La mesure a été invitée au débat public début novembre. Et comme c’est souvent le cas pour les deux-roues, cela a suscité des commentaires, des protestations, des incompréhensions et, plus rarement, quelques applaudissements. En cause : le montant de l’amende infligée aux cyclistes et utilisateurs de trottinettes électriques surpris à circuler sur les trottoirs, pour se protéger de la circulation ou pour gagner du temps. Actuellement, l’amende s’élève à 135 euros. Mathieu Klein a annoncé en conseil municipal le 4 novembre qu’il venait de saisir le procureur de la République afin que l’amende pour ces délits soit réduite. Tolérance envers les cyclistes d’une majorité jugée très favorable à leur égard ? C’est en tout cas ainsi qu’une partie de la population a perçu la mesure, obligeant le maire à se montrer pédagogue : « J’ai demandé au ministère public d’adapter le système des amendes car son montant actuel en cas de flagrant délit est trop élevé et peu utilisé par les agents publics. Une amende plus proportionnée sera utilisée plus régulièrement et deviendra plus dissuasive. » Une décision contre-intuitive, qui a une nouvelle fois pour effet de souligner la difficulté d’aborder la question du vélo, à l’heure où la ville de Nancy se tend autour des projets de tramway ou de piétonisation.
Débat tendu
Un débat que l’on retrouve – et c’est rassurant – au niveau national, où de nombreuses communes, y compris celles qui, aux mains des écologistes, ont décidé de changer de braquet sur la place du vélo en ville. Grenoble, Bordeaux, ou plus près de nous Strasbourg, n’hésitent pas à faire du vélo un sujet politique, car il en est un. Mais si dans la capitale alsacienne la place de la petite reine ne semble pas remise en cause, en raison d’un nombre record d’usagers en France, c’est plus compliqué à Nancy. Dans nos colonnes, Matthieu Klein a récemment démenti être un maire « anti-voiture » : « J’assume mes choix et je réfute toute caricature. D’ailleurs, cela ne se retrouve-t-il pas dans les choix du passé qui organisaient les villes autour de la seule voiture individuelle ? Cette époque est révolue et Nancy se réinvente pour que les piétons, les transports en commun, les vélos, trottinettes et voitures puissent chacun avoir la place qui leur revient. Nous sommes dans une phase de chantier, qui exacerbe les nuisances et amplifie la grogne, mais je n’ai aucun doute sur l’avenir, et sur le bénéfice des décisions qui ont été prises et qui permettent à Nancy d’être une ville des années 2020 et non plus une ville des années 1980. »
Vers une ville cyclable
Nancy, une ville favorable aux cyclistes ? C’est l’ambition clairement affichée dans le Plan Métropolitain de Mobilité [P2M]qui promet une ville 100% cyclable en 2035. Là encore, on peut l’entendre de deux manières, la première qui y voit une exclusion de la voiture, la seconde, que défend Laurence Wieser, conseillère métropolitaine chargée de la mobilité active. , une manière de repenser l’espace public : « Dans l’idée d’une ville cyclable, il ne faut pas croire qu’on enlève quelque chose, bien au contraire. Si on arrive à convaincre cinq automobilistes d’emmener leur vélo au travail, cela signifie cinq voitures de moins sur les routes, et cela facilite la vie des automobilistes, ceux qui sont vraiment obligés de prendre leur voiture. » Pourtant, donner plus de place au vélo reste une réelle volonté politique. Ne serait-ce qu’en lien avec le changement climatique qui nous oblige à réduire les émissions de gaz liées au trafic. ” Jusqu’à aujourd’hui, chacun se considère quelque peu isolé dans son propre couloir. Je suis automobiliste, ou je suis cycliste, ou je suis piéton. Mais nous sommes souvent les trois à la fois. L’idée de réduire la vitesse en ville à 30 km/h s’inscrit dans cette logique en permettant de réduire les conflits de vitesse entre vélos et voitures par exemple. » Parmi les gros points de friction, les fameux cadenas réservés aux vélos, aux feux tricolores, rarement respectés par les voitures. « Nous devons faire preuve de pédagogie, poursuit Laurence Wieser, mais nous n’avons pas l’intention de lancer une campagne de communication à l’échelle de la Métropole, car dans ce domaine, ils font souvent l’erreur de diviser encore plus parce qu’ils sont jugés trop moralisateurs. »
Quand on parle de vélo en ville, la sacro-sainte notion de piste cyclable reste la juge de paix. Depuis le début du mandat de Mathieu Klein, 24 kilomètres de pistes cyclables ont été créés. L’objectif de la majorité actuelle est d’en ajouter 40 supplémentaires pour être fidèle à ses promesses de campagne. « Les pistes cyclables sont un bon indicateurexplique Laurence Wieser, mais il ne faut pas réduire la politique du vélo urbain à ces seuls axes de circulation. Il faut s’adapter au cas par cas, nous ne sommes pas dans le « tout piste cyclable ». »
Les associations impliquées
Cependant, une nouvelle piste cyclable reste la réponse la plus évidente, la plus visible et celle qui satisfera le plus rapidement les cyclistes. Hadrien Fournet est porte-parole de l’association Eden, très active à Nancy sur les questions d’environnement et de mobilité. « Depuis l’arrivée de cette nouvelle majorité, on voit un vrai changement, il y a quelque chose de mieux. Nous sommes désormais impliqués dans les discussions lorsque les travaux sont planifiés. Récemment, une assemblée publique sur le réaménagement de la rue de Verdun a permis de revenir sur le projet initial qui ne satisfaisait personne, ni les résidents et leur stationnement, ni les cyclistes. Le nouveau projet comprend une piste sécurisée, ce que nous avions demandé. » Le dialogue aurait donc ses vertus et permettrait de faire avancer la question du vélo en ville. Mais le responsable associatif reconnaît aussi bénéficier d’un élan national en faveur du cyclisme : « Cela va dans le bon sens parce que le changement est d’envergure nationale mais aussi parce qu’il y a localement une volonté politique, une meilleure prise en compte des enjeux. Et surtout, il y a désormais un budget pour ça. La situation n’est pas parfaite mais meilleure tout de même. »
L’implication des associations a également permis d’anticiper les difficultés qui naîtraient de la cohabitation envisagée entre le tramway et les cyclistes, désormais autorisés à emprunter le quai, contrairement à l’époque du tramway. Il y a quelques semaines, des chauffeurs de bus bénévoles ont pu se mettre dans la peau de cyclistes. A vélo, ils ont emprunté les chemins qu’ils emprunteront quotidiennement au volant de leur chariot. Grâce à un bus stationné place Charles III, les piétons et les cyclistes ont également pu constater les angles morts auxquels un conducteur est confronté et qui limitent sa visibilité.
Tensions politiques
La coexistence des modes de déplacement est souvent Source de tensions, sur le terrain comme dans le champ politique. Lorsque le maire a annoncé son intention de réduire les amendes pour les cyclistes sur les trottoirs, les réactions n’ont pas tardé. Valérie Debord, conseillère municipale d’opposition, parle d’une décision incompréhensible : « Cela envoie un message peu pédagogique : l’incivisme peut être toléré à bas prix ! En quoi une amende moins élevée serait-elle plus dissuasive ? Ce qu’il faut, ce n’est pas réduire les sanctions, mais protéger les trottoirs avec des contrôles renforcés, des infrastructures adaptées et une politique ferme qui prenne réellement en compte la sécurité des piétons. Se déplacer en toute sécurité sur les trottoirs sans crainte ne devrait pas être une loterie. »
Du piéton qui s’oppose au cycliste, qui s’oppose à l’automobiliste, voilà ce que dénonce également une autre voix de l’opposition, Laurent Hénart : « Comme toujours, cela crée une atmosphère très conflictuelle. L’automobiliste voit sa contravention doubler tout en observant celle du cycliste diminuer… » Pour l’ancien maire de Nancy, les récentes tensions autour du projet de bouchage du tunnel Charles III révèlent une politique qui manque de concertation. Au point de mécontenter une centaine de chauffeurs de taxi, inquiets de voir disparaître un tunnel très fréquenté de 300 mètres de long au profit d’un espace vélo en surface. Encore une fois, voiture contre vélo. « On a l’impression qu’un seul scénario a été étudié, qu’il n’y a pas d’autres solutions. Cela donne l’impression que le cyclisme est dogmatique, alors qu’il ne devrait pas l’être. Je pense que les cyclistes ne profitent pas de cette méthode de passage en force. » En tout cas, pas question pour Laurent Hénart de faire du cyclisme un marqueur d’orientation politique, du genre : la droite est contre et la gauche est pour. « Dans le plan métropolitain de mobilité, le seul aspect pour lequel nous avons voté est celui du vélo. Des projets comme la piste cyclable de la rue Jeanne d’Arc ou l’avenue de la Libération ont été lancés par notre majorité. Mais la lenteur des évolutions et la communication développée autour d’elles laissent penser que la nouvelle majorité a tout inventé. »
Dans ce débat que connaissent de nombreuses villes, la question budgétaire fera une nouvelle fois office d’arbitre. L’annonce récente de l’abandon par le nouveau gouvernement Barnier du plan Vélo lancé par Élisabeth Borne pourrait rebattre les cartes au niveau local. Mais pas de quoi remettre en cause le schéma directeur vélo lancé en 2021 par la Métropole du Grand Nancy pour un montant cumulé jusqu’en 2035 de plus de 120 millions d’euros. « Même sans cette aide de l’État, conclut Laurence Wieser, les améliorations seront apportées, mais cela prendra plus de temps, car il faudra étaler nos investissements. »