Le budget de la Sécurité sociale, qui suscite de nombreux émois à l’Assemblée nationale au point que Michel Barnier a tenu son gouvernement pour responsable, prévoit de baisser le remboursement des transports sanitaires par taxis. Surtout, le texte propose d’augmenter les transports partagés. Intolérable pour les conducteurs, qui craignent que cela ne détruise la proximité entretenue avec la clientèle, parfois isolée.
Ils ont allumé leurs feux de détresse. Au petit matin, plus de 150 taxis étaient rassemblés en file indienne sur l’un des grands axes menant à Lyon (Rhône). Certains sont venus de la Loire, de la Côte d’Or, de l’Isère pour ralentir la circulation et montrer leurs panneaux « Les taxis en grève » ou « Taxi médicalisé en danger ». Des mobilisations similaires ont eu lieu à Marseille, Toulouse, Paris ou encore Angers ces derniers jours. « Ça commence à chauffer, et c’est normal ! »» souffle Geoffrey, taxi en Corrèze. D’un bout à l’autre de la France, la revendication des chauffeurs est la même : que le gouvernement renonce aux économies envisagées sur le transport des clients sur prescription médicale, remboursés par l’Assurance maladie.
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Chaque année, le remboursement des taxis pour les personnes devant se rendre à une consultation, notamment en milieu rural, coûte 3 milliards d’euros à la Sécurité sociale. Un chiffre qui augmente en raison de la pénurie croissante de soignants, qu’il faut chercher de plus en plus loin. Ainsi le gouvernement, qui prépare un resserrement budgétaire dans la santé, veut réduire ce poste de dépenses de 300 millions d’euros. Comment ? Aux taxis et à l’Assurance maladie de trouver un terrain d’entente pour la convention 2025-2029. S’ils n’aboutissent pas, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui suscite de vives tensions à l’Assemblée nationale et dont Michel Barnier a pris la responsabilité de son gouvernement le 2 décembre en déclenchant l’article 49.3, prévoit d’imposer des baisses tarifaires.
Il faut donc trouver où prendre des raccourcis. La Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) propose donc une nouvelle tarification des transports sanitaires, ainsi qu’une obligation renforcée de mise à disposition. « taxi partagé »obligeant en outre les personnes bénéficiant du remboursement du transport vers un centre de santé à partager le véhicule. La mesure augmenterait également le - d’attente des clients qui, selon les chauffeurs concernés, seraient les premières victimes. Des victimes situées pour la plupart, sans surprise, dans des déserts médicaux.
Du patient au colis
Si les clients ont déjà l’obligation d’accepter de partager le trajet – à moins de payer un supplément – “ils veulent augmenter ce mode de transport”explique Geoffrey, qui craint que cette mesure n’appauvrisse les échanges avec les clients. La loi de financement de la Sécurité sociale 2024 a déjà durci les conditions du transport sanitaire. Elle prévoit qu’un patient ne peut plus refuser un transport médicalisé partagé (sauf si le médecin précise que son état de santé est incompatible), sous peine de devoir avancer les frais et d’être remboursé uniquement sur la base du transport partagé. . A partir de 2025, un malus doit également s’appliquer.
Une éventualité qui bouleverse les professionnels habitués à ces transports sanitaires. « Il y a des gens qu’on prend chaque semaine, parfois même plusieurs fois par semaine, car ils ont des traitements très réguliers. Forcément, on discute, on les connaît bien, on essaie de les apaiser. Est-ce possible si nous sommes trois ou quatre dans la voiture pendant plus d’une heure ? »il insiste encore. Dans les zones désertées par les professionnels de santé et les services publics, les taxis constituent parfois le seul lien social régulier pour les patients.
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« Le patient n’est pas un gars qu’on emmène à l’aéroport ou en boîte de nuit ou chez le coiffeur. C’est quelqu’un qui vous attend avec impatience car vous êtes peut-être la seule personne qu’il voit dans la semaine et c’est une sortie pour lui. Il vous raconte ses petits bobos, il vous parle de sa petite famille, vous l’emmenez à l’hôpital, parfois vous l’aidez même à s’habiller à sa sortie de l’hôpital. »a également rappelé à l’AFP Abdel Grine, président de la Fédération des taxis indépendants du Rhône (FTI69).
« Nous nous comparons simplement aux transporteurs de colis. Sauf que nous transportons des humains. »plaide encore le représentant. Autre risque pointé notamment par l’association de patients atteints de pathologies rénales Renaloo : la transmission potentielle de maladies infectieuses lors du transport. En effet, les patients dialysés doivent parfois se rendre à l’hôpital trois fois par semaine. Voyager avec d’autres personnes « va les exposer à des virus respiratoires, alors qu’ils sont sévèrement immunodéprimés, et à risque très élevé de maladie grave, notamment covid »s’alarme l’association.
Attente prolongée
Renaloo s’inquiète et craint aussi « des - d’attente et de transport singulièrement augmentés, et tout autant de fatigue imposée en plus » alors que les patients sous dialyse sont déjà « fragiles et épuisés par les traitements et par leur état de santé ». En effet, avec plusieurs clients dans le véhicule, le conducteur doit nécessairement faire des arrêts et des détours supplémentaires, et potentiellement rester un certain - dans un établissement de santé pour attendre un autre patient. « Non seulement on va attendre très longtemps pour remplir la voiture, on va faire des tournées interminables, mais on va aussi détériorer le service que nous avons mis en place depuis des années auprès des patients »a déclaré à l’AFP Abdel Grine, dans le Rhône.
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Le texte réglementaire en préparation, révélé par franceinfo et consulté par l’AFP fin novembre, prévoit que ce transport partagé génère un maximum « dix kilomètres de détours » per patient, « dans la limite de 30 km » au total par voyage. Il précise également que le patient n’aura pas à attendre plus de 45 minutes au total au point de service, que ce soit avant ou après son rendez-vous.
Or, ce délai est déjà dépassé, selon les conducteurs, notamment en milieu rural. “On doit déjà faire attendre les clients une heure ou plus après la fin d’une séance de chimio”explique encore Geoffrey.
Depuis le plateau de Millevaches, où il travaille, un détour peut vite devenir très, très long. Les grands hôpitaux les plus proches, où doivent se rendre de nombreux patients pour des soins réguliers, sont à plus d’une heure de route : Clermont-Ferrand, Limoges, Brive-la-Gaillarde, etc.
Des revenus en baisse
“C’est ce qui nous dérange, bien plus que le fait qu’ils veuillent nous faire rouler à 0,98 centimes le kilomètre au lieu de 1,67 euros”a assuré Abdel Grine, en référence à la baisse de la qualité de service aux patients. Reste que la colère porte aussi forcément sur la perte de pouvoir d’achat des taxis. Car si l’État paie moins, le manque à gagner sera d’autant. Pour certains taxis, le transport sanitaire représente 60 %, voire 70 % des recettes. “Et dans les zones rurales, jusqu’à 98%, illumine le Corrézien. C’est mon travail, il y a des semaines où je ne vais qu’une seule fois chercher quelqu’un à la gare. ». Le reste des journées est consacré aux allers-retours entre les hôpitaux, les hébergements, les cabinets de consultation, etc.
Il y a aussi beaucoup de logistique supplémentaire à assurer, pour que les agendas de chacun soient compatibles. Que se passe-t-il si deux patients se retrouvent dans le même hôpital à 1h30 d’intervalle ? Si un autre est épuisé, mais qu’un détour s’impose ? « Avec les clients du transport sanitaire, nous avons un rôle social. Nous ne pouvons pas simplement leur dire de s’asseoir et de ne pas prêter attention à leurs besoins.Geoffrey insiste encore. Oui, mais le social n’est pas rentable.