Depuis sa découverte il y a trente ans, la fragile grotte Chauvet fait l’objet de mesures de protection exceptionnelles. Le documentariste Alexis De Favitski donne un aperçu fascinant des techniques d’étude de ses fresques.
Par Virginie Félix
Publié le 7 décembre 2024 à 18h50
LLe 18 décembre 1994, dans un plissement calcaire des gorges de l’Ardèche, trois spéléologues mettent au jour une galerie d’art inattendue, miraculeusement sortie de la préhistoire. Trente ans plus tard, la grotte Chauvet et ses fascinantes fresques murales vieilles de trente-huit mille ans (vingt mille ans avant Lascaux) continuent de fasciner les scientifiques. Ils s’appuient désormais sur les technologies numériques pour scruter cette cathédrale paléolithique, comme le raconte le réalisateur Alexis De Favitski, qui a filmé leur travail policier dans un documentaire, Grotte Chauvet. Sur les traces des artistes préhistoriques, à voir sur Arte.
«Dès sa découverte en 1994, l’accès à la grotte a été restreint. Pour éviter le syndrome de Lascaux, autrefois ouvert au public et où la présence humaine avait propagé des champignons sur les murs, dégradant les dessins préhistoriques. Chez Chauvet, un choix radical a été fait dès le départ : personne n’y entre, hormis une poignée de scientifiques, une fois par an et dans des conditions très strictes. Ces explorations ont lieu systématiquement en mars pour éviter les dangereuses fumées de dioxyde de carbone dégagées par la végétation au-dessus de la grotte, moins fortes à cette période.
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« Grotte Chauvet. Sur les traces des artistes préhistoriques » : en immersion avec les scientifiques
Outre les chercheurs, quelques privilégiés ont accès au site. Ce fut le cas du cinéaste Werner Herzog, qui a réalisé un documentaire à ce sujet, La Grotte des Rêves Perdus. Pour ma part, j’ai longtemps caressé l’espoir de pouvoir y tourner aussi, car mon souhait était de suivre les scientifiques sur le terrain. Cela s’est finalement révélé impossible : la Drac (Direction régionale des affaires culturelles), chargé de la conservation de la grotte, en restreint de plus en plus l’accès. Mais comme les chercheurs documentent systématiquement leur travail dans la grotte en filmant avec leur téléphone ou leur petite caméra, j’ai pu exploiter ces précieuses images, qu’ils ont bien voulu me confier. Et surtout, le processus de numérisation 3D du site qu’ils ont entamé s’est avéré être une façon extraordinaire de montrer et de ressentir le lieu sans même y entrer. »
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Photogrammétrie ou Chauvet en 3D
« Depuis 2019, les archéologues utilisent la photogrammétrie pour créer un modèle 3D de la grotte. Ils entreprirent de photographier toutes les pièces de la cavité, sous tous les angles et dans les moindres détails. Ce sont des lectures extrêmement précises, qui permettent de capter le moindre point dans l’œil d’un auroch. Et qui offrent des vues que l’on ne pourrait pas avoir autrement, car certains endroits sont quasiment inaccessibles, comme la salle de la Sacristie, tout au fond de la grotte. Seuls les deux experts en charge de la numérisation étaient autorisés à entrer. Ils prennent leurs photos avec d’immenses précautions, ne sont pas autorisés à marcher directement sur le sol, recouverts de mousse de protection, sont pieds nus et avancent pas à pas pour ne rien altérer.
Ces photos, ensuite assemblées en modèle 3D, servent de support à la recherche, en dehors des très courtes périodes où les scientifiques sont autorisés à se rendre sur place. Nous avons collecté toutes ces images numériques pour le film, à partir desquelles un graphiste a créé un objet animé en 3D, dans lequel nous avons ensuite inséré des mouvements de lumière et de caméra, comme si nous nous déplacions physiquement dans la grotte. Même pour l’équipe de scientifiques à qui nous avons montré le documentaire, ce fut une expérience unique ! »
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Archéo-acoustique à l’écoute de la grotte
« Avec les progrès de l’archéoacoustique, l’exploration de la grotte s’enrichit d’une nouvelle dimension fascinante. Cette branche de l’archéologie vise à recréer l’empreinte sonore d’un lieu. Chez Chauvet, une équipe de l’université de Stanford, associée à un doctorant français, a pu enregistrer l’acoustique des salles grâce à des microphones spécifiques permettant de capter le son en 3D. Cette numérisation sonore permet de reproduire, à l’extérieur de la grotte, la manière dont les bruits s’y propagent. Et d’imaginer par exemple comment résonnaient les flammes crépitantes des torches ou le cri de ces ours des cavernes dont les empreintes ont été retrouvées sur place. A terme, les chercheurs rêvent de combiner cette empreinte sonore avec une modélisation visuelle 3D. Traverser virtuellement la grotte sans y être. En immersion totale, les yeux comme les oreilles. »
Grotte Chauvet. Sur les traces des artistes préhistoriques. Diffusion le 7 décembre à 20h50 sur Arte, puis à revoir sur Arte.tv.