Face au Square Aragon où Pau est affiché en lettres blanches, la chaîne des Pyrénées s’étend à perte de vue. Une suite infinie de plaines et de sommets enneigés sur lesquels les Béarnais rechignent à skier… Comme autant de hauts et de bas dans le parcours politique de François Bayrou. Cette fois, c’est « l’Himalaya » que dit s’attaquer le nouveau locataire de Matignon, qui a entamé la montée par le plus raide : choisir un gouvernement capable de tenir plus longtemps que celui de Michel Barnier. Il a nommé deux anciens Premiers ministres, compilé des poids lourds et quelques « prises » à gauche. Une équipe de cordée expérimentée pour gravir l’impossible et balayer les premières polémiques ?
« Parce que je vois de plus près la vie d’en bas, les quartiers de Pau, ou le village où je suis né, je ressens davantage cet immense danger : les gens ont l’impression d’être malmenés par tous ceux qui ont le pouvoir, la politique, les médias… », théorisait-il dans nos colonnes en février 2024. Président du MoDem, trois fois candidat à la présidentielle, ancien député, ex-président du conseil général, quatre ans ministre, ancien député européen et maire de Pau depuis 2014 – mais à moitié parisien À l’époque, Bayrou, enraciné, se considère comme tenant le fil conducteur entre les cercles du pouvoir et les Français.
Concurrent
«Nous avons connu des défaites depuis 1989 et les premières élections municipales», explique Jean-Louis Peres, premier adjoint et bras droit de Pau. En 2012, il perd le député, n’est plus titulaire… On a choisi un créneau politique qui n’est pas toujours facile, mais il n’abandonne jamais ! » Enterré cent fois, il renaît. « Il est têtu et pense aussi qu’on est plus fort ensemble, comme au rugby », analyse Bernard Pontneau, le président de la Section Paloise, un club local, que Bayrou appelle trois fois par semaine. On dit que ses joueurs préférés sont les plus combatifs, les guerriers, et que lui, caricaturé pour sa supposée faiblesse, est un compétiteur, passionné de rugby, de basket… Et de courses de chevaux. « Il a ça dans la peau », affirme Béatrice Jouhandeaux, élue à Pau et son amie depuis soixante ans. Le centriste se targue de la génétique, côtoie les éleveurs et assiste aux courses.
Ses chevaux parcourent 18 kilomètres plus loin, chez lui à Bordères. Un village de 700 habitants où un autre Bayrou figure sur la liste des maires, coiffé d’un béret. Il s’agissait de Calixte, son père, conseiller municipal de 1945 à 1953. « Un paysan érudit, brillant, à l’humour taquin, comme François », raconte l’ami d’enfance du Premier ministre, Maurice Buzy-Pucheu, 77 ans, dont on arrive en passant devant la maison. une cour d’oies caquantes. Celui de Bayrou jouxte le centre de la commune. « Dans les années 1960, elle était la seule à posséder un téléphone, car ses grands-parents étaient commerçants en grains », ajoute Maurice. Alors on allait appeler chez eux… Je travaillais encore à la ferme quand son père a été tué dans un accident en 1974. C’était horrible. Nous sommes partis pour les aider, les accompagner amicalement aussi. François était à Bordeaux, il allait avoir l’agrégation de lettres. Il s’est occupé de la ferme pendant trois ans. Il dut vendre le bétail et cultiver des céréales, principalement du maïs. »
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Un adolescent agité mais pas révolutionnaire
Un proche confie : « Sa mère était aussi une femme forte, qui a résisté au choc. Elle l’a beaucoup impressionné. Très cultivé également, permettant aux enfants de lire à table. Dans une famille paysanne, ce n’est pas courant et elle le lui a transmis. Alors qu’elle était en fin de vie dans une maison de retraite, il était bouleversé. Aujourd’hui, lorsqu’il va dans une maison de retraite, cela le touche énormément. »
Détour par Nay, à deux pas de Bordères. C’est là que Béatrice Jouhandeaux le rencontre, pensionnaire au lycée mixte, en septembre 1965. Il est en première année. Très mince, aux cheveux bouclés, il a la réputation d’être un excellent élève qui travaille peu et doit affronter le ridicule car il est bègue. « Il disait parfois que c’était dû au choc », raconte un ami. Nous n’en avons jamais parlé, mais je pense que c’est à ce moment-là qu’il s’est rendu compte que son père, qui était l’aîné, était obligé de reprendre l’exploitation, même s’il aurait pu vouloir faire autre chose. Cela a eu un grand impact sur lui et il ne voulait pas que cela se reproduise. »
Adolescent remuant mais pas révolutionnaire, le jeune Bayrou s’intéresse de près à mai 1968, en dernière année de lycée. Il réclame la création d’un foyer, se regroupe autour de lui, trouve sa voie. Les années passent et Béatrice Jouhandeaux, devenue surveillante lors de ses études de lettres, le retrouve, jeune professeur de français, au collège Marguerite-de-Navarre de Pau. « J’ai été affecté dans une autre région, très loin, mais je ne voulais pas y aller parce que j’avais un fils handicapé qui avait besoin de soins quotidiens. Je lui en parle et il me dit : « Béa, je suis en politique, je connais quelques personnes, si je peux, je t’aiderai. Quinze jours plus tard, j’étais nommée à Pau, explique-t-elle, les yeux embués. Je n’oublierai jamais. François n’est pas facile à communiquer, n’est pas affable, plutôt réservé. Mais il comprend très vite les gens et est profondément humain. »
«C’est notre Juppé à nous»
A Bordères, sa sœur, ophtalmologiste à la retraite, vit désormais dans la maison familiale. Lui et sa femme, Élisabeth – une ancienne institutrice que tout le monde appelle Babeth –, une rue plus loin, dans un grand immeuble pouvant accueillir leurs six enfants et vingt et un petits-enfants. « C’est une ancienne boucherie », décrit Maurice Buzy-Pucheu. Ils ont abattu une cloison pour installer une grande table. Un soir que nous y mangions des marrons grillés, nous étions plus d’une trentaine ! » Jean-Pierre Werbrouck, ancien élève de Bayrou dans les années 1970 devenu ami, livre un éclairage intime sur le couple. « Babeth est son refuge, mais il n’en parle pas. Une femme extraordinaire à qui il doit beaucoup. Intelligent, doté d’une incroyable acuité d’esprit mais qui aime rester incognito et déteste les dorures. »
Depuis la nomination à Matignon le 13 décembre, la maison est gardée par des gendarmes – certains étaient déjà présents il y a trente ans pour protéger le logement du ministre de l’Éducation nationale… « À cette époque, comme lorsqu’il présidait le département des Pyrénées-Atlantiques, a laissé les Béarnais sceptiques, affirme un ancien adversaire. Mais à Pau, où il a été réélu en 2020, il est aimé. » Un journaliste local le confirme. « La gare, les Halles, le réseau de bus, le centre culturel du Foirail… En dix ans, tout a changé, c’est notre Juppé à nous ! » La conquête de Pau est l’œuvre de sa vie, façonnée après plusieurs échecs, notamment face au socialiste André Labarrère, ex-ministre et maire pendant trente-cinq ans. Le baron du quartier se moquait parfois trop souvent à Paris de ce jeune homme à son goût, mais il le respectait. Le soir où Bayrou est nommé à Matignon, David Habib, député Liot longtemps passé au PS, successeur de Labarrère et proche de Cazeneuve, lui écrit : « André aurait été très fier. » Le parlementaire confie : « Bayrou n’est pas un grand bourgeois et il a toujours des positions très mesurées. Intéressé par Jacques Delors, admiratif de Mitterrand, il me téléphonait les soirs des congrès du PS pour connaître les résultats des motions devant la presse. Avec Bernard Cazeneuve, ils se sont vus à deux reprises avant sa nomination. Bernard est très inquiet de la situation, mais très respectueux envers François. » Il l’a invité aux dernières universités d’été du MoDem. L’année d’avant, c’était Rachida Dati. En politique, Bayrou le catholique pratiquant est un œcuménique. « Dati, ça a surpris tout le monde », se souvient son ex-beau-frère, Yves Dejean. Mais il a toujours une longueur d’avance. Trois mois plus tard, elle entre au gouvernement… François restera jusqu’à la fin du quinquennat, sinon qui ? »
“Il apprend vite”
“Il apprend vite, donc j’espère que la succession de bévues des premiers jours l’a fait réagir, car son talon d’Achille, c’est la fierté et le fait qu’il veuille tout faire seul”, décrypte un cadre du MoDem. “J’ai pu échanger avec lui, il est conscient de l’attente mais sûr de sa méthode et qu’il ne va pas céder à la pression”, souligne Laurent Jubier, élu de gauche (ex-socialiste) qui a rejoint, avec un collègue et bientôt un troisième, la majorité paloise après avoir siégé dans l’opposition. « J’ai trouvé Bayrou dans le dialogue et l’ouverture par rapport au premier mandat, où il voulait aller plus vite. J’ai vu le côté « sage », prendre le temps d’apprendre et de transmettre. Il ne se précipite pas. Il peut perturber le paysage politico-médiatique, mais il sait aussi décider et a déjà créé l’arc des socialistes vers LR dans son équipe. » Conscient que la sélection nationale est bien plus difficile, le jeune homme vante un maire qui aime le débat.
Une analyse qui n’est pas partagée par tout le monde. “Il sait entendre mais pas consulter et n’a jamais tendu la main aux socialistes, gouvernant toujours avec la droite”, affirme le chef de file de l’opposition paloise, Jérôme Marbot. [PS]. Il fonctionne verticalement, c’est un Jupiter municipal. » Au milieu des années 1970, François Bayrou disait dans ses cours de français : « Si vous n’écoutez pas l’autre, vous ne pourrez pas contre-argumenter ! » Il distillait après les cours sa vision atypique, régionaliste et européenne. Et affirmé son style. Souvent en retard, parfois absent, toujours sûr de lui. « Bayrou n’a pas de patron, c’est un homme libre. Ce n’est pas quelqu’un qui vit dans des hiérarchies », affirmait, il y a quelques années, Marielle de Sarnez, son alter ego de toujours, décédée en 2021. Voilà Emmanuel Macron prévenu.