Un avocat plaidant et éditeur. Alors que la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger venait de rejeter la demande de mise en liberté formulée par la défense de l’écrivain Boualem Sansal, Antoine Gallimard, qui publie son ouvrage, et Me François Zimeray, son avocat en France, se sont exprimés mercredi 11 décembre. , au siège des Editions Gallimard, à Paris.
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Arrêté mi-novembre à l’aéroport d’Alger, Boualem Sansal a été inculpé et écroué le 26 novembre, sur le fondement de l’article 87 bis du Code pénal algérien. Ce texte fourre-tout, qui réprime les prises d’otages, les détournements d’avions ainsi que les rassemblements dans les lieux publics, punit de la peine de mort « les actes terroristes ou de sabotage », les actions « visant à la sécurité de l’Etat, à l’intégrité territoriale, à la stabilité ». et le fonctionnement normal des institutions. La peine de mort n’étant plus appliquée depuis un moratoire de fait en vigueur depuis 1993, l’écrivain risque la prison à vie. Sa demande ayant été rejetée, il reste incarcéré et passera les fêtes de fin d’année derrière les barreaux.
Ancien diplomate, M. Zimeray s’est montré très prudent et mesuré dans ses déclarations, estimant que c’était dans l’intérêt de son client. « La défense de Boualem Sansal n’est pas une mission évidente, elle s’inscrit dans un contexte [politique] extrêmement sensible. Notre obsession doit être que Boualem Sansal n’en paie pas le prix”, a-t-il insisté. « C’est un écrivain, et c’est en tant qu’écrivain qu’il a été poursuivi dans son pays d’origine. Pour beaucoup, il est un symbole. Notre rôle n’est pas de défendre le symbole mais l’homme. Notre discours est contraint par cette exigence. La défense de rupture laisse de grands plaidoyers dans les mémoires mais elle aboutit toujours à des condamnations », prévient Me Zimeray.
Pour cet avocat, nul doute que Boualem Sansal « fait aujourd’hui les frais d’une relation franco-algérienne particulièrement dégradée » et qui n’a « jamais été aussi désastreuse ». « A cet égard, il est important que la mobilisation qui se manifeste autour de son nom ne soit ni algérienne ni franco-algérienne mais universelle. » Me Zimeray lance ainsi « un appel aux ministres de la Culture du monde entier, aux prix Nobel et aux intellectuels de tous les continents pour qu’ils expriment aux autorités algériennes les sentiments que leur inspire l’arrestation brutale d’un écrivain ». de 80 ans. »
Une intervention du gouvernement français est-elle souhaitable ? « Compte tenu du contexte, toute manifestation, toute démarche officielle de la France ne lui servirait que mal », estime l’avocat. « La toile de fond de cette affaire est l’exploitation d’un sentiment anti-français très fort », insiste Me Zimeray, qui fut dans une autre vie ambassadeur des droits de l’homme.
Un front d’écrivains
Antoine Gallimard a de son côté appelé à la création d’un « front des écrivains » pour défendre la liberté d’expression et de création. « L’Algérie doit comprendre que ce combat n’est pas celui de l’ancien pays colonisateur contre l’Algérie mais que derrière Boualem Sansel, il y a le monde entier. »
L’éditeur a annoncé la création d’une association internationale d’écrivains pour défendre son auteur mais aussi d’autres écrivains opprimés. « Boualem Sansal a bousculé les tabous mais c’est un écrivain et un écrivain a sa liberté. L’ennemi, c’est celui qui interdit la liberté, pas celui qui en abuse », a insisté Antoine Gallimard.
Me Zimeray a rendu hommage à ses collègues algériens « extrêmement courageux » qui défendent Boualem Sansal en Algérie. Les accords de 1962 permettent, en théorie, à un avocat français d’intervenir aux côtés de ses confrères algériens dans une procédure qui y est ouverte, et vice versa. Toutefois, M. Zimeray n’a pas obtenu de visa pour plaider devant la chambre d’accusation ce mercredi, comme il l’avait prévu.
Bloqué en France, il a encore dénoncé, comme il l’avait déjà fait en début de semaine, « une entrave à l’exercice des droits de la défense, sans lesquels il n’y a pas de procès équitable ». Le bâtonnier du Barreau de Paris, Me Pierre Hofmann, a affiché son soutien en affirmant, dans un message posté sur X (ex-Twitter), que « les droits de la défense ne sont pas variables ». « Si la possibilité d’un procès équitable ne devait pas être garantie, nous n’hésiterons pas à mobiliser les ressources offertes par le droit international, notamment auprès du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (ONU), pour contraindre l’Algérie à respecter les traités internationaux. il l’a ratifié », a-t-il prévenu.
L’avocat a également regretté mercredi que la défense n’ait pas été informée du transfert de l’auteur de 2084, la fin du monde (Gallimard) vers un autre lieu de détention. Placé sous mandat d’arrêt le 26 novembre, après plusieurs jours d’interrogatoire et de garde à vue, Boualem Sansal, âgé de 80 ans, a d’abord été incarcéré à la section pénitentiaire de l’hôpital Moustapha d’Alger, avant d’être transféré jeudi 5 décembre à la prison de Koléa, le 35. kilomètres de la capitale algérienne. “Mes collègues ont appris sa mutation dimanche, ils ont été mis devant le fait accompli, personne ne les avait prévenus”, regrette M. Zimeray. “Pour les droits de la défense et le respect de la dignité humaine, c’est un défi”, a-t-il ajouté.
Interrogé sur l’état de santé et le moral de son client, l’avocat a indiqué qu’il va “aussi bien qu’il peut l’être”. “Ses conditions de détention sont correctes, il a vu plusieurs médecins mais la prison est toujours une épreuve”, a-t-il déclaré.
“Un délit d’opinion”
« La meilleure façon pour le régime algérien de donner tort à ceux qui l’accusent de tyrannie serait de libérer Boualem Sansal. La meilleure façon de leur donner raison serait de rejeter nos demandes de libération », a conclu M. Zimeray. « Cette question ne sera pas résolue avec le -. Si sa détention devait durer, Boualem Sansal souffrirait mais grandirait. Je ne suis pas sûr que l’Algérie, qui a conquis sa liberté au prix d’un dur combat et qui en connaît le prix, puisse le maintenir en détention. On voit mal, en effet, comment les écrits d’un octogénaire peuvent nuire à la sécurité d’un Etat comme l’Algérie”, a conclu l’avocat, évoquant “un délit d’opinion et rien de plus”.
Interrogé sur les déclarations de Sandrine Rousseau, qui a estimé que Boualem Sansal devait être libéré même s’il « n’est pas un ange », Me François Zimeray a répondu avec ironie : « La deuxième partie de sa phrase n’aide pas la première, bien au contraire. ça l’efface. Quand nous souhaitons que quelqu’un soit libéré, nous ne nous exprimons pas ainsi. La défense de Boualem Sansal mérite mieux que ces propos atténuants, dont certains pourraient se servir pour justifier l’injustifiable. La défense ne peut y voir que un obstacle. »
Plusieurs auteurs et personnalités ont participé à ce point presse, notamment l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, mais aussi la journaliste Laure Adler et l’écrivain et académicien Erik Orsenna, venus soutenir un « vieil ami ». “Je suis terrifié par ce qui lui arrive”, a déclaré Erik Orsenna. Indiquer. “Quoi qu’on pense de ses opinions, il ne peut y avoir de “oui mais” en matière de liberté d’expression”, a ajouté Laure Adler.
Kamel Daoud, chroniqueur à Indiquer et Prix Goncourt 2024 pour son roman Houris (Gallimard), était également au premier rang. Invité quelques heures plus tôt dans la matinale de France Inter, il a une nouvelle fois défendu son collègue et ami. « Comme beaucoup d’Algériens, je ressens de la colère ; un sentiment d’humiliation et d’avilissement face à l’image donnée à l’Algérie. Mes sentiments sont mitigés. Je ressens de la tristesse. Une envie de ne plus parler de l’Algérie et de s’ouvrir sur le reste du monde. Mais je ressens surtout le besoin de faire preuve de solidarité, d’expliquer ce qui se passe là-bas. L’une des choses les plus difficiles à expliquer au monde est le fonctionnement d’une dictature. Tant qu’on ne le ressent pas dans son corps, c’est difficile de l’expliquer à quelqu’un qui vit dans une démocratie. »
“Il ne faut pas oublier, il faut être dans l’endurance et dans la durée”, a ajouté Kamel Daoud. « Ce régime est-il sensible à la mobilisation internationale ? Non, il a construit son équation de survie sur l’idée que le monde entier est en colère contre lui et qu’une conspiration internationale se trame contre lui. Alors plus on se mobilise, plus on booste l’équation. » La mobilisation de l’opinion publique mondiale et des intellectuels étrangers que réclament l’avocat de Boualem Sansal et Antoine Gallimard est-elle contre-productive, à ses yeux ? « Bien sûr que non, car nous avons affaire à un régime faible, violent et plein de ressentiment. […]. Connaissant la morale de ce régime, je ne suis pas optimiste mais je pense qu’une mobilisation continue est nécessaire. C’est le moins qu’on puisse faire pour Boualem mais aussi pour tous les écrivains qui souffrent, qui se cachent ou sont en exil. C’est aussi une question française : la liberté. Si nous oublions la valeur et le prix, nous le perdrons ici aussi. »
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« Boualem Sansal est mon ami et je ne comprends pas son imprudence », a déclaré Kamel Daoud au lendemain de son arrestation. « Ce n’est pas le moment de le répéter mais j’y crois », affirme Kamel Daoud. « Il m’a aussi donné ce conseil : ne pas y aller. Mais quand on est exilé, on est tenté par le dernier voyage. Celle où l’on prend les dernières photos, les derniers bibelots, avant de commencer une nouvelle vie ailleurs. Le dernier voyage est le plus dangereux», a-t-il commenté non sans émotion.
“On répond à une opinion par une opinion, pas par la prison”, a encore rappelé Kamel Daoud sur France Inter. « La semaine même de l’arrestation de Boualem Sansal, un chef terroriste algérien et ses acolytes de la région de Bouira ont été libérés. Voilà où nous en sommes : nous méprisons les islamistes et nous frappons un écrivain, tous les écrivains, la littérature, la liberté, les valeurs et la démocratie. »