« Jean-François Kahn, au présent et pour toujours »

« Jean-François Kahn, au présent et pour toujours »
« Jean-François Kahn, au présent et pour toujours »

Martine Gozlan était rédactrice en chef de « Marianne » au département , après avoir voyagé comme grand reporter au Maghreb et au Moyen-Orient depuis 1990. Elle se souvient de « son patron ».

Au début de ma vie de journaliste et pour toujours, il y a Jean-François Kahn. J’écris au présent bien qu’un impensable imparfait le remplace brutalement. Ses paroles qui martèlent la réalité, ses rires qui emportent tout. Une injonction à la clarté et à l’intelligence, un défi au brouillard, au pathétique, un pied de nez au mauvais lyrisme. Il est – reste – mon patron depuis plus de trois décennies, deÉvénement du jeudi a Marianne. Du petit immeuble ouvragé de la rue Christine aux locaux de la Bastille puis de la République, je n’ai envie et n’aime travailler avec lui que parce qu’il se fiche des concepts, les pulvérise d’une boutade ou d’un rappel historique cinglant. Rétrécie, l’idéologie dans laquelle d’autres, cependant, au fil des métamorphoses du journal et du lointain père fondateur, s’envelopperont en prétendant être lui.

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Qu’il m’envoie en mission au bout de la rue ou au bout du monde, il me projette dans toutes sortes d’univers en me mettant au défi de les raconter, même si je les trouve effrayants ou grotesques. Algérie, tueries islamistes, Moyen-Orient, guerres sans fin. Essayez de raconter l’histoire, au moins le moins possible, sans obéir au réflexe formaté ni tomber dans la démagogie.

Le journalisme de Jean-François, le seul qui me convient et qui en vaut la peine, est une réalité vivante, pensa Vif-Argent. Cela demande de la distance. Mais jamais de froideur. La froideur, quelle horreur, quel ennui ! Sans doute, c’est le lecteur qui perd le contact, le visage ou le paysage qui est trahi. Le patron braque sa lanterne magique sur le monde des puissants, depuis son bureau mansardé de la rue Christine, et révèle leurs difformités. La plupart le craignent, beaucoup de ses collègues se moquent longtemps de lui – ils se calmeront – parce qu’il ne respecte aucune de leurs vaches sacrées et ne se soucie pas des honneurs.

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Il se moque de ceux qui pontifient sur tous les sujets, se réjouissant de leur importance. Les lecteurs de Jean-François Kahn sentent clairement que tous ces beaux parleurs sont des menteurs. Et chaque jeudi, on attend ses articles farouches mais fraternels. On le reconnaît partout, on l’approche dans la rue sans cérémonie. Il est avec le peuple comme avec nous, ses journalistes. Comme avec moi. Son visage semble froid et lisse, son regard perdu dans des réflexions lointaines puis il éclate de rire, raconte dix histoires à la fois et nous sommes emportés dans le tourbillon. Nous avons commencé à avoir des idées géniales, c’est lui qui nous les a données mais elles sont devenues les nôtres en un clin d’œil. En plus, dit-il, nous seuls pouvons les traiter avec brio. Et le plus rapidement possible. On se précipite sur le téléphone, le bloc-notes, dans le train, dans l’avion, la vie est grisante et rapide, il faut la saisir, l’immobiliser, la ramener dans une cage en papier pour la surprendre, la séduire.

La patience n’est pas sa qualité première. Si le journal, celui qu’il a créé, celui qu’il recréera, celui qu’il produit du matin au soir, celui qui, d’une décennie à l’autre, raconte l’histoire de notre pays, si ce journal ne devient pas l’oasis de vertu, d’intelligence et de générosité qu’il veut construire, il jette l’éponge.

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Et il recommence. Voici à nouveau le bonheur. Rédaction, reportage, partage. Qu’il nous emmène faire la fête au bistrot du coin ou dans son moulin bourguignon, perdu et médiéval, nous nous attroupons autour de la table levant notre verre à la communauté de cœur et de talent, au maître des lieux et des plumes. Aussi différents que nous soyons, nous sommes heureux d’être ensemble puisque nous sommes avec lui. On boit, on mange et on rit dans un pays de rêve, peut-être celui avec lequel il cherche à inventer l’événement, avec Marianneet qui laissera en moi la trace nostalgique d’une patrie.

 
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