A 11 heures ce vendredi, toujours rien. Heureusement, le journaliste et chroniqueur politique de FranceInfo se montre compréhensif. Après tout, elle sait ce que c’est. Nathalie Saint-Cricq accepte de reporter notre entretien. Au plus tard à 14 heures, décidons. “On espère que cette fois ce sera la bonne”plaisante-t-elle. Rien ne semble pourtant moins sûr. Les médias français font état d’un échange très tendu entre Emmanuel Macron et celui qu’il devait nommer Premier ministre, François Bayrou. «Très en colère»le président du MoDem a quitté l’Elysée après 1h45 d’échanges. Aie…
Mais finalement, vers 12h30, l’annonce tombe enfin : François Bayrou est le nouveau Premier ministre français. Et nous pouvons faire notre entretien.
Que pensez-vous du choix de François Bayrou to succeed Michel Barnier ?
Ce choix est une forme de preuve. François Bayrou fait de la politique dans le bon sens du terme, il connaît parfaitement les rouages, les partis, les gens. Il est raisonnable et apaisant. En plus, il ne s’extasie pas devant Macron, il ose lui dire des choses, il a du caractère. Il y a une sorte de complémentarité entre les deux hommes, d’autant plus nécessaire que Macron n’est pas forcément très inspiré politiquement en ce moment.
Le séquence de ce vendredi c’est quand même très surprenant, non ?
Bayrou était en colère, bouleversé et choqué de n’avoir aucune nouvelle de Macron jeudi. Et c’est normal, c’est une personnalité qu’il faut traiter correctement. D’abord parce qu’il le mérite. Ensuite, pour sa fidélité. Ce vendredi, Bayrou a donc eu le réflexe politique de remettre en question la présence du MoDem dans la majorité présidentielle. Emmanuel Macron était pourtant bien décidé à ne pas l’accepter, mais comme leur entretien s’est mal passé et qu’il avait peur, il a changé d’avis… Et puis, il aime beaucoup Bayrou.
Il nous fallait une figure capable de mettre d’accord la droite et la gauche. Est-ce la bonne cette fois-ci ?
Je ne pense pas que les socialistes vont lui tirer dessus. Dans une interview cette semaine, Olivier Faure, le président du PS, a déclaré qu’il ne voulait pas de Bayrou, mais il n’a pas non plus déclaré qu’il entendait le censurer. Avec des personnalités comme Cazeneuve et Hollande, la partie réformiste du PS ne va pas se montrer aussi cinglante à son égard. Ce ne sera pas la même démarche au sein de La France Insoumise, qui a déjà annoncé qu’elle censurerait même une chèvre ou un ours polaire. Du côté des Républicains, je dirais que Bayrou est « Retaileau compatible ».
“Un bras d’honneur”, “L’homme de la situation” : la nomination de François Bayrou suscite des réactions, un parti annonce déjà sa couleur
Quelle sera la position de Rassemblement national ?
Le RN ne censurera pas non plus Bayrou tout de suite. D’autant que Marine Le Pen le respecte, pour plusieurs raisons. Premièrement, lorsqu’elle a rencontré des difficultés à rassembler des signatures pour se présenter à la présidentielle en 2022, il a estimé qu’elle devait pouvoir se présenter et a donc proposé sa signature. Avant cela, en 2018, lorsque le RN s’est vu saisir une partie de ses aides publiques, Bayrou avait proposé de lancer une « banque de la démocratie » pour éviter que le parti ne soit en cessation de paiement ou ne soit obligé de rechercher des financements douteux. Enfin, dans l’affaire des assistants parlementaires fictifs du Front National, il a pris position en se demandant s’il était bien normal d’empêcher Marine Le Pen de se présenter à la présidentielle en cas de condamnation. François Bayrou est donc respecté par le RN.
Pensez-vous que la France réussira à sortir de cette crise politique ?
Je ne sais pas… De toute façon, nous aurions été plongés dans une crise bien plus grave si Macron avait cité l’une des personnes dont le nom était cité, comme Sébastien Lecornu ou Roland Lescure. Compte tenu du désordre monstrueux et du drame de la dissolution, Bayrou est la moins mauvaise solution. Mais nous verrons comment cela évolue. Ils se comportent tous comme des fous. La séquence qu’on a vécue de jeudi à vendredi, avec Macron qui ne cessait de repousser l’échéance, l’arrivée et le départ de Bayrou… était folle ! C’était comme un théâtre. Cela montre clairement que nous marchons sur la tête.
Nous assistons depuis dissolution aux guerres partisanes. N’y a-t-il plus de sentiment d’intérêt commun parmi les hommes politiques français ?
C’est une génération politique différente. En fait, Barnier n’arrive toujours pas à croire ce qui lui est arrivé. Le discours n’est plus le même qu’avant. L’obsession malsaine de l’élection présidentielle les rend totalement fous. Edouard Philippe est le seul à avoir eu un peu raison en la matière.
Macron n’est-il pas le seul responsable de ce chaos dans quoi baigne le monde politique français ?
Oui bien sûr. Il a commis une énorme erreur. Mais il faut faire quelque chose, on ne peut pas lui en vouloir. La nomination de Bayrou semble aller dans le sens prôné par Macron, ce qui est plutôt rassurant : il veut prendre ce qui est bon à gauche et ce qui est bon à droite pour gouverner. Il y a une forme de cohérence avec le macronisme des débuts.
Le président français aura-t-il encore l’occasion de peser sur la scène nationale ou Bayrou se couvrira-t-il beaucoup plus ?
Cela ne va pas se passer comme ça. Macron a intérêt à ce que Bayrou réussisse. Si le Premier ministre échoue, on ne peut pas dire que c’est la faute de Bayrou. Et là, le président sera contraint de partir. Peu de gens parlaient de la destitution de Macron il y a six mois. Maintenant, c’est presque devenu quelque chose auquel tout le monde pense. Il n’y aura donc pas de problèmes d’ego. Le président a compris qu’il n’avait aucun intérêt à faire un faux pas. Si Bayrou se trompe, il est le prochain à sauter.
Voyez-vous le président pour terminer son mandat de cinq ans ?
Je ne sais pas du tout… Je vois quand même un danger avec l’arrivée de Bayrou à Matignon : il pourrait essayer de mettre tout le monde d’accord, en acceptant de ne pas changer grand chose. Nous serions alors confrontés à une sorte de gouvernement de fin de règne. Ce serait très risqué.
À qui profite le plus le vaudeville actuel, en vue de l’élection présidentielle de 2027 ?
Personne. Marine Le Pen estime avoir très bien réussi sa censure, car elle a gagné quelques points dans les sondages. Mais, finalement, les gens exaspérés par la séquence considéreront que les partis qui ont semé la zizanie ne sont pas des partis de gouvernement. C’est pourquoi le Parti socialiste se montrera désormais prudent. On va assister à une marginalisation de LFI et du RN, qui ont joué leur carte politique plutôt que de chercher à sortir le pays de la crise. Les gens se rendront compte que si nous n’avons pas de budget, il y aura des impacts concrets sur leur vie quotidienne. On voit aussi qu’au sein du RN on commence à discuter de la position à adopter. Jordan Bardella a fait une sortie qui a été aussitôt recadrée par Marine Le Pen. Ils se demandent s’ils doivent ou non jouer le rôle du responsable.
Une chose semble cependant claire, le avant gauche est bel et bien mort et enterré…
Oui. Ils se sont discrédités. Mais s’il se met maintenant au travail et fait avancer les choses, le PS peut espérer retrouver des couleurs. Les socialistes pourraient, à terme, redevenir un parti de gouvernement et non une sorte de croupion de LFI. Il y a plus de points communs entre Hollande et Bayrou qu’entre Hollande et Mélenchon, on le sait.