Il existe des moyens plus doux de se suicider politiquement. Le président conservateur sud-coréen Yoon Suk-yeol l’a fait de manière pour le moins spectaculaire. Sa tentative de coup d’État, en déclarant la loi martiale mardi 3 décembre, a été balayée par l’Assemblée nationale quelques heures plus tard. Les députés, y compris de son camp, ont rejeté sa décision, témoignant au passage de la solidité de la démocratie sud-coréenne et du rejet de toute idée de retour aux dictatures en place jusqu’en 1987. Les manifestations organisées dans la foulée et la destitution Le projet déposé à l’Assemblée nationale pourrait bien avoir raison d’un président élu en 2022 mais qui n’a jamais totalement convaincu.
Depuis son arrivée au pouvoir, l’ancien procureur peine à imposer ses vues. La faute en revient à une Assemblée dominée par l’opposition démocrate mais aussi à son style « bulldozer ». Le bras de fer avec les parlementaires, durci après la défaite de son parti, le PPP (Parti du pouvoir populaire) aux élections législatives d’avril, n’a fait que renforcer les antagonismes, le président n’hésitant pas à qualifier les votes de critiques « pro-nord-coréens et anti-coréens ». -les forces de l’État ». C’est aussi l’argument qu’il a utilisé pour justifier sa loi martiale.
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Accusations de trafic d’enquêtes
Les tensions ont également été alimentées par de multiples scandales impliquant lui et sa femme, Kim Keon-hee. Cette dernière a dû s’expliquer en juin devant le parquet sur le don d’un sac Dior par un pasteur et sur une affaire de manipulation boursière.
Depuis près de deux mois, le couple présidentiel fait également face à des accusations de manipulation électorale. Désormais en détention, le sulfureux Myung Tae-kyung distille dans la presse les messages échangés avec le leader et son épouse, dont il était autrefois proche. Cet intrigant aurait trafiqué les enquêtes d’opinion pour permettre la victoire de Yoon Suk-yeol à la primaire du PPP pour la présidentielle de 2022. Le chef de l’Etat a balayé toutes les critiques et accusations, les qualifiant de « fausses nouvelles ».
Ces tensions se sont accompagnées d’une dérive autoritaire. En mars, l’institut Variétés de la démocratie (V-dem) de l’université suédoise de Göteborg avait déploré “une régression de la démocratie” en Corée du Sud, due notamment aux multiples poursuites judiciaires engagées contre les opposants. La Corée du Sud a chuté de la 47e à la 62e place dans le classement 2024 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
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Le resserrement de l’administration a également donné lieu à des nominations controversées, comme celle en septembre de Kim Yong-hyun, un général à la retraite, au poste de ministre de la Défense. L’opposition démocrate y a vu une volonté de l’administration Yoon de renforcer son contrôle sur l’armée, voire de préparer l’instauration de la loi martiale. Un sentiment renforcé par le placement, à des postes clés de l’armée, de proches du président.
Lâché par son camp ?
Ce contexte a provoqué des protestations au sein de l’opposition. Le 30 novembre, un rassemblement massif au cœur de Séoul a réclamé la démission de Yoon. Les manifestants brandissaient des bougies, en souvenir de la « révolution des bougies » qui avait conduit à la destitution, en 2016, de la présidente conservatrice Park Geun-hye (2013-2016).
L’imbroglio de la loi martiale donne un nouvel élan aux critiques à l’encontre de Yoon, dont les principaux collaborateurs, à commencer par son chef de cabinet, Chung Jin-suk, et son conseiller à la sécurité nationale, Shin Won-sik, ont présenté leur démission après l’échec de l’initiative présidentielle. . La puissante Confédération coréenne des syndicats (KCTU) a lancé une grève illimitée « pour soutenir le peuple dans sa lutte pour la démission immédiate du président ». A l’Assemblée nationale, une motion de révocation a été déposée. Pour être adopté, il faut que les deux tiers des députés, soit 200, l’adoptent. L’opposition ne dispose que de 175 sièges mais pourrait bénéficier du soutien du PPP, dont le président, Han Dong-hoon, a déclaré que le président avait « eu tort » de déclarer la loi martiale.
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