FIGAROVOX/TRIBUNE – L’essayiste Michel Guénaire regrette que Trump provoque une polarisation dans la vie politique et le débat intellectuel de notre pays, ce qui oblige chacun à se positionner en sa faveur ou contre lui. Il y voit le signe de notre incapacité à nous définir comme Français.
Michel Guénaire est avocat d’affaires et essayiste. Dernier livre publié : Après la mondialisation. Le retour à la nation (Les Presses de la Cité, 2022).
C’est l’alternative en ce début d’année. Le monolithe Trump provoque une polarisation dans la vie politique et le débat intellectuel de notre pays, ce qui oblige chacun à se positionner, sans recul et même avec frénésie pour certains, en sa faveur ou contre lui. Dans un camp ou dans l’autre.
Il y a d’abord les pro-Trump. Heureux de voir prévaloir un discours de rupture, alors qu’ils en sont incapables chez eux. Le personnage brutal qui le délivre importe peu, aux yeux de certains qui prétendent pourtant chérir les lettres françaises. Un vent sauvage les revigore. Bien sûr, la fascination pour l’homme politique américain avait des précédents chez nous : qui n’a pas voulu être le Kennedy français dans le camp libéral après les années de gaullisme ? Kennedy a annoncé qu’il marcherait sur la Lune, Trump peut bien dire qu’il marchera sur Mars.
Ensuite, il y a les anti-Trump. Enragé ou blessé par le spectacle donné par les Etats-Unis qui partent pour quatre ans avec un président qui niera toute la prudence du vieux monde, notamment les programmes qui avaient été si difficiles à mettre en œuvre pour la transition écologique et ceux qui voulaient établir une régulation des services numériques. La force des Américains n’avait d’ailleurs pas laissé dupe depuis longtemps : qui ne les avait pas déjà accusés au moment de la guerre du Vietnam ? Nixon et Trump appartiennent à la même famille politique.
Les Français ne savent plus regarder en eux-mêmes, chercher leurs forces dans le corps de leur nation, ne trouver la clé de leur destin que dans les amitiés profondes qui les unissent.
Michel Guénaire
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Ces deux attitudes sont pénibles et réductrices. Personne ne peut sérieusement vouloir suivre les Américains en étant fasciné par leur facilité à décider de leur destin, et tirer ainsi de leur combat un exemple pour notre pays ; de l’autre, personne ne peut se contenter de riposter contre tout ce qu’il fait, et se résoudre à expier systématiquement son influence qui n’est que la traduction de son pouvoir. Ils se projettent tous ou se démarquent mal par rapport aux Etats-Unis.
Les Français ont de mauvaises relations avec les Américains. La raison principale est que les Français ne savent plus regarder en eux-mêmes, chercher leurs forces dans le corps de leur nation, ne trouver la clé de leur destin que dans les amitiés profondes qui les unissent. Ils se tournent alors vers le grand modèle occidental, il est vrai le dernier vivant après la disparition du modèle scandinave longtemps vanté aux nues.
Fallait-il cependant attendre le tournant que prennent les Etats-Unis pour voir le mouvement que, depuis plusieurs années, j’ai vu et analysé : le retour à la nationrépandue dans tous les pays du monde et qui se traduit par des votes en faveur de pouvoirs homogènes et durs, incarnant l’identité et défendant les intérêts des peuples. Il s’agit d’un mouvement historique fort qui fait suite aux multiples crises qui ont ébranlé la mondialisation. L’Occident, représenté par des chefs d’État et de gouvernement habitués à la vision millénariste du néolibéralisme et occupant un G7 de plus en plus étroit ou de moins en moins légitime, ne voulait pas le voir alors qu’à l’autre bout du monde, de grandes régions et États de leur taille prenait toute la mesure, à commencer par la Chine et la Russie.
La mesure de ce changement n’a pas besoin de l’école américaine qui s’y est résolue. Nous pouvons vouloir une rupture dans notre pays comme Trump l’a annoncé dans le sien, sans suivre la forme vindicative et outrancière de son discours mais en trouvant les mots justes qui ouvrent la voie dans un pays complexe. Nous pouvons aussi chercher notre différence dans le monde à venir, sans stigmatiser la force des autres mais en construisant notre propre modèle.
Fini le temps où Alexis de Tocqueville, de retour de son voyage en Amérique, analysait l’avènement d’une démocratie inscrite dans la société humaine et non plus seulement dans la Constitution. Les États-Unis nous aimaient pour ces renseignements. Ils n’ont jamais cessé de nous envier pour notre histoire et notre culture. Ils nous respecteront si nous restons toujours fidèles à nous-mêmes. La France doit définir sa relation juste, une véritable entente, une bonne relation avec le peuple américain. Avec l’exigence de trouver ses ressources en soi, comme Saint-Louis, vanté par Péguy, qui ne «n’a souffert qu’à ses frontières» et «ne s’est pas battu contre lui-même et contre son peuple».