Béatrice Dalle, Brigitte Fontaine, Françoise Fabian… As part of her documentary Le scandaleuxdiffusée vendredi 20 décembre sur France 3, la journaliste a rencontré ces femmes qui s’opposent aux normes dictées par la société, quitte à les choquer. Entretien.
À travers le documentaire Le scandaleux*La journaliste Cécile Delarue met en avant des femmes aux parcours hors du commun, qui ont permis à la société d’évoluer. Lio, Nadine Trintignant, Aïssa Maïga, Corinne Masiero… Des invités d’exception, qui ont partagé leurs histoires, souvent jugées « scandaleuses ». Le programme nous fait également remonter 70 ans d’histoire des droits des femmes. Un documentaire à découvrir le 20 décembre à 23h30 sur France 3.
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Madame Figaro .- Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet, et ces femmes pour l’illustrer ?
Cécile Delarue.- Le scandaleuxc’est une idée qu’a eu Laurent Delahousse après la cérémonie des César en 2021, quand Adèle Haenel a quitté la salle. J’ai choisi ces femmes parce qu’elles ont toutes été qualifiées de « scandaleuses ». Certains l’ont fait sans le vouloir, comme Myriam avec la publicité “Demain, j’enlève le haut”. Elle a simplement voulu s’offrir une retraite de yoga, et a changé notre façon d’accepter un corps nu dans la rue. Il y a aussi Nadine Trintignant, Françoise Fabian et Brigitte Fontaine, qui ont signé le manifeste des 343 pour le droit à l’avortement. Juliette Gréco a également été jugée scandaleuse, car elle portait un pantalon, et devait cacher sa bisexualité. Ce sont des choses qui nous paraissent normales aujourd’hui, mais qui étaient scandaleuses à l’époque. Ces femmes ont mis leur carrière en péril et ont osé tenir tête à la société. J’ai passé beaucoup de - à fouiller dans les archives de l’ORTF, ainsi que dans des bases de données plus récentes, pour trouver les icônes qui ont contribué à ce changement. Pour moi, il était clair que ça commençait avec Brigitte Bardot, et que ça se terminait avec Adèle Haenel et Corinne Masiero lors de la cérémonie des César 2021.
Comment ces personnalités ont-elles contribué à faire progresser les droits des femmes ?
Ce sont tous des pionniers. Brigitte Bardot, par exemple, est cette jeune adolescente bourgeoise du 16e arrondissement qui se déshabille d’un coup. Elle semble avoir une certaine aisance avec son corps : elle apporte en France le mot « sexy », et l’idée de libération sexuelle. Toutes les femmes représentées dans ce documentaire véhiculent un petit quelque chose de différent. Le 343, évidemment, apporte l’idée que nous pouvons choisir ce que nous faisons de notre corps. Adèle Haenel, en quittant l’assemblée lors de la cérémonie des César, a affiché son désaccord avec la manière dont on réagit face aux violences sexuelles et à la pédophilie. Ces controverses suscitent le débat, et permettent de donner une autre vision de ces situations. D’autant que ce sont des figures pour lesquelles nous avons de l’attachement, parce qu’elles sont connues, elles nous ont émus, et elles ont du charisme. Ils ont réussi à nous montrer ce que nous n’avions pas forcément envie de voir, et c’est pour cela qu’ils servent grandement la cause des femmes.
Je regrette d’avoir fait scandale, si c’était à refaire, je ne le ferais pas
Isabelle Demongeot
De graves conséquences
Dans quelle mesure les scandales ont-ils impacté la carrière de ces femmes ?
Un scandale a toujours un impact sur les carrières. Je me suis moi-même retrouvée au cœur d’une polémique, puisque je faisais partie des femmes qui dénonçaient Patrick Poivre d’Arvor. Et j’en vois les répercussions chaque jour. Dénoncer ou faire scandale rend les choses extrêmement compliquées. On ne vous embauche plus aux mêmes endroits, on ne vous considère plus de la même manière. Mais cela fait aussi avancer les choses. Suite aux révélations sur l’affaire PPDA, beaucoup de femmes sont venues nous voir. Il y avait même des hommes qui nous remerciaient. Ils ont compris qu’ils avaient eux-mêmes subi des choses inacceptables et qu’ils devaient les dénoncer.
Quelle a été votre rencontre la plus émouvante ?
La rencontre qui m’a le plus touchée a été celle avec Noëlle Noblecourt (présentatrice de la RTF, elle a fait scandale en 1964 car le port de sa jupe dévoilait ses genoux, NDLR). Je l’ai traquée pendant longtemps parce que je ne la trouvais pas. Je me souviens de cette femme qui a été licenciée de son travail à la télévision parce qu’elle était présentatrice et qu’elle portait une minijupe. En tant que présentatrice de journaux, c’est quelque chose que j’ai toujours eu en tête : faire attention à la façon dont on s’habille. J’ai fini par trouver cette femme. Et quand je lui ai parlé de la minijupe, Noëlle Noblecourt m’a répondu : “Non mais tu sais que ce n’est pas vrai, tu ne connais pas la vraie histoire ?” En fait, elle a été licenciée parce qu’elle avait refusé les avances de son patron, et elle en a payé le prix. Ce qui est surprenant, car elle a débuté au même âge et dans la même émission que Michel Drucker : peut-être qu’elle aurait pu, elle aussi, faire une belle carrière. Le plus fou, c’est l’hésitation qu’elle a eu à me dire le nom de la personne qui lui avait fait des avances. Même si cet homme est mort depuis dix ans. Elle a fini par me le donner, je ne pensais pas qu’elle oserait. Cela en dit long sur ce que signifie provoquer un scandale et être une femme à la télévision.
Ce sont des choses qui nous paraissent normales aujourd’hui, mais qui étaient scandaleuses à l’époque
Cécile Delarue
Quelles anecdotes vous ont particulièrement marqué lors de ces entretiens ?
Au fil des entretiens, j’ai découvert l’histoire de Françoise Fabian, qui avait loué un appartement pour permettre aux femmes d’avorter, alors que c’était illégal à l’époque. Ma rencontre avec Béatrice Dalle a également été très émouvante. À un moment donné, j’ai évoqué Virginie Despentes : elle s’est mise à pleurer, tellement son amitié pour elle était intense. Mon entretien avec la joueuse de tennis Isabelle Demongeot a également été poignant. Elle m’a dit : “Je regrette d’avoir fait scandale, si c’était à refaire, je ne le ferais pas.” Quelques jours avant l’entretien, elle ne se sentait pas bien. Parce que, à chaque fois, c’est difficile de parler de ces choses-là. Tout cela a un impact sur le corps. Et en même -, je lui suis très reconnaissant de l’avoir fait, car je pense qu’elle nous a tous beaucoup aidés.
*Le scandaleuxdiffusé le 20 décembre à 23h30, à découvrir sur France TV.