comment l’extrême droite joue la carte de la victimisation pour conquérir l’opinion publique

comment l’extrême droite joue la carte de la victimisation pour conquérir l’opinion publique
comment l’extrême droite joue la carte de la victimisation pour conquérir l’opinion publique

“La seule chose qui intéresse le parquet, c’est Marine Le Pen et le Rassemblement national”, a réagi le chef du parti après les réquisitions du procureur réclamant contre les 27 prévenus jugés dans l’affaire des assistants parlementaires du RN jusqu’à cinq ans de prison, soit plus de 3 millions d’euros d’indemnités et de pénalités d’inéligibilité. Une réponse « scandaleuse », selon Marine Le Pen, qui minimise les accusations de détournement de 4,5 millions d’euros d’argent public.

Comme elle, les cadres du RN invoquent un « procès politique » qui cherche à « ruiner le parti » et surtout à exclure la députée, déjà candidate à trois reprises à l’Élysée, de la prochaine présidentielle. “Pour beaucoup d’électeurs, ce procès apparaît comme une persécution politique et il va renforcer l’impression que la caste politique et les élites veulent tenter d’enrayer un phénomène qui ne peut plus être contenu dans les urnes”, estime le politologue Jean-Yves Camus. .

La sortie du livre de Jordan Bardella, prévue en plein procès du RN, a alimenté cette accusation de « traitement à part » de l’extrême droite. Conformément à son règlement, l’agence de publicité a rejeté la campagne d’affichage prévue. “Quand ils disent ‘il faut interdire le livre du président du RN’, je me retrouve en tête des ventes sur Amazon”, a réagi le jeune dirigeant.

La victimisation, un refrain historique

Cette stratégie de victimisation est en réalité un refrain historique de l’extrême droite. « En 1945, avec les Purges et les procès de Nuremberg, les idées d’extrême droite n’étaient plus des opinions mais des appels à la haine qui renvoyaient au fascisme. Pour cette raison, les militants nationalistes ont longtemps été tenus à l’écart du débat public », reconnaît Jonathan Preda, historien docteur à l’Institut français de géopolitique. « Dès lors, les mouvements d’extrême droite pointent du doigt « le système » qui s’oppose à eux, et les médias qui voudraient les faire taire. En revendiquant un non-conformisme et une forme de courage pour « tenir tête aux élites », à la « doctrine dominante », comme le répète Éric Zemmour, l’extrême droite a changé son image. En s’affirmant comme victimes, ils se présentent comme des résistants. Y compris actuellement, même s’ils sont désormais très présents et parfois même dominants dans les médias et sur les réseaux sociaux. »

Celui qui a fondé le Front national et conduit le mouvement à ses premiers succès électoraux, Jean-Marie Le Pen, a longtemps joué cette carte, se plaignant à chaque apparition médiatique d’être boudé par les médias. C’est pourtant devant les caméras, en 1999, qu’il s’en prend à un candidat socialiste dans un marché d’Ile-de-. Des violences pour lesquelles il fut alors jugé et menacé, comme sa fille aujourd’hui, d’une peine d’inéligibilité qui aurait pu l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2002. Après appel et pourvoi en cassation, les juges avaient finalement réduit sa peine à un an d’inéligibilité, ce qui lui permettait de se présenter et de qualifier l’extrême droite au second tour face à Jacques Chirac.

A l’époque, le leader du Front national avait dénoncé une « justice pénale ». « Ce n’est que dans les pays totalitaires que les tribunaux sont chargés d’éliminer les adversaires politiques du pouvoir », avait-il déclaré à l’époque. La destitution d’un homme politique qui a récolté deux fois plusieurs millions de voix, d’un parlementaire, je trouve ça scandaleux… » Un argument assez similaire émerge aujourd’hui dans la défense de Marine Le Pen, qui insiste sur l’exception de traitement judiciaire réservée au RN. Il y a cependant eu des précédents.

En 2004, Alain Juppé, président de l’UMP (aujourd’hui Les Républicains), a été condamné à quatorze mois de prison et un an d’inéligibilité pour des emplois fictifs au RPR et à la Mairie de Paris. Dans le cas des assistants parlementaires du MoDem, François Bayrou a été condamné dans un premier temps à une peine d’inéligibilité, levée en appel.

Au nom du peuple

« L’inéligibilité à l’exécution est une condamnation à mort politique », clame Marine Le Pen. Mais elle nuance ses critiques : elle ne vise pas la justice dans sa globalité, mais pointe l’impartialité de certains magistrats. « Les ‘juges rouges’, ultrapolitisés et de gauche bien sûr, constituent une autre figure brandie par l’extrême droite contre les élites culturelles… – la base du populisme, analyse l’historien. L’extrême droite prétend représenter le « vrai pays », la théorie de Charles Maurras, par opposition au pays juridique ou moral, le fameux « système ». Quand les cadres du RN répètent « nos idées sont populaires, nous sommes le premier parti en France, donc il ne faut pas condamner Marine Le Pen », cela signifie clairement « nous sommes au-dessus de l’État de droit » » .

Outre-Atlantique, au printemps dernier, Donald Trump a été reconnu coupable de versements dissimulés à une actrice pornographique. L’ancien locataire de la Maison Blanche a immédiatement dénoncé un procès « truqué », une « honte », et assuré que le « vrai verdict » tomberait le 5 novembre, jour de l’élection présidentielle… On connaît la suite.

La pétition lancée par le Rassemblement national pour soutenir Marine Le Pen a récolté plus de 250 000 signatures en une semaine. Pas du tout pour faire pression sur la justice, assure le député, mais plutôt pour démontrer qu’elle bénéficie du soutien du peuple souverain. “Il y a eu une véritable indignation parmi les Français après la violence de ces réquisitions”, a-t-elle déclaré. Selon le politologue Jean-Yves Camus, “on a un parti qui se comporte encore comme un parti marginal, situé en marge de la politique, tout en disant que demain il peut prendre le pouvoir, que c’est un parti de l’alternance”.

En Hongrie avec Viktor Orbán, en Italie avec Giorgia Meloni, au Brésil avec Jair Bolsonaro, les partis d’extrême droite et de droite radicale ont emprunté cette voie de la victimisation pour accéder au pouvoir. Reste à savoir si cette stratégie sera pérenne dans le temps.

 
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