2002) ; une belle comédie romantique rurale pour Isabelle Mergault, je te trouve très belle (2005), qui lui vaut un Cygne d’Or au Festival de Cabourg ; un troisième épisode des Bronzés (2006), franchement superflu bien que couronné d’un énorme succès (plus de 10 millions d’entrées) ; un grand rôle dramatique pour un grand réalisateur dans un grand film sur le sida, Les témoins d’André Téchiné (2007)…
Si A Little Zone of Turbulence (2009) d’Alfred Lot, dans lequel il incarne un hypocondriaque (pas vraiment un rôle de composition), ne trouve pas son public, il laisse apprécier son écriture tragi-comique. Son talent d’acteur s’exprime encore dans une nuance nouvelle dans le thriller politique réaliste L’exercice de l’Etat de Pierre Schoeller (2011), qui lui vaut le César du meilleur second rôle masculin. Avec Evening Wear, ce film restera l’un de ses favoris. “Merci de m’avoir donné la permission de continuer dans cette direction.”a-t-il déclaré depuis le podium lors de la remise de la prestigieuse statuette. Néanmoins, c’est dans la comédie qu’il brillera jusqu’au bout, et excellera à faire autre chose que rire : toucher, émouvoir, comme seuls les magnifiquement perdus, les créatifs angoissés, peuvent le faire. Car, jusqu’à leur dernier souffle, ils y auront mis tout leur cœur.