« Le Plancher de Jeannot », une œuvre unique et mystérieuse exposée à Sainte-Anne

Le Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne expose une œuvre indéfinie, Le Plancher de Jeannot : un parquet en bois sur lequel sont gravés des mots énigmatiques. Une œuvre entre art brut et mystère tenace.

Une œuvre d’art, un symptôme dépressif, l’expression d’un délire, un cri de souffrance, l’aveu d’une souffrance insupportable… : il reste difficile, voire inutile, de tenter de catégoriser L’étage de Jeannot, œuvre qui jouit d’une réputation légendaire à la mesure de son opacité tenace.

Le Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA), qui conserve une collection d’œuvres créées par des artistes-patients du XIXe siècle à nos jours, a mis des années à restaurer ce simple parquet sur lequel sont gravés des mots énigmatiques. Il l’expose enfin dans ses murs, comme le Louvre présenterait un tableau de Vinci, ou Orsay un tableau de Caillebotte. Parce que L’étage de Jeannot reste une œuvre en dehors de l’histoire de l’art, y compris de l’art brut, mais aussi en dehors de l’histoire de la folie. Ce parquet en chêne massif abritant les mystères d’un geste hors du commun fascine encore aujourd’hui les médecins des âmes troubles, mais aussi les esthètes attachés aux formes iconoclastes.

Une œuvre découverte par hasard

Découvert par hasard en 1993 par un psychiatre palois, Guy Roux (qui ne joue pas au football), dans une maison d’un village béarnais, Vic-Bilh, ce sol était recouvert de phrases gravées dans le bois. Réalisé au début des années 1970 par un certain Jean Crampilh-Broucaret (1939-1972), dit Jeannot, le parquet peine encore à trouver le sens qu’on peut lui attribuer. Fils d’agriculteur, mort de désespoir à l’âge de 33 ans, Jeannot avait avant sa mort gravé dans les lattes de son parquet des lignes difficiles à décoder, mettant souvent l’accent sur son rejet de la religion.

Dévoilés pour la première fois en 1998 à Bordeaux, ces travaux trouvent aujourd’hui une nouvelle vitrine à Sainte-Anne, accompagnés de la publication d’un ouvrage dirigé par la responsable scientifique du MAHHSA, Anne-Marie Dubois. Présentant le sol dans une salle dédiée, où il est posé au sol, le musée de l’Hôpital Sainte-Anne a pour objectif de mettre en lumière une partie des mystères et des légendes qui flottent au-dessus de lui. L’exposition est ainsi accompagnée d’un volet documentaire qui cherche à éclairer le processus de création de l’Étage, en s’intéressant notamment à son environnement géographique et social et à la généalogie familiale.

Une inscription épigraphique

Car cet objet – ni sculpture gravée sur bois, ni texte poétique, ni installation artistique, ni objet vernaculaire et domestique, mais un peu de tout cela à la fois – a donné lieu à de multiples interprétations et fantasmes de toutes parts. Pour Anne-Marie Dubois, cette pièce est «ni un acte d’accusation ni un testament, mais une inscription épigraphique unique, promise à la fois longévité et silence.». Car ces mots potentiellement significatifs laissent libre cours à toutes les suppositions. D’ailleurs, ce ne sont pas les psychiatres qui se sont montrés les plus prolixes sur une lecture pathologique de l’œuvre de Jean, observe Anne-Marie Dubois, mais tous les autres – écrivains, scénaristes, journalistes – fascinés par certaines phrases du texte gravé. Comme “Nous, Jean, Paule sommes innocents». “Mais innocent de quoi ?», demande le directeur du musée Sainte-Anne, préférant laisser planer le mystère d’une vie et les mots qui la racontent.

Jeannot a laissé un Plancher gravé, d’une sophistication inquiétante, dont on ne peut comprendre tous les mystères. Mais “reconnaître qu’on ne peut ni comprendre ni contrôler, n’est-ce pas finalement la meilleure façon de rester disponible pour recevoir la création de l’autre, même s’il est différent ?», estime Anne-Marie Dubois. En regardant son sol, et le mystère des mots que Jeannot y a gravés, les visiteurs se livrent à un geste fou, qui n’est peut-être pas celui d’un fou, mais celui d’un homme obsessionnel mettant ses délires plats.

L’étage de Jeannot au Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne, fermé les lundis et mardis jusqu’au 27 avril 2025

Catalogue de l’exposition, Jean Crampilh-Broucaret, L’Étage de Jeannot (MAHHSA, 25 euros)

 
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