les traditions du mois d’octobre (« kannazuki »)

Mois après mois, de janvier à décembre, de nombreuses traditions anciennes continuent d’imprégner et de rythmer la société japonaise moderne. Accompagnés d’illustrations d’époque, regardons en détail les coutumes du mois d’octobre (appelé dans l’ancien calendrier kannazuki) et leurs origines.

Les braseros de gencho

Au 10e mois, le jour dit genchoil était d’usage de retirer et d’installer les braseros (kotatsu) pour préparer l’hiver. En 2024, gencho tombe le 7 novembre, ce qui peut paraître un peu tôt dans l’année pour allumer les chauffages, mais à Edo, le froid était déjà glacial à cette époque de l’année.

Sur cette estampe tirée du « Livre illustré des grands poètes » (Ehon Waka-ura1734), on voit un homme de la famille souffler sur les braises pour allumer un chauffage d’appoint (kotatsu). (Collections de l’Institut National de Littérature Japonaise)

Dans la pensée héritée de la Chine ancienne, le monde est organisé sur les principes du yin et du yang et selon les cinq éléments primordiaux que sont le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau. Les douze signes du zodiaque sont également structurants et le signe du sanglier vient de l’élément eau. À l’époque, les braseros étaient alimentés au charbon de bois et les incendies n’étaient pas rares. Définir le jour de kotatsu en le plaçant sous le signe du sanglier (gencho) et donc le signe de l’eau était censé porter chance, puisque « l’eau aide à combattre les incendies ».

Nous avions aussi l’habitude de manger des galettes de riz gluant appelées « mochi des marchands » (inoko mochi) pour se souhaiter santé et prospérité car on pensait que le sanglier était un animal prolifique. Aujourd’hui, on trouve encore en vente dans les pâtisseries traditionnelles des mochis décorés de petits détails rappelant la fourrure de sanglier (uribo).

Mochi aux graines de sésame orné de petits détails rappelant la fourrure de sanglier. (Pixta)

S’ils s’amusaient à battre la terre avec des gerbes de foin pour éveiller le pouvoir de la terre et garantir de bonnes récoltes, les enfants du quartier recevaient ces mochi en guise de récompense, une pratique qui tombe d’ailleurs en même temps que la fête anglo-saxonne d’Halloween.

Le festival Ebisu (Ebisu-kô) ravit les commerçants

Le mois d’octobre est traditionnellement appelé kannazukice qui pourrait littéralement signifier « le mois sans dieux », car on disait qu’à cette période de l’année, les divinités quittaient leurs sanctuaires pour se retrouver toutes à celui d’Izumo. En fait, peu de festivals shinto ont lieu en octobre.

Mais qui alors protégera les paroissiens en l’absence de leur divinité tutélaire ? Ebisu, bien sûr ! Le festival Ebisu (Ebisu-kô) est célébrée le 20 octobre.

Les marchands étaient particulièrement impliqués dans les célébrations d’Ebisu, la divinité protectrice des affaires. Les marchands invitaient alors leurs clients, des dorades (son poisson emblématique) étaient données en offrandes, puis l’assemblée se divisait en deux, d’un côté les vendeurs, de l’autre les acheteurs. De nombreux biens commencèrent à être échangés et de grands tumultes accompagnèrent les transactions les plus coûteuses. Cette fête annuelle relançait le commerce à la veille des fêtes de fin d’année dont elle était un avant-goût et les commerçants ne savaient plus vers qui se tourner.


Sur cette estampe tirée des « Coutumes d’Edo tout au long de l’année, le 10e mois ” (Edo Fûzoku Jûnikagetsu no uchi jûgatsu) on voit un riche marchand occupé à organiser un festival d’Ebisu (Ebisu-kô). L’hôte apporte une daurade en offrande, tandis qu’autour de lui les invités s’affairent bruyamment, au centre on aperçoit un commerçant brandissant un boulier. (Collections de la Bibliothèque Nationale de la Diète)

Il existe plusieurs théories sur l’origine du culte d’Ebisu, mais depuis la période Muromachi (1333-1573), il y a un accord pour le relier à Hiruko, une divinité marine qui apparaît dans les « Chroniques des faits anciens » (Kojikivers 712).

Le Kojiki raconte en effet que de l’union des divinités primordiales Izanagi et Izanami naquit d’abord une progéniture si imparfaite qu’Hiruko fut rejeté par sa famille. Embarqué sur une petite pirogue faite de roseaux tressés provenant de l’île d’Onogoro (que l’on associe à l’île d’Awaji), il dérivait sur les vagues avant d’atterrir sur les rives de l’actuelle Nishinomiya (dans la préfecture de Hyôgo), où se trouve un sanctuaire a été construit pour commémorer son arrivée. Ce sanctuaire Nishinomiya serait le berceau du culte du dieu Ebisu.

Ebisu est donc une divinité liée à la mer, car originaire du large. Dans certaines régions, il est vénéré comme le dieu de la pêche. Ailleurs, avec le développement du commerce, il devient le protecteur des marchands et du commerce. Dans cette extension, la fête appelée « Ebisu-kô » le célèbre comme la divinité de la prospérité.

Ebisu est donc une divinité protéiforme, qui protège à la fois les pêcheurs et les commerçants. Il est l’un des sept dieux de la bonne fortune. Souvent représenté avec les yeux plissés et le sourire aux lèvres, il est très populaire.

Le 19 octobre, veille du festival d’Ebisu, un grand marché appelé « Betera-ichi » est organisé par le sanctuaire Takarada Ebisu à Ôdenma-chô (dans l’actuel quartier Nihonbashi de Tokyo).

Le quartier Ôdenma-chô accueille une foule de badauds lors du marché « Bettara-ichi » qui débute le soir du 19 octobre. Tirage tiré du premier volume du « Livre illustré des coutumes » (Ehon Fûzoku Ôrai). (Collections de la Bibliothèque Nationale de la Diète)
Le quartier Ôdenma-chô accueille une foule de badauds lors du marché « Bettara-ichi » qui débute le soir du 19 octobre. Tirage tiré du premier volume du « Livre illustré des coutumes » (Ehon Fûzoku Ôrai). (Collections de la Bibliothèque Nationale de la Diète)

Nous appelons bettara radis blancs (daïkon) mariné dans du malt de saké et garni de sucre. Le « Livre illustré des coutumes de la ville d’Edo » ( Edofunai Ehon Fûzoku Ôrai) nous raconte que les jeunes femmes mettaient un point d’honneur « à éviter la foule pendant le marché pour ne pas se tacher par la marinade qui coule des radis vendus entiers, au bout d’une ficelle, et que les jeunes hommes s’amusaient à virevolter pendant marche. Ils ne voulaient pas que la marinade soit collante (betari) ne salit pas leurs vêtements, mais c’est ce qui vaut au marché son nom de « Bettari-ichi ».

Le tournoi de sumo du temple Ekô

Des tournois de sumo avaient lieu deux fois par an pendant dix jours au printemps et à l’automne. A Edo, la réunion a convoqué kanjin-zumô a eu lieu fin octobre au temple Ekô, dans le quartier Ryôgoku. Des combats sont documentés à Ekô dès 1833, mais avant cette date, ils avaient eu lieu aux sanctuaires Tomioka Hachiman-gû et Shiba Shinmei-gû.

La salle est bondée du premier rang au deuxième balcon. Cette impression couleur (nishiki-e) démontre clairement la popularité du sumo. « Le succès du kanjin-zumô » (Kanjin-zumô han'ei no zu). (Collections de la Bibliothèque Nationale de la Diète)
La salle est bondée du premier rang au deuxième balcon. Cette impression couleur (nishiki-e) démontre la popularité du sumo. « »Le succès de kanjin-zumô« » (Kanjin-zumô han’ei no zu). (Collections de la Bibliothèque Nationale de la Diète)

Le meeting « Kanjin-zumô » est le prototype de nos grands tournois de sumo contemporain. Le terme kanjinque l’on retrouve dans le titre de la pièce de kabuki « Kanjinchô » (1840), évoque les faits d’armes de Benkei, le moine soldat de Musashi, intervenant pour protéger son maître Minamoto no Yoshitsune en fuite après la défaite d’Ôshu. Habituellement, nous appelons kanjin-chola liste des généreux donateurs participant à des collectes de fonds pour construire ou réparer des temples et sanctuaires. Ainsi le tournoi de sumo appelé kanjin-zumô avait pour objectif de récolter des dons pour les lieux de culte, dont la progression était assurée notamment par des dignitaires.

Ce n’est qu’avec l’ère Meiji (1868-1912) que les femmes ont été autorisées à pénétrer sur le terrain du tournoi et, aujourd’hui encore, il leur est strictement interdit d’entrer dans l’espace sacré des combats. Durant Edo il leur était donc interdit d’entrer, seuls les hommes pouvaient assister aux tournois, ils s’excitaient à la vue de leurs champions, le temple Ekô abritait bien des émotions fortes.

Tanikaze, Onogawa et Raiden étaient les meilleurs lutteurs des années Tenmei (1781-89) et Kansei (1789-1801). Shiranui a fait carrière pendant la période Ansei (1855-60). De plus, on pense que les 48 techniques utilisées par les lutteurs pour battre leurs adversaires (appelées fort) ont été créés pendant la période Genroku (1688-1704).

Le sumo peut se targuer d’une longue histoire et ses combats fascinent encore aujourd’hui les foules.

Références bibliographiques

  • «Illustrations légendées. Edo au fil du temps vu par Je suis désolé » (Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijikisous la direction de Satô Yôjin revu par Fujiwara Chieko, paru chez Kawade Shobo Shinsha)
  • “Livre illustré des coutumes de la ville d’Edo en japonais moderne” (Gendai-go yaku Edofunai Ehon Fûzoku Ôrai), de Kikuchi Kanichirô (Utagawa Hiroshige IV) dans la traduction de Kobayashi Shôjirô / Kadokawa Sophia Bunko.
  • « Les dieux japonais » (Nihon et Kamisama Taizen) / Kôsaidô Shuppan

(Photo de titre : sur le tirage intitulé « Entrée dans l’arène de Kanjin-zumo » [Kanjin zumo Dohyô-iri no zu]on voit les lutteurs entrer dans l’arène lors du tournoi organisé au temple d’Ekô en 1849. Collections spéciales de la Bibliothèque centrale métropolitaine de Tokyo)

 
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