Après l’échec de deux tentatives de rachat, l’hebdomadaire Marianne restera finalement la propriété du magnat tchèque Daniel Kretinsky (AFP / JOEL SAGET)
Après l’échec de deux tentatives de rachat, l’hebdomadaire Marianne restera finalement la propriété du magnat tchèque Daniel Kretinsky, mais avec à sa tête le journaliste controversé Frédéric Taddeï, en remplacement de Natacha Polony.
CMI France, propriété de M. Kretinsky depuis 2018, “s’engage à conserver Marianne” et à “maintenir” un magazine “qui défend les valeurs républicaines, sociales et laïques”, selon un communiqué publié jeudi.
CMI (Czech Media Invest) devra cependant « mettre en œuvre un plan stratégique visant à ramener le journal à l’équilibre financier et à garantir son avenir ».
Selon la Society of Marianne Editors, il est question de réduire la pagination et de « réduire le service Enquête et le site Internet ».
Un dispositif de clause de conscience, permettant aux personnes de partir avec indemnisation en cas de désaccord avec une ligne éditoriale, sera ouvert en janvier, a-t-on annoncé jeudi à la rédaction d’une cinquantaine de journalistes, selon un participant.
En juillet, CMI France a mis fin aux discussions en vue d’un rachat par le milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin, puis en novembre à celles initiées avec l’entrepreneur Jean-Martial Lefranc.
Le premier a été rejeté par la rédaction après la révélation par Le Monde de liens avec l’extrême droite. La seconde avait suscité des craintes quant à l’indépendance éditoriale.
– Polony tient un éditorial –
“Natacha Polony a indiqué qu’elle ne faisait pas partie de la future direction du journal”, explique CMI France. Le journaliste et essayiste, en poste depuis 2018, tiendra un éditorial hebdomadaire.
Frédéric Taddeï in Cannes, in the Alpes-Maritimes, May 21, 2015 (AFP / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT)
Frédéric Taddeï prendra ses fonctions le 1er mars.
Il s’est fait connaître du grand public à la télévision, où il a notamment animé le talk-show « Ce soir (ou Jam !) » sur France 3 puis France 2 entre 2006 et 2016.
En 2013, le journaliste Patrick Cohen lui reprochait de donner la parole à des « cerveaux malades », citant l’intellectuel musulman Tariq Ramadan, l’humoriste Dieudonné, l’essayiste d’extrême droite Alain Soral et le sulfureux écrivain Marc-Édouard Nabe.
“Pour moi, il n’y a pas de liste noire, il n’y a pas d’invité que je refuse d’inviter par principe parce qu’il ne me plaît pas”, a répondu M. Taddeï.
Depuis 2005, il est présent sur la radio Europe 1 et a fait une apparition en 2023 sur la chaîne CNews, toutes deux contrôlées par le milliardaire conservateur Vincent Bolloré.
– «Agitateur culturel» –
Frédéric Taddeï a également présenté l’émission « Interdit d’interdiction » sur la chaîne RT France, branche française de la chaîne russe RT. Il a arrêté sa présentation début 2022, invoquant « sa loyauté envers (son) pays », dans le contexte de la guerre en Ukraine. Depuis, RT, accusée de diffuser de la propagande en faveur de la Russie, a été interdite dans l’Union européenne, et RT France a fermé ses portes suite au gel de ses avoirs.
La nouvelle directrice de Marianne a affirmé jeudi être “attachée au débat d’idées et à la diversité des opinions”. La coprésidente de la Société des rédacteurs, Margot Brunet, a de son côté expliqué qu’elle resterait « très vigilante ».
“Frédéric Taddeï, agitateur culturel reconnu” et “dont la nomination est approuvée par Jean-François Kahn”, co-fondateur de Marianne en 1997, “apportera son originalité, son goût du pluralisme et son amour du débat”, a assuré Denis Olivennes, président du conseil de surveillance de CMI France.
Ce rendez-vous fait sursauter certaines personnes au sein du groupe. Aux yeux de Caroline Fourest, directrice de la rédaction de l’hebdomadaire politique Franc Tireur, Frédéric Taddeï “n’a jamais incarné, ni directement ni indirectement, l’esprit +Marianne+”.
Daniel Kretinsky à Paris le 22 janvier 2020 (AFP / JOEL SAGET)
Ces dernières années, Marianne a défendu une ligne éditoriale souverainiste, pro-laïque, antilibérale en économie et critique envers les élites. C’est ce ton qui a poussé Daniel Kretinsky, libéral en économie et favorable à la construction européenne, à vouloir se séparer du magazine au printemps dernier.
De juillet 2023 à juin 2024, Marianne a vendu 129 000 exemplaires en moyenne chaque semaine (+0,24 % par rapport à 2022-2023), derrière ses concurrents Le Point, Le Nouvel Obs et L’Express, selon l’Alliance des chiffres de la presse et des médias.
L’hebdomadaire a perdu trois millions d’euros en 2023, pour 12 millions d’euros de chiffre d’affaires.
M. Kretinsky est également propriétaire des titres de presse Elle, Télé 7 Jours, Ici Paris et France Dimanche, ainsi que du numéro deux français de l’édition, Editis. CMI France lancera également une nouvelle chaîne sur la TNT le 1er mars.