La douzaine de clients se taisaient pour écouter la télévision. « Vingt ans. Cela prend vingt ans », annonce la serveuse de la brasserie « Le Siècle », au centre ville de Mazan. Il est 10h20, jeudi 19 décembre. Le tribunal correctionnel du Vaucluse vient de condamner Dominique Pelicot à la peine maximale. verser avoir drogué, violé et fait violer sa femme. Sur le trottoir d’en face, Bastien Benotmane a sorti son smartphone de sa poche. L’agent immobilier recherche des noms. “Je connais deux personnes qui sont sur la liste des coupables”il murmure. Gêné, il précise : “Il y en a un qui m’a confié l’estimation de sa maison, un autre qui a refait le carrelage de ma salle de bain.” Tous deux, comme les 51 accusés, ont été reconnus coupables.
Les 6 300 Mazanais connaissent enfin la fin. Pour bon nombre d’entre eux, ce verdict met fin à une séquence particulièrement mauvaise. “C’est bon, pouvons-nous vivre à nouveau en paix maintenant ?”gémit Henri en trempant ses lèvres dans sa tasse de café. Quatre mois que sa commune est “le centre du monde”quatre mois que le retraité de 71 ans ne comprend pas pourquoi. “Dominique Pélicot, il a emménagé chez nous pour sa retraite, ce n’était pas quelqu’un d’ici, ça n’a rien à voir. Pourquoi parlait-on de l’affaire Mazan à la télé ? Cela aurait dû être juste l’affaire Pélicot !
Mazan veut retrouver la paix. Depuis l’ouverture du procès le 2 septembre, ce n’est plus pour ses vins, ses asperges et ses fraises que l’on emprunte la route départementale 974. Presque tous les commerçants du centre-ville ont eu droit à la visite de journalistes ou de curieux. La boulangerie ? Demandé. École de conduite? Demandé. Le bar ? Sollicité. Le snack-bar « Le Ventoux » a même vu arriver un média américain dans sa minuscule boutique, avec caméra, micro perche et matériel d’éclairage.
Fiona soignait deux golden retrievers dans sa boutique de l’avenue de l’Europe lorsqu’une dame se présentant comme une universitaire est venue lui présenter “une enquête”. « Elle m’a dit : ‘C’est lié à l’affaire, je peux te poser quelques questions ?’ J’ai répondu : “Mais madame, je suis toiletteuse pour animaux !” Un chef d’entreprise, qui souhaite garder l’anonymat, déclare avoir reçu un appel téléphonique, “un soir à 21h”, “d’un connard qui voulait l’adresse de la maison Pélicot. “Quelques bêtises…”
Même les policiers municipaux ont été agressés alors qu’ils étaient en service. Ils ont également dû revoir l’itinéraire de leurs tournées, les éléments d’enquête ayant filtré hors du procès. Le stationnement du gymnase, à proximité du collège, a été évoqué par la quasi-totalité des accusés. C’est ici qu’ils ont garé leur véhicule en attendant le feu vert de Dominique Pelicot pour venir au domicile du couple : “Quand elle dort bien, tu peux venir.” Ce très proche voisin des Pélicots n’en revient toujours pas : « L’autre jour, j’ai vu un couple marcher les yeux rivés sur le GPS de leur téléphone. Ils m’ont expliqué qu’ils avaient recherché « adresse de la maison Pelicot Mazan » sur Google.
Un véhicule qui n’est pas immatriculé « 84 » est un premier indice. S’il roule au pas, c’est un deuxième. « A part le tourisme sordide, qu’est-ce que c’est au juste ? » agace un artisan qui habite le quartier. C’est comme si nous étions devenus des animaux curieux. Nous sommes des humains, c’est vrai, avec deux bras et deux jambes.
Les Mazanais doivent être rusés pour se faire oublier. Ils trier ces demandes comme si nous avions écourté un appel à froid. Un riverain, qui habite à 80 mètres de la maison Pelicot, raconte avoir supprimé la situation géographique sur son compte Facebook. Lorsqu’il part en vacances, Jean-François Clapaud ne veut plus dire qu’il vient de Mazan. «Je réponds que j’habite Provence. Au mieux, je préciserais que c’est une commune qui est au pied du Ventoux, pas plus. il soupire. Lle conseiller municipal d’opposition rappelle le cas de Carpentras, à 15 minutes. « Plus de trente ans après, à quoi pensent les gens dans leur tête ? Eh bien, toujours la profanation des tombes juives… »
“Carpentras, Outreau… J’ai peur qu’il en soit de même pour Mazan, qu’on associe à vie cette terrible affaire à notre ville.”
Jean-François Clapaud, conseiller municipal d’oppositionsur franceinfo
“L’image”. “Réputation”. C’est pour ces raisons que l’agence immobilière Sotheby’s a décidé de fermer son bureau de Mazan il y a un mois. Direction Gordes, 25 kilomètres plus au sud. Pascal Danneau, directeur de l’agence Provence Luberon Sotheby’s International Realty, “supposer”. « On peut trouver ce choix radical, mais ilIl s’agit d’un calcul stratégique de notre part. Nous ne voulions pas que les clients puissent dire « Mazan, Mazan… Est-ce le Mazan qu’ils ont entendu dans les médias ? FauxHeureusement, je pense que cette affaire va marquer la ville pour très longtemps.» Bastien Benotmane veut toucher du bois : « Pour l’instant, je n’observe aucun effet sur notre activitérassure l’agent immobilier. Pourtant, personne n’est venu me dire qu’il ne voulait plus acheter ici.
L’affaire bouleversa Mazan. Abasourdi d’abord, puis tendu. Les élus de l’opposition sont allés jusqu’à exiger la démission du maire alors que celui-ci cherchait à minimiser l’affaire Pélicot en déclarant à la BBC que“Après tout, personne n’est mort.” Depuis cette sortie, l’élu bénéficie d’une protection renforcée et ne parle plus à la presse. “Cette terrible histoire est une affaire civile qui ne concerne en rien l’administration de cette commune, on nous a répondu poliment par écrit. Le comportement agressif et incontrôlable de nombreux journalistes, plus soucieux de prendre soin de leur public, confirme notre décision de ne pas n’accorde plus d’entretiens. La conclusion est soignée : « Comme tous les élus, toute la population de Mazan reste marquée par les abus souffrances insupportables subies par Mme Gisèle Pelicot.
Encore, la marche blanche organisée le 5 octobre dans les rues de la commune en soutien à Gisèle Pelicot a fait sourciller, notamment au sein de l’équipe municipale. « Il y a eu de la résistanceeuphémisent les organisateurs. Certains nous reprochent d’ajouter de la lumière à la lumière. A leurs yeux, le plus important est la réputation du village. J’ai entendu des gens de la ville dire ‘La Pélicot, elle commence à nous ennuyer’.»
Le débat sociétal suscité dans toute la France par l’affaire Pélicot a inévitablement atteint Mazan. “Ça a ouvert la parole aux femmes autour de moiraconte Viviane, une maman de 39 ans, rencontrée place du 8-Mai. Hier, j’ai dit à une mère d’élève qu’il fallait que cela se fasse à la maison pour que nous puissions faire face au problème. Il faut se dire que nous sommes en train d’écrire l’histoire.
A l’entrée de Mazan, au milieu des vignes, une association aide les femmes victimes de violences à reconstruire leur vie grâce à l’interaction avec les chevaux. En trois ans, entre 40 et 50 femmes ont poussé la barrière en bois du centre Isofaculté. « Les débats ont contribué à la thérapie des femmes que nous accompagnons, acquiesce Daniel Silvestre, psychothérapeute et fondateur de l’association. Le fait que Gisèle Pelicot ait demandé que les débats soient ouverts au public a créé une forme de familiarité, de proximité. Ici, nous sommes à moins de trois kilomètres de la maison dans laquelle se sont déroulées les atrocités qu’elle a subies.
« Avec cet essai, les femmes sont venues vers nous. Sans cela, ils seraient restés chez eux.
Daniel Silvestre, fondateur de l’association Isofacultésur franceinfo
Le 18 octobre, vers 16h30, les chevaux effectuaient leurs derniers tours de piste lorsqu’une dame, seule, marchait au loin, lunettes de soleil sur les yeux. Un animateur s’est approché pour savoir comment l’aider. C’était Gisèle Pélicot. « ÔIl ne pensait pas qu’elle reviendrait à Mazan lors de son procès. Ben oui. Elle nous a expliqué qu’elle se promène souvent dans notre maison et qu’elle voulait merci pour nos différentes initiatives en faveur des femmes. C’était un moment aussi inattendu que puissant.dire Marion Vogel, directrice de l’association Isofaculté, également à l’origine de l’initiative de la marche blanche.
Gisèle Pelicot est restée une trente minutes. Manon, 16 ans, lui a adressé quelques mots. “Je lui ai dit : « Vous êtes forte, madame. Vous êtes remarquable'”, il se souvientlle, en sangle sur les manches de son sweat à capuche. L’adolescente, déscolarisée, c’est elle-même victime de violences conjugales.
Samedi, l’association Isofaculté organise son traditionnel Noël solidaire. Cette année, l’événement vise à soutenir Gisèle Pelicot et toutes les femmes victimes de violences. « Nous sommes en contact avec sa fille. Oui, Gisèle était invitée.